Fort d’un Orfeo magistral en 2023, la Cappella mediterranea dirigée par Leonardo Garcia Alarcon effectuait un retour attendu à Lanaudière avec ‘’l’autre’’ opéra de Monteverdi, Le couronnement de Poppée. Une oeuvre différente, conçue à la toute fin de la vie du compositeur (alors qu’Orphée a été écrit une trentaine d’années plus tôt) et soumise à des diktats commerciaux inédits pour l’opéra. À ce sujet, LISEZ l’entrevue que j’ai réalisée avec M. Alarcon en prévision de ce concert.
Alarcon était entouré de ses fidèles collègues, aux instruments et au chant, plusieurs étaient là en 2023. Même calibre donc, et cela en ajoutant la Lanaudoise Pascale Giguère, appelée en renfort à la dernière minute pour remplacer un violoniste malade. Chapeau à Mme Giguère, et fierté appropriée, car la musicienne a dévoilé une qualité de jeu pleinement à la hauteur de l’ensemble.
Dans une jauge plus économe que pour Orfeo (voir encore une fois l’entrevue mentionnée plus haut), la Cappella a démontré sa parfaite adéquation avec la partition, autant dans la suggestion des affects que la précision des lignes mélodiques et accompagnatrices. Et, encore une fois, la splendeur des chanteurs et chanteuses était au rendez-vous. Le contre-ténor Niccolo Balducci dans le rôle de Néron était bien impérial, mais sans grandiloquence. Sophie Juncker, qu’on a dit indisposée par un virus, a fort bien tenu sa partie, même si on a remarqué effectivement d’occasionnelles défaillances dans la force de projection. Rien pour nous faire bouder, cela dit. Les rôles secondaires étaient tous de très belle tenue : solennel Edward Grint (Sénèque), amoureuse voire naïve Lucia Martin Carton (Drusilla), un peu pitoyable, et même loser, Christopher Lowrey (Othon, aptement ridicule avec ce t-shirt hawaïen) et truculent Samuel Boden dans une panoplie de petits rôles (une nourrice, Arnalta, Damigella…), qu’il exécutait avec humour et désinvolture, malgré le recours à une tablette sur laquelle il consultait sa partition. On ne peut qu’imaginer l’impact augmenté que sa performance aurait s’il savait s’en passer!
Mais au-delà de tout cela, j’ai été particulièrement séduit par la soprano Mariana Flores, dans le rôle d’octavie, impératrice noble et un peu hautaine, humiliée par le rejet de son empereur de mari et amenée à comploter comme une vilaine pour sauver son mariage et, surtout, son titre et sa réputation.
Dans une robe moulante exquise, elle était désirable comme une reine se doit de l’être dans les légendes. Mais sa prestance tendance olympienne lui donnait cette distance émotionnelle appropriée, expression d’un personnage que Néron qualifie de ‘’frigide’’. Une accusation souvent teintée de misogynie, mais qui, ici, renvoie à une attitude typique d’une matrone issue d’une lignée prestigieuse et aristocratique, dont la dignité bafouée ne peut s’exprimer que par un certain mépris du monde. Mariana Flores avait, hier, la voix la plus accomplie, la plus qualitativement holistique, puissamment expressive dans la colère, poignante malgré sa réserve dans ses murmures aigus idéaux. Une voix sans faille tonale, ni approximation timbrale. Pour votre humble serviteur, la reine de la soirée, malgré sa déchéance finale dans le scénario.
Dans l’ensemble, aussi, des jeux d’acteurs impressionnants, incarnés, manifestement travaillés longuement et expertement. On y croit de bout en bout.
Leonardo Garcia Alarcon a démontré toute la profondeur de sa maîtrise du langage et du style monteverdien. Encore un triomphe pour le directeur musical. On se demande quel miracle il nous apportera la prochaine fois, mais on ne peut que l’attendre avec impatience.
Cela dit, il faudra que le public soit digne de recevoir cette qualité artistique, en venant plus nombreux. Sinon, à un moment donné, il y a des gens qui se lasseront de proposer des programmes exceptionnels devant des parterre clairsemés.