PAN M 360 PRÉSENTE SON TOP 100 DE 2021! (CINQUIÈME PARTIE, D’OCTOBRE À DÉCEMBRE)

par Rédaction PAN M 360

Le dévoilement des 100 meilleurs albums de 2021 selon PAN M 360, en cinq tranches et autant de jours, se conclut avec les opus les plus marquants des derniers mois de l’année.

L’équipe de Pan M 360

La Zarra
Traîtrise
Universal

Attention coup de cœur. D’emblée, l’album s’ouvre sur « Fille de joie », une pièce qui plante le décor du personnage qu’est La Zarra. Juxtaposition d’une voix contralto et tragique au propos mélancolique à une musique qui évoque les grosses productions cinématographiques avec ses cordes et ses beats saccadés. Le personnage s’impose. D’entrée de jeu, il s’agit de choisir d’y croire ou non. Va pour la première option. Bang! (Claude André)

Converge / Chelsea Wolfe
Bloodmoon I
Epitaph

Chelsea Wolfe se joint de nouveau au groupe Converge, l’objet étant de jeter un éclairage ambient à l’approche de la formation, réputée pour la complexité et la haute virtuosité mathcore de ses propositions. Or, on s’applique ici à jouer et chanter sur des tempos moyens ou lents, les choses deviennent forcément plus mélodiques, les ambiances plus douces qu’aigres. Nous sommes ici dans un contexte idéal, là où se rencontrent la profondeur d’un concept, l’animalité, la sensualité, la lourdeur, la saturation doom-metal, les guitares dégoulinantes, les influx post-rock ou post-prog, la virtuosité de l’exécution. (Alain Brunet)


Clinic
Fantasy Island
Domino

Le groupe qui portait des masques de chirurgiens avant que ce ne soit la mode a livré, en octobre dernier, ce qui pourrait bien être le disque le plus positif et peut-être le plus pop et le plus électronique de son catalogue. Pour résumer, Clinic s’est mis au disco funky, élargissant sa palette sonore grâce à l’ajout de plusieurs nouveaux gadgets et instruments farfelus. Ce neuvième effort du désormais duo de Liverpool mélange des influences aussi disparates que The Human League, Fun Boy Three, Kid Creole et The Coconuts, le disco cosmique italien, le Memphis Jug Band et le vieux blues en un tout cohérent, groovy et toujours menaçant. (Patrick Baillargeon)

Dooms Children
Dooms Children
Dine Alone

Wade MacNeil, qui officie chez Alexisonfire et Gallows, a créé un véritable grimoire rock psychédélique, un album imprégné de toutes ses insécurités, passions et expériences hallucinatoires. MacNeil sait exactement ce qu’il veut, musicalement. Sur ce premier opus solo, il fait se rencontrer le psych-rock des années 1960 et la musique de jam-bands contemporains. Dooms Children est saupoudré de riffs mémorables, de sons obsédants et de chants veloutés. (Stephan Boissonneault)


Xenia Rubinos
Una Rosa
Anti-

S’exprimant en espagnol et en anglais, cette brillante métisse américaine procède à un mélange protéiné de genres, au croisement de la synth-pop, de la synthwave, de l’avant-pop, de la soul/R&B, du hip hop, du jazz, de la rumba ou du boléro, le tout enrobé d’une touche expérimentale rejaillissant sur pas moins de 14 chansons et pièces. Una Rosa, deuxième opus studio paru chez Anti-, offre ainsi un répertoire furieusement éclaté, dont on apprécie la cohérence et la vaste culture musicale au fil des écoutes. L’approche compositionnelle, les arrangements atypiques et la voix très chargée émotionnellement font de Xenia Rubinos une artiste d’exception. (Alain Brunet)

Jerusalem In My Heart
Qalaq
Constellation

Quel autre artiste que le Canado-Libanais Radwan Ghazi Moumneh procède à ces mélanges extrêmes de musique traditionnelle/classique du Levant et de sombres propositions ambient aux frontières du bruitisme? Le maître d’œuvre de cette singulière approche multidisciplinaire a mis au point un langage unique, distinct de toutes les propositions moyen-orientales et occidentales, moult collaborations à l’appui dans le cas qui nous occupe. Métaphoriquement, Qalaq peut être perçu comme le documentaire émotionnel des violentes secousses subies à Beyrouth en 2020, ainsi que des enjeux esthétiques auxquels ses artistes doivent aujourd’hui s’adapter. Voilà l’expression de l’anxiété profonde… ce que signifie le mot Qalaq. (Alain Brunet)


