Le parterre de la Maison symphonique était rempli pour assister au premier concert de la saison 2024-2025 de l’Ensemble ArtChoral, sous la direction de Matthias Maute, accompagné au piano dans certaines pièces par Meaghan Milatz, « Découverte de l’année » au dernier Prix Opus.
La prémisse du concert et de sa thématique des feuilles mortes avancée par Maute était une évasion dans le Paris automnal de la Belle Époque ainsi que dans les couleurs de l’automne canadien. En effet, il n’y avait pas que de la chanson française et de la mélodie française dans ce concert. Il y avait aussi de la musique chorale canadienne représentée par les compositrices Afarin Mansouri, Alice Ho, Beverley McKiver et Sandy Scofield. Nous retenons de celles-ci la pièce de McKiver Dreamers’s Rock et de Scofield The Sacred One dont le propos des pièces, ancré dans leur origine autochtone, était parlant.
Le concert était divisé en deux parties symétriques. Chacune commençait par des pièces de Gabriel Fauré, dont 2024, rappelons-le, marque les 100 ans de son décès. S’en suivait une pièce interprétée par le Grand chœur, un ensemble ad hoc composé d’une centaine de choristes provenant de cinquante chœurs de la région de Montréal. Les dernières parties de concerts étaient de nouveau assurées par les chanteurs et chanteuses de l’Ensemble ArtChoral. C’est par une procession sur l’Ave verum de Fauré, menée par Matthias Maute, que les membres d’ArtChoral ont investi la scène, entrant simultanément des côtés jardin et cour de celle-ci, une rose rouge à la main.
Parmi les seules pièces spécifiquement écrites pour chœur des blocs fauréen, nous avons été surpris dans Madrigal par le choix du chef de privilégier une articulation vocale staccato sur les premiers vers du poème d’Armand Sylvestre, contrairement aux interprétations généralement entendues avec pour un plus grand legato. On comprend que cette articulation répond à l’accompagnement du piano, assuré ici par, mais malgré une interprétation solide des voix, le caractère lyrique du texte en ressortait amoindri. L’essentiel des œuvres de Fauré interprétées était des mélodies de soliste arrangées pour quatre voix accompagnées. Ce traitement, en augmentation par rapport aux originaux, donne une dimension nouvelle aux œuvres et au texte qui sont jolis, mais inégaux dans leur rendu. Celles de Mai, du Papillon et de la fleur et de Dans les ruines d’une abbaye ont été parmi les plus intéressantes. Soulignons aussi qu’à nos oreilles, le traitement à quatre voix faisait en sorte qu’à certains moments l’on perdait l’intelligibilité du texte. L’homogénéité du timbre de l’ensemble a aussi comme effet pervers de donner à quelques pièces une couleur feutrée et un aspect presque méditatif, ce qui laisse peu de place à une certaine expressivité. Par opposition, Les Djinns, poème de Victor Hugo que Fauré met en musique avec un traitement musical quasi opératique, était d’une précision tranchante doublée d’un jeu de nuances cohérent et précis. Le caractère menaçant de ces génies maléfiques de la mythologie arabe était palpable, des murmures entamés par les mezzos au grondement des basses pour culminer dans un torrent vocal haletant qui progressivement s’efface pour revenir au silence.
Dans la première partie, le Grand chœur a livré deux pièces chorales : Upon your heart d’Eleanor Daley et Terre-Neuve de Marie-Claire Saindon. La pièce de Daley est dans un style très aérien avec des harmonies très rapprochées que les choristes ont bien exécutées, malgré de perceptibles différences de timbres dans les voix. La pièce de Saindon proposait une texture harmonique similaire, avec un vernis plus dynamique où des passages de percussions corporelles exemplifiaient le craquement de la glace. Ce n’est d’ailleurs pas le seul élément qui a craqué dans cette pièce. Une confusion générale au niveau du rythme et des notes a forcé le chef à redémarrer l’œuvre après quelques secondes. Une fois reparti, le résultat était fort appréciable. Faire appel à un chœur constitué d’amateurs, aussi bons soient-ils, comporte forcément, dans une programmation d’un ensemble professionnel, des éléments de risque et de débalancement au niveau de l’esthétique vocale du concert. Mais il faut tout de même souligner l’engagement et la détermination de ceux-ci à se mouiller à cet exercice par passion et par amour du chant choral. Les retrouver dans les premières rangées du parterre chanter All Together We Are Love de Katerina Gimon illustre parfaitement cet honorable dévouement.
Après avoir offert la fameuse pièce de Joseph Kosma Les feuilles mortes, l’Ensemble ArtChoral a conclu son concert par une interprétation de chansons d’Édith Piaf, arrangée par Jean-François Daigneault et William Kraushaar dans des approches stylistiques contrastantes. Alors que Daigneault a privilégié une approche texturale et d’effet, notamment dans La foule où les voix imitent le timbre de l’accompagnement orchestral, Kraushaar mise sur la clarté du texte. Son arrangement de l’air populaire Dans les prisons de Nantes, accentuait magnifiquement le caractère modal de la pièce.
Malgré quelques petits accrocs interprétatifs, le dynamisme et la convivialité exprimés par Matthias Maute et le côté inventif de son programme, à l’image de la pièce qui a terminé la soirée, nous ne regrettons rien de notre présence à ce concert.
crédit photo : Tam Lan Truong