classique / période moderne

L’OSL et Naomi Woo : un parcours énergique au Nouveau Monde

par Alexandre Villemaire

Pour son troisième et avant-dernier grand concert de sa saison, l’Orchestre symphonique de Laval recevait comme cheffe invitée Naomi Woo, dont la dernière présence au podium remontait à mars 2023 où elle avait remplacé au pied levé Mélanie Léonard dans un programme mettant en lumière les compositrices pour la Journée internationale des droits des femmes.

Cette fois-ci en pleine maîtrise du programme, la maestra et l’orchestre ont offert au public lavallois un programme ancré dans des mondes musicaux de l’Amérique plurielle. Car, ce n’était pas que de la musique dite américaine, mais des Amériques, qui était mis de l’avant. Il convient à ce titre de souligner l’intelligence du programme proposé par Woo, qui conjugue à la fois élément connu – avec la Rhapsody in Blue et la Symphonie du Nouveau Monde -, et moins connu avec les deux pièces d’ouverture; deux œuvres de compositrices aux langages musicaux contemporains, mais qui demeurent accessible et cohérent dans l’unité thématique qui est tissé durant le concert.

Ainsi, l’orchestre a offert un départ explosif avec la très courte pièce Hullaballoo de Jocelyn Morlock. Composé dans le cadre des 150 ans du Canada, le caractère chaotique et angoissant de la pièce contraste avec le propos supposément festif entourant sa composition. Une manière pour Morlock selon Naomi Woo, d’exposer l’histoire compliqué du pays de la feuille d’érable. S’ensuivit l’Elegia andina de Gabriela Lena Frank.

Puisant dans ses origines culturelles sino-péruviennes, la compositrice accorde une place prépondérante aux percussions ainsi qu’aux vents dans cette œuvre pleine de contrastes. Le martèlement des sabots traversant les montagnes de la cordillère des Andes est soutenu par une enveloppe sonore portée notamment par les flûtes (excellents Benjamin Morency et Jean-Philippe Tanguay). Dans les deux cas, ces pièces proposent une musique d’effets où le timbre des différents instruments de l’orchestre est présenté avec différentes techniques de jeu, notamment pour les cordes, souvent sollicitées dans le suraigu en jouant sul ponticello ou encore par des attaques très percussives. 

Pour illustrer la portion états-unienne du concert, Naomi Woo a eu l’idée de programmer la Rhapsody in Blue de George Gershwin avec la pianiste jazz Lorraine Desmarais comme soliste invitée afin qu’elle présente « sa » version l’œuvre. Cette portion du concert à véritablement mis de l’avant son jeu pianistique, l’orchestre et sa cheffe ne se limitant qu’a quelques interventions, laissant le champ libre à la pianiste. Une fois le premier thème exposé, Lorraine Desmarais, que l’on voyait visiblement habitée par cette musique, a laissé libre cours à son sens de l’improvisation, égrenant au fil de ces longs interludes pianistiques des thème musicaux de la pièce, mais aussi des extraits d’autres chansons connus du répertoire de Gershwin, tel Summertime et I Got Rhythm

Les plus puristes pourraient se demander si intégrer le style de jeu de Lorraine Desmarais, qui n’est pas représentatif du style de l’époque de Gershwin, dans une pièce qui ne porte pas forcément l’étiquette jazz, était une bonne idée. Même si nous pouvons noter un certain décalage stylistique l’expérience esthétique de voir une des grandes jazzwomen du Québec, s’approprier le matériel musical de Gershwin, le manipuler et le transformer en y juxtaposant différents thèmes aux caractères variés avec aplomb a offert une version de l’œuvre qui avait le mérite d’être audacieuse et rafraîchissante.

La Symphonie du Nouveau Monde d’Antonín Dvořák qui est venu clore la soirée a mis en valeur l’énergie débordante de celle qui est entre autres cheffe associée à l’Orchestre de Philadelphie et récemment directrice musicale de l’Orchestre national des jeunes du Canada. S’il y a un mot qui devrait venir qualifier la performance de Woo, c’est vélocité. Dès le premier mouvement, on perçoit le caractère et la direction active qu’elle donne à l’œuvre en maintenant une tension et un roulement constant au niveau de l’orchestre. Ce caractère offre un panache et un écrin éclatant dans l’Allegro molto et l’Allegro con fuoco et une dimension plus active et engagé dans les passages plus lents. Ce fut le cas notamment du fameux deuxième mouvement, légèrement plus allant qu’à l’accoutumée. Ce choix déstabilisant permet néanmoins à Naomi Woo de jouer avec les textures et les dynamiques pour créer des éléments de surprises et de contrastes au sein du discours musical. Notons à cet effet la fin du deuxième mouvement où le fameux thème du cor anglais est repris par les cordes, mais ici dans un traitement extrêmement intimiste à la manière d’une musique de chambre, qui vient parfaitement contrebalancer le tempo plus actif du début. 

Généreuse dans ses intentions, audacieuse dans sa direction artistique, nous avons là une cheffe dynamique et expressive qui demande beaucoup de ses musiciens en allant tirer le maximum de leur jeu avec une intelligence interprétative énergique et contrasté, tant dans les moments les plus intenses que dans ceux nécessitant une extrême délicatesse. Avec un Orchestre symphonique de Laval en grande forme, manœuvrant toujours dans une salle, qui, bien que pratique et fonctionnelle, ne rend pas justice à ses ambitions, nous avons eu droit à un concert bien ficelé réfléchi et enlevant duquel on ressort immanquablement avec des airs mémorables en tête.

 Crédit photos – Annie Diotte

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