Omar Sosa & Seckou Keita
Suba
Bendigedig / Otá Records

Quatre ans après leur magnifique Transparent Waters, le pianiste cubain et le griot sénégalais récidivent avec Suba. L’excellent percussionniste vénézuélien Gustavo Ovelles, décorateur nuancé et discret, les accompagne sur cet album. Il y a une telle connivence, une telle qualité d’écoute dans ce trio magique qu’on entend même les silences entre eux, la retenue, la tendresse, l’humanité… Suba, le titre de cet ouvrage, signifie bel et bien « ode à l’aube » dans la langue maternelle de Keita. Mentionnons aussi la présence d’un autre invité de marque, le violoncelliste brésilien Jaques Morelenbaum. Hautement recommandé. (Ralph Boncy)

Aquaserge
The Possibility of a New Work for Aquaserge
Crammed Discs

Pour ce nouvel ouvrage, les neuf musiciens du collectif protéiforme toulousain Aquaserge se fendent d’hommages à quatre compositeurs contemporains, soit Edgard Varèse (1883-1965), Giacinto Scelsi (1905-1988), György Ligeti (1923-2006) et Morton Feldman (1926-1987). Gros programme, qui comprend cinq pièces-hommages composées par Aquaserge, puis une chanson écrite par Varèse sur des vers de Verlaine, ainsi qu’une pièce de Morton Feldman sur un texte de Rainer-Maria Rilke (en deux versions). C’est calme, c’est frénétique, c’est mélodieux, c’est échevelé, c’est semi-classique, c’est nouveau-prog, c’est post-jazz, c’est avant-rock, ça rue dans les brancards, ça modère les transports, c’est fort, c’est rude, c’est rond, c’est bon. Très très bon, même. (Luc Marchessault)


Christina Pluhar / L’Arpeggiata
Alla Napoletana
Erato

Musique truculente aux accents de la commedia dell’arte, du folklore et de la gouaille des ruelles étroites de la Naples des 17e et 18e siècles. Lyrisme délicat, onomatopées croustillantes, rythmes enlevants, bonne humeur communicative. Un album hommage aux premiers succès de Palmarès de l’histoire! (Frédéric Cardin)

Joy Crookes
Skin
Sony

En laissant se dérouler l’album de Joy Crookes, la pochette la montrant avec une armure de peau dorée prend une signification particulière. Au-delà du pouvoir qu’elle incarne à travers ses mots et la puissance discrète de sa voix, Joy Crookes, de son jeune âge, suscite un certain élan d’admiration. Skin est un album chargé d’une palette d’émotions et de couleurs, déclinées grâce à des textes dont elle est en grande partie l’auteure et d’une troupe d’instrumentistes (saxophone, tuba, basse, batterie) qui donnent corps à cette œuvre. Cet album dépasse la mouvance actuelle des chanteuses londoniennes de pop sucrée qui défilent en ce moment. (Anne-Sophie Rasolo)


Michael Klein
Trip Image
Odd Even

Trip Image se visualise plus qu’il ne s’écoute, tel un condensé de glitch haut en couleur. Une composition ardemment déchiffrable. Michael Klein, pianiste de formation classique né à Francfort, se familiarise avec la scène techno allemande dans les années 1990. La texture synthétique pétille sur un fond de modulaire hallucinogène, liée par une profondeur cacophonique. Trip Image a une saveur autant épileptique qu’orgasmique. Taste, Whisper, Touch et Smell : vos sens seront en totale déperdition. (Salima Bouaraour)

Attacca Quartet
Of All Joys
Sony Classical

Les membres de l’Attacca Quartet, ensemble primé aux GRAMMY Awards de 2019, proposent sur cet album un répertoire unique dans son assemblage, aux antipodes du point de vue historique, mais lié par une unité thématique. Avec beaucoup de dextérité et une grande musicalité, les interprètes font cohabiter les lignes épurées des œuvres minimalistes de Glass et Pärt, ainsi que la richesse harmonique des compositeurs des XVIe et XVIIe siècles tels Dowland, Bennett et Gibbons. Dans une esthétique à la fois méditative et pleine de vitalité, l’ensemble cimente son approche artistique, soit une redéfinition du quatuor à cordes et de son répertoire. (Alexandre Villemaire)


Bernard Lavilliers
Sous un soleil énorme
Universal

Les partisans du « trafiquant de métaphores » seront ravis et apaisés en écoutant Sous un soleil énorme, ce 22e album des plus réussis qui saura nous faire danser, voyager, triper, rêver, réfléchir et éclater en sanglots en onze chansons, et ce, dès Le cœur du monde, le premier titre. Peut-être son meilleur depuis l’immense Carnet de bord en 2004. Entre l’intime et le monde, Lavilliers tangue, mais pas toujours, sur des rythmes argentins accrocheurs et enveloppants, où des cuivres retentissants viennent ajouter des touches de lyrisme salvateur. (Claude André)

