C’est après une décennie d’absence que le dernier des monstres sacrés de la variété française triomphait vendredi dernier au Centre Bell de Montréal. Nostalgie quand tu nous tiens…
Accompagné de sa fille de 20 ans qui ne connaissait pour ainsi dire que la très belle reprise de Je vole par Louane, popularisée par le film La famille bélier, et Comme d’habitude (version Claude François et Elvis), l’auteur de ces lignes n’allait pas rater cet artiste qui demeure probablement l’une des quatre ou cinq plus belles voix de la francophonie avec, notamment, celle de Claude Dubois.
Le récital s’ouvre avec un panorama animé d’un magnifique cheval blanc galopant dans les plaines irlandaises. On comprend rapidement que nous sommes en Irlande dès les premières notes de l’entrainante Les Lacs du Connemara. Version réussie, bien que courte, de ce morceau incontournable du répertoire sardoussien qui, depuis des décennies, termine les plus belles surboums en France. Cet été, ce morceau a fait l’objet d’une controverse lorsque Juliette Armanet a déclaré en entrevue pour une radio belge que cette chanson la ferait fuir une soirée… Immense polémique à laquelle le chanteur de 76 ans a refusé de répondre avant que la belle ne s’excuse en privé par courriel.
C’est vrai que casser du sucre sur le dos de Sardou fut longtemps un passage obligé à gauche de la gauche, mais nous croyions cette époque révolue. D’ailleurs, le vieux crooner a repris, pendant une mixture de ses plus grands succès, l’irrésistible En chantant… « Et c’est tellement plus mignon, de se faire traiter de con, en chansons… » pour le plus grand plaisir de la foule largement composée de têtes blanches, qui ne s’est pas fait prier pour reprendre à l’unisson.
La rumeur veut que Sardou, avec En chantant, répondait au jeune Renaud qui s’était payé sa tête en parodiant d’une autre chanson : Les Ricains. Excellente reprise de ce dernier titre (ici à la sauce cajun avec banjo), puisé dans l’époque plus engagée où Sardou avait eu l’outrecuidance, ou le courage, de rappeler aux Français qui manifestaient, à juste titre, contre la guerre du Vietnam, que sans les Amerloques, ils seraient tous en Germanie « à saluer vous savez qui… ». Une chute percutante qui, de mémoire, ne figure pas exactement ainsi dans les versions enregistrées.
Si les réorchestrations sont généralement réussies, certaines pièces passent moins l’épreuve du temps, comme cette version parlée de Je vole ou d’Une fille aux yeux clairs, un éloge d’une mère par son fils qui déstabilisa ma jeune accompagnatrice, lui faisant déclarer : « Mais c’est carrément de l’inceste ça, je suis dégoutée. » Bonjour l’ambiance… Heureusement, Sardou retrouve grâce à ses yeux avec sa pièce suivante, Le Privilège, empathique à l’égard d’un jeune qui dévoile son homosexualité.
Parsemé de quelques pièces plus ou moins connues pour le public québécois, Sardou nous aura adressé d’indéniables clins d’œil, notamment en parlant toujours du Québec, et non du Canada, comme le font souvent les Français évoquant leurs cousins d’Amérique…
Clins d’œil
Étrangement, si le plus bourru des chanteurs nous a gratifiés de La rivière de notre enfance, sans Garou qui se trouvait… en France, il n’aura pas interprété Je me souviens d’un adieu, un autre titre très accrocheur, qui est pourtant le nom de la tournée.
Parmi les grands moments, Vladimir Ilitch une chanson sur les sirènes du communisme où un écran qui surplombe la scène nous montre une immense statue de Lénine en lente décomposition, un extrait, trop court de l’exutoire Le France ou une relecture de Verdun et son diaporama de guerre, qui résonnait particulièrement fort au regard de l’actualité en Ukraine et au Proche-Orient. La reprise de Quelque chose de Tennessee, comme pour se faire pardonner par Johnny avec qui il n’aura pas eu le temps de se réconcilier. Mais l’apothéose fut atteinte quand Sardou, convaincant, nous a balancé son hymne Je vais t’aimer, dont les images fortes furent mises en relief par des cuivres saccadés.
Instants plus légers avec la caricaturale Être une femme, et aussi en nous révélant qu’il découvrit un jour chez un disquaire que le grand Louis Armstrong avait repris une chanson de son père, Fernand Sardou, comédien et chanteur de jazz, Aujourd’hui peut-être qu’il nous a interprété avec une fierté manifeste.
Bref, soirée très agréable placée sous le signe de la nostalgie et du charisme, malgré quelques moments un chouïa ringards, dont des chœurs souvent années 1980. Et, surtout, on retiendra qu’il n’a pas été avare en se déplaçant avec une équipe de plus de 20 personnes, juste pour la scène, dont une belle section de cuivres et un non moins impressionnant chœur. Quant au verdict de la fan de Lady Gaga et Sia qui m’accompagnait : « Correct. Très correct. »