Au sol, une batterie minimaliste, petite et vieillie, était entourée d’objets métalliques et de baguettes de toutes sortes. En guise de cymbales, deux grands gongs chinois détachés de la batterie s’imposaient à la gauche du percussionniste. Sans introduction, c’est sur le plus grand des deux gongs que Tatsuya Nakatani a démarré sa prestation à la Sala Rossa dans le contexte de FLUX, en cette soirée du 6 octobre.
À coup d’archet faits maison, il s’est mis à faire résonner ledit instrument dans toute la richesse inharmonique de son timbre. Nakatani s’aidait souvent de sa main libre pour toucher divers points de pression du gong, permettant d’en faire ressortir les partiels harmoniques. Immédiatement, on découvrait l’artisanat d’un musicien ayant travaillé avec ces objets presque toute sa vie.
Son jeu imprévisible, même pour lui, a fait évoluer ce début lent et résonant vers la batterie. Assis derrière ces peaux graissées au colophane, Nakatani laisse exploser une créativité débridée. Dans un jeu nerveux, il déplaçait et fracassait brusquement ses accessoires entre eux sur sa caisse claire et son floor tom. Cymbales molles, bols chantants de tailles variées et autres objets scintillants avaient tour à tour leur chance d’altérer aléatoirement le son de la batterie, s’entrechoquant au passage et créant des textures spontanées. Par moment, Nakatani empoignait ses baguettes et improvisait des phrasés rythmiques sur cette batterie préparée.
Durant la demi-heure qu’a duré cette improvisation, Nakatani est fréquemment passé de sa batterie aux gongs suspendus à ses côtés. Les yeux fermés, tout en sueur, il a maintenu une énergie et une tension constante, ce qui n’enlève rien à sa maîtrise remarquable des dynamiques et des effets surprises dramatiques.
On se souviendra notamment des deux gongs joués en simultané, un archet dans chaque main, qui laissaient percer des notes insoupçonnées à travers les sommets d’intensité. Il y a également eu un moment d’accalmie intéressant lorsque Nakatani fut derrière sa batterie. Avec quatre petits bols chantants placés sur sa caisse claire et jouée à l’archet, il a installé une séquence mélodique de quatre notes. Toujours entrecoupé d’autres explosions percussives, le motif revenait toujours créer cet effet d’apesanteur qui contrastait à merveille avec le reste de la performance. Ce soir-là, Nakatani a démontré à nouveau sa pertinence dans le paysage de la percussion contemporaine ainsi que le langage unique qu’il a façonné depuis des décennies.
Notes de soirée
Avant que tout commence sur scène, une file d’attente s’était déjà dessinée dans les marches menant à la salle de concert, et elle s’allongeait petit à petit. Comme amuse-gueule, l’installation ARTS CARE de Jesse Stewart qui réagissait de façon un peu maladroite aux mouvements via un iPad. Huit plateaux de métal découpés en forme de lettres étaient disposés sur un cadre avec mécanisme de frappe déclenché par le senseur de mouvements (le système AUMI, développé par la compositrice américaine Pauline Oliveros). Ces “gongs-lettres”, ainsi définies par l’artiste, étaient donc thématiquement appropriées pour cette soirée où les gongs chinois étaient à l’honneur.
La soirée s’est ouverte sur une présentation de Raphael Foisy-Couture, directeur des Mardis Spaghettis. Il a d’abord souligné l’apport des divers organismes coproducteurs de l’événement: Arts in the Margins, Mardis Spaghettis, Réseau Canadien pour les Nouvelles Musiques, Innovations en concert ainsi que les radios CKUT et CJLO. Il a ensuite fait un rappel nécessaire de la guerre qui frappe toujours la Palestine et nous a invités à réfléchir sur le privilège qui est celui d’avoir des espaces communautaires et sécuritaires de créativité. C’est sur ce ton engagé que l’entièreté du festival semble se présenter, un contraste bienvenu à la neutralité qui persiste dans les milieux plus académiques de la musique nouvelle.
photo : Elaine Graham
Nakatani Gong Orchestra
Après une courte pause, les 16 artistes locaux constituant l’orchestre de gong dirigé par Nakatani se sont placés dans l’espace. Tout ce beau monde avait passé l’après-midi en atelier avec le percussionniste afin de préparer cette performance. Nakatani, face à son propre gong ainsi qu’à son orchestre, s’était doté d’un minuteur ainsi que d’un schéma papier de la séquence des événements sonores. Grand contraste avec le jeu pointilliste du batteur en solo, l’orchestre de gong s’est attelé à développer des masses sonores, pour les oreilles et pour le corps, qui atteignaient parfois des volumes sonores perçants.
Nakatani dirigeait l’ensemble en prescrivant diverses configurations selon deux modes de jeu principaux: archet et mailloche. Sa compréhension du comportement des gongs lui permettait de faire changer fluidement la texture d’une masse inharmonique et bruyante à un bain de son plus nuancé où certaines hauteurs sonores pouvaient créer des intervalles et injecter une couleur plus mélodique à toute l’affaire. Quand il ne jouait pas lui-même du gong, Nakatani dirigeait de ses deux mains, à l’aide d’un système de symboles quelque peu énigmatique. Le moment le plus spectaculaire demeure celui où il a provoqué des vagues sonores parcourant un côté de la pièce à l’autre. Également, des fenêtres sonores étaient découpées dans l’espace selon les limites pointées par les mains du percussionniste. À ces moments, le lien entre la direction et le résultat sonore apparaissait très clairement, et on aurait dit que la gestuelle relevait du sortilège.
Cet oorchestre de gong, comme l’a souligné Nakatani, est le résultat de toute une vie de travail. Chaque prestation est différente, un fait qui s’est bien fait sentir au festival FLUX, alors qu’on assistait à une collaboration inédite entre le percussionniste et 16 membres de la communauté artistique locale. À la fin du spectacle, Nakatani nous a suggéré de garder nos vibrations près de nous et le moins qu’on puisse dire, c’est que ce concert risque de résonner encore longtemps dans l’imaginaire de l’auditoire. Dans la catégorie “il fallait y être”.