IDLES
Crawler
Partisan

La formation IDLES poursuit sur sa lancée, publiant presque un album par an depuis son premier, Brutalism, en 2017. Ultra Mono (2020) semblait insurpassable, mais IDLES nous revient avec ce qui est sans doute le meilleur post-punk atmosphérique entendu depuis belle lurette. Crawler diffère des albums habituels d’IDLES : la musique y est lente et lourde, la guitare discordante, la basse et la batterie tonitruantes. Les paroles de Joe Talbot sont violemment pacifistes, mais tout se tient dès le départ, lorsque Talbot demande aux auditeurs « Vous êtes prêts pour la tempête? »… (Stephan Boissonneault)


Léonie Pernet
Le Cirque de Consolation
InFiné

En seulement deux albums (l’autre est Crave, paru en 2018), une bande-son de série présentée sur Arte (H24 – 24 heures dans la vie d’une femme) et trois ou quatre microalbums (dont certains contiennent des remixes de ses chansons par Acid Arab, Malik Djoudi et Arthur Simonini), Léonie Pernet réussit à circonscrire son identité sonore. Son électro tend souvent vers l’acoustique, la Terre n’est jamais loin, le firmament non plus. On ne rit pas, « Le vide me poursuit depuis l’enfance », chante-t-elle dans La mort de Pierre. Le vieux tison new wave d’il y a 45 ans rougeoie encore. Tout, sur cet album dangereusement envoûtant, a été composé et écrit par Léonie Pernet, avec un coup de main de Jean-Sylvain Le Gouic pour quelques pièces. (Luc Marchessault)

Bruce Liu
18th International Frederic Chopin Competition: Bruce Liu
Deutsche Grammophon

Si vous n’avez pas eu l’occasion de suivre et d’entendre les prestations de Bruce Liu, premier Canadien à remporter le premier prix du Concours international de piano Frédéric Chopin, dont c’était la dix-huitième édition, alors cet album est fait pour vous. Sur cet album – assurément le premier d’une longue série –, on entend Bruce Liu interpréter l’essentiel du répertoire des épreuves éliminatoires, de son jeu dynamique et vivant. Sans tomber dans l’excès de sentimentalisme et d’intériorité que l’on peut souvent trouver chez Chopin, le jeune pianiste montréalais s’approprie le matériau musical dans un rendu bien personnel, empreint de lyrisme virtuose et d’une grande gaieté. (Alexandre Villemaire)


CMD
Social Factory Reset
Fixed Rhythms

Force, finesse et ambiance atmosphérique : tels sont les mots qui pourraient potentiellement définir cette dernière sortie de Corina MacDonald, alias CMD. Néanmoins, cela resterait extrêmement réducteur si on ne s’en tenait qu’à ces trois termes. Social Factory Reset est un EP d’une richesse et d’une qualité remarquables: le fruit d’un effort de longue haleine. CMD nous dévoile ici un album qui s’écoute de façon fluide et naturelle avec des sons (re)travaillés, triturés et enchevêtrés les uns aux autres, donnant à l’ensemble une composition d’une harmonie et d’une quiétude remarquables. Un subtil mélange entre dub, acid, techno, house, voire post-new wave et electro. Corina est une femme aguerrie de la scène montréalaise puisqu’elle est productrice, DJ, animatrice d’une émission de radio – Modular Systems sur CKUT 90.3FM –  et s’est produite à maintes reprises au festival MUTEK, notamment. Je lui souhaite de continuer à briller encore plus haut et plus loin en 2022. (Salima Bouaraour)

The Witching Tale
The Witching Tale
Bellissima Records

Voici le premier album d’un groupe formé de la compositrice et productrice Katharine Blake (Mediæval Bæbes, Miranda Sex Garden) et du multi-instrumentiste Michael J. York (Teleplasmiste, The Utopia Strong, Coil). Six musiciens supplémentaires ont été mis à contribution pour enrichir, si besoin était, ce ravissant opus tout en contrepoints et en dissonances. Riche est l’épithète qui vient en tête devant la liste des 28 instruments utilisés, en plus du chant et des enregistrements extérieurs. La musique n’apparaît jamais saturée : finement écrite et interprétée, l’impression en est une de légèreté et de grâce. De véritables joyaux qui trouvent à marier, de manière toujours adroite, élévation et expérimentation. (Geneviève Gendreau)


