Je tiens à vous dire tout de suite que j’ai passé une belle soirée malgré les bémols que je m’apprête à apposer sur la partition de cette analyse. La soirée, nommée Aptitudes matérielles, c’était celle d’une rencontre entre les scènes créatives contemporaines de New York et de Montréal, présentée à l’Espace Bleu du Wilder, dans le Quartier des Spectacles à Montréal, et ceci sous le chapeau du Vivier, indispensable catalyseur musical de la scène montréalaise.
L’ensemble Hypercube, de New York, une quatuor hors norme formé d’un piano, d’un saxophone, d’une guitare électrique et de percussions, croisait les effluves sonores avec trois artistes montréalais, Antonin Bourgault, Antoine Goudreau et Corie Rose Soumah. Seul Bourgault s’est véritablement joint aux New-yorkais avec son saxophone. Pour les autres, c’est uniquement en tant que compositeur.trice que la relation s’est incarnée.
Je retiens plusieurs choses de cette expérience : l’excellence des interprètes de Hypercube, un groupe soudé serré tant dans l’écoute mutuelle que dans l’impressionnante qualité technique déployée. Je retiens aussi que l’avant-garde musicale à fait du chemin depuis 50, voire 75 ans. On est rendu à un point où on peut apprécier un concert de ce genre, goûter à l’excellence interprétative manifestée et à la beauté plastique des sonorités générées sur scène, sans réellement être surpris par la proposition. C’est en effet le sentiment qui m’a assailli lors du concert : j’ai déjà entendu cela très souvent. Car dans les abstractions narratives suggérées, les nombreuses saillies timbrales, les contrastes texturaux et les jaillissements sonores, rien de vraiment révolutionnaire, voire intrigant, n’est apparu. Beau et plastiquement impeccable, mais pas surprenant ni hors des sentiers battus.
Cela dit, tel que mentionné, votre humble serviteur à tout de même passé une agréable soirée, car la musique offerte était intelligente, nourrie aux meilleurs savoirs et conçue dans un esprit évident de communication à la fois esthétique et sensoriel.
Mentionnons d’abord la très belle spatialisation des portions acousmatiques des partitions, une octophonie (si je ne m’abuse) efficace et qui a réussi à plonger les spectateurs au centre d’agréables élans synthétiques. Musicalement, je résumerai en disant que Soumah et Goudreau sont les meilleurs pour tirer profit des possibilités coloristiques de l’ensemble Hypercube, en les intégrant dans des constructions dramatiques efficaces, discursivement éclatées mais compréhensibles. Corie Rose Soumah est l’une des voix les plus intéressantes de la relève en musique savante, et sa page Soundcloud devrait être une priorité d’écoute, si la chose contemporaine vous intéresse vraiment.
Page Soundcloud de Corie Rose Soumah
La saxophoniste de Hypercube, la Canadienne Erin Rogers, a offert Mirror to Fire, une pièce dérivée d’une chanson de Nine Inch Nails (The Lovers, de l’album Add Violence). Devenu une sorte d’étude sur les possibilités musicales d’une séparation des piliers harmoniques et rythmiques d’une œuvre ‘’populaire’’, Mirror to Fire est la partition la plus aisée en termes de cheminement discursif qui a pu être entendue dans le concert. Soulignons que toutes les oeuvres au programme étaient des créations (mondiales pour chacune, sauf pour une des pièces de Soumah, une création canadienne).
De l’avant-garde classique, qui puise autant chez Stockhausen que dans le free jazz des années 1970, sans étonnement particulier mais d’une indéniablement séduisante facture artistique.