Il y a presque 92 ans et demi, le 7 octobre 1928, naquit à Montréal Raymond Lévesque. Il grandit près du parc Lafontaine, fut élève du pianiste et compositeur Rodolphe Mathieu ainsi que de Madame Audet, légendaire professeure de phonétique et d’art dramatique. Le jeune Raymond est déjà à pied d’œuvre en 1944, alors que les canons tonnent encore sur l’Europe et le Pacifique. Son parcours d’esprit universel de la culture populaire est en marche. Monsieur Lévesque sera acteur, animateur de télé, auteur-compositeur pour d’autres puis pour lui, compagnon de cabaret de Jacques Normand, cofondateur du collectif de chansonniers Les Bozos avec Clémence Desrochers, Jean-Pierre Ferland, Hervé Brousseau et Claude Léveillée, propriétaire de boîtes à chanson, dramaturge et romancier, entre autres.
Raymond Lévesque fut l’archétype de l’artiste engagé. Comme l’explique éloquemment Bruno Roy dans son essai « Et cette Amérique chante en québécois », Lévesque et Clémence Desrochers furent les premiers « monologuistes sociaux » d’ici. Son monologue pacifiste Kommandantur fut l’un des faits saillants du spectacle « Poèmes et chants de la résistance 2 », qui eut lieu au Gésu en janvier 1971. À titre de chansonnier, Raymond Lévesque fut parolier-porte-parole du peuple et du territoire de son île natale, comme dans À Saint-Henri et Rosemont sous la pluie; parolier-historien comme dans La bataille de Châteauguay; parolier-syndicaliste comme dans son album Raymond Lévesque chante les travailleurs; parolier-amoureux de sa patrie dans Québec mon pays, Mon Québec et Le p’tit Québec de mon cœur; et parolier-chantre de l’indépendance dans Le fond du fleuve et Bozo les culottes.
À ce sujet, le narrateur de sa chanson Séparatisme se fait demander, trois ans avant que Michèle Lalonde n’écrive son emblématique poème, « Why don’t you speak white? ». À l’écoute de Séparatisme, l’auditeur attentif entendra aussi une tirade parallèle à celle que Léo Ferré créera dans Les anarchistes, quelques années plus tard.
En 1956, lors d’un séjour en France qui dura cinq ans, Raymond Lévesque écrivit Quand les hommes vivront d’amour, sur fond de guerre d’Algérie. Cet hymne humaniste, créé 15 ans avant l’Imagine de Lennon, fut d’abord un succès pour le chanteur-acteur Eddie Constantine. Au cours des décennies suivantes, Quand les hommes vivront d’amour a été reprise par des dizaines d’interprètes, en diverses langues, dont Félix Leclerc, Gilles Vigneault et Robert Charlebois pour la SuperFrancofête de 1974. En 1992, un vote populaire en a fait la « Chanson québécoise du siècle ». D’aucuns la considèrent comme la plus grande chanson de la Francophonie.
En 2016, la maison de disques GSI a publié l’album-hommage Chapeau Monsieur Lévesque, où un aréopage d’artistes comme Koriass, Marie-Pierre Arthur, Emmanuel Bilodeau, Mado Lamotte, Richard Séguin, Nanette Workman, Stéphane Archambault, Luce Dufault, Mélanie Renaud, David Goudreault, Yves Lambert, ainsi que Marie-Marine et Jean-Vivier Lévesque, fille et fils de Monsieur Lévesque et musiciens à part entière, a repris des chansons, des poèmes et des monologues répartis en trois volets qui cernent bien l’homme : L’humaniste, L’engagé et Le fantaisiste.
« L’héritage humain
C’est encore demain
Ce que chacun de nous
De sa courte vie
Aura fait sans bruit
La main à la roue
Car le monde, aussi grand qu’il soit
Ami, c’est un peu de moi
C’est un peu de toi »
L’héritage humain, Raymond Lévesque, 1967