Piano, violon, violoncelle, contrebasse, images fantomatiques de la maison en Toscane et plus encore. Moran a brillamment relevé le défi en se frottant, hier soir, à l’œuvre de l’« immense provocateur » qu’était Léo Ferré.
Après Catherine Sauvage, Renée Claude, Philippe Léotard, Dan Bigras, une question me hantait : est-ce que la voix basse, le chant chevrotant et la personnalité scénique plutôt calme de Moran se marieront bien au chant et aux déclamations si marqués et parfois très intenses de Ferré?
Ouverture avec Préface. Un texte déclamé dont quelques lignes auront traversé le temps pour devenir des citations : « ce qu’il y a d’encombrant avec la morale, c’est que c’est toujours la morale des autres ». Puis, autre chef d’œuvre Tu ne dis jamais rien. La pièce qui aura inoculé à Moran la passion ferréenne.
Tout vêtu de noir, comme les quatre instrumentistes derrière lui, Moran, près de son lutrin, assume. Voix limpide et prononciation soignée font mouche. Le ton est donné. L’artiste nous avait dit qu’il abordait ce tour de chant avec « respect et humilité ».
C’est vrai. Trop, se dit-on ici et là, notamment, après Ni dieu ni maître qui était aussi pour Léo une chanson exutoire. Lorsque l’on manipule des mots fait de nitroglycérine, l’explosion ne doit-elle pas se produire? Le spectacle en est seulement à sa seconde représentation et « on apprend à se connaître devant vous », dira Moran.
Des perles noires
Qu’à cela ne tienne, les classiques défilent comme autant de perles de Beaujolais nouveau grand millésime grâce aussi aux orchestrations exquises électro-acoustiques et aux ambiances sonores du pianiste Martin Lizotte. Sans oublier les jeunes et talentueuses musiciennes aux cordes : Marie Nadeau-Tremblay (violon), Sahara von Hattenberger (violoncelle) et Émilou Johnson (contrebasse et basse).
Avant la pause, nous avons droit à un diaporama onirique où Mathieu Ferré récite un texte méconnu, mais savoureux, de son illustre père à propos de Bardot, Gainsbourg, Aznavour, Jésus et autres Johnny Hallyday : Les idoles n’existent pas. Hélas, en raison de la disposition des musiciens et de leurs instruments, les images projetées à hauteur de scène sont voilées pour le public du parterre dont nous sommes.
Au retour, La Solitude raisonne. Le violoncelle pleure et nous entraîne dans ses sanglots longs de l’automne. Moran, qu’on ne voit pas sur la scène, se révolte. On passe du respect à la connivence. L’explosion se produit. Fiou. Il se passe vraiment quelque chose.
Le choix des titres a dû être déchirant, mais au final, des plus judicieux : Pépé, qui ne devait pas être sur la liste, s’avère une des interprétations les plus touchantes. Moran peut s’aventurer dans les notes plus hautes. Le public avisé aura eu droit à La Mémoire et la mer, Ton Style, C’est extra (plus difficile) et autres perles noires, avant l’incontournable Avec le temps. Il n’y aura pas de rappel, c’était prévu.
On repart ragaillardi en se disant que, quoiqu’en dise Moran en entrevue, il est presque impossible que ce spectacle ne se retrouve pas un jour capturé sur disque.
Non, avec le temps, tout ne s’en va pas. On l’a redécouvert hier soir. Vivement une tournée, nous serons au rendez-vous. Tout comme notre jeune voisin de table, francophile de Vancouver, qui est né à… la Mecque.
C’est le vieil anar qui n’avait ni dieu ni maître qui serait ravi.
crédit photo: Jean-François Leblanc