Ascii.Disko
Todos los conciertos, todas las noches, todo vacío
Young and Cold Records

Tout portait à croire que le vétéran originaire de Hambourg avait laissé tomber sa carrière musicale. Sa pièce Phoenix (2008) présageait-elle ce retour que l’on n’osait plus attendre? Quoi qu’il en soit, Ascii.Disko renaît bel et bien de ses cendres, de toute évidence encore fumantes. Il renoue robustement avec ses sonorités caractéristiques, tantôt minimalistes, tantôt extrêmement pesantes. L’artiste maintenant établi en Espagne nous offre un album d’une très grande attractivité, qu’il s’agisse de pistes plus introspectives et minimalistes (Stillstand, Unter Wellen) ou de véritables brûlots dansants (Selbstaufgabe, Todas las noches, So Anders) qui n’ont rien à envier aux classiques de son répertoire. (Geneviève Gendreau)

Arca
Kick ii, iii, iiii, iiiii
XL

Arca a entrepris de multiplier les compositions à travers Kick, cycle amorcé publiquement en juin 2020 et dont on a droit aux deuxième, troisième, quatrième et cinquième volets. Non seulement cette artiste transgenre y réussit le tour de force d’implanter bruitisme et électroacoustique de pointe dans un contexte de pop culture, mais encore y infuse-t-elle ses racines latino-américaines à travers une œuvre déjà colossale. Décliné en chapitres distincts où s’entrelardent reggaeton, cumbia électronique, post-rock et grunge, le vaste projet Kick nous en dit plus long sur le génie d’Arca. (Alain Brunet)

dancehall / dub reggae / reggae / roots reggae

Robbie Shakespeare O.D. : 27 septembre 1953 – 8 décembre 2021

par Richard Lafrance

Avec son compère de longue date Sly Dunbar à la batterie, le bassiste Robbie Shakespeare formait The Riddim Twins, reconnue comme la section rythmique suprême du reggae des 50 dernières années. Son décès, de problèmes rénaux à 68 ans mercredi dernier à Miami, où il résidait depuis quelques années, met en lumière les périodes charnières qui ont défini la musique jamaïcaine contemporaine depuis les années 70, et dont il était l’un des principaux architectes.

À l’adolescence, après s’être essayé à la guitare, puis à la batterie, il développa une fascination pour le son de la basse électrique d’Aston « Family Man » Barrett, alors membre de la formation The Hippy Boys qui traînait souvent dans sa cour, voisine d’un centre de distribution de ganja très prisé des musiciens de Kingston Est. Barrett accepta de lui enseigner sa technique et Shakespeare entreprit d’accompagner les frères Barrett – « Fams » et son batteur de frère Carly – en studio aussi souvent que possible. Il assurait le montage et démontage de la batterie, tout en observant son jeu de basse. Plus tard le soir, Fams lui enseignait plus précisément, chez lui, les lignes de basses déployées au cours de la session quotidienne. Vers 1972, quand Family Man quitta les Hippy Boys pour se joindre aux Upsetters, Shakespeare le remplace et s’engage également auprès du groupe The Revolutionaries, le groupe maison du mythique studio Channel One, duquel il sera l’un des architectes sonores principaux en développant le son « Rockers ». L’année suivante, au club reggae Tit For Tat, il fait la rencontre du batteur Lowell « Sly » Dunbar, monte sur scène avec lui pour quelques morceaux et scelle ainsi une collaboration qui s’étirera sur plus de cinq décennies.


The Riddim Twins, en demande par tous les grands producteurs de l’époque, dont particulièrement Bunny Striker Lee qui les fait accompagner ses artistes fétiches comme Cornell Campbell, Johnny Clarke, Linval Thompson et Barry Brown sous le nom The Aggrovators, bourlinguent quelques mois en tant qu’agents libres, pour ensuite former leur label et maison de production Taxi Gang en 1979. Leur première production, Gregory Issacs avec Soon Forward, sera un immense succès et leur attirera les stars du moment, dont Dennis Brown, Sugar Minott, Augustus Pablo et Barrington Levy. Cette popularité immédiate amènera donc le duo à accompagner les artistes jamaïcains les plus en vue de l’époque, en plus d’artistes internationaux qui débarquent en Jamaïque ou aux studios Compass Point aux Bahamas – Chris Blackwell, propriétaire d’Island Records et du studio, les nomma « groupe d’accompagnement maison » (Compass Point Allstars) –  pour enregistrer avec eux : on pense entre autres à Mick Jagger, Bob Dylan, Yoko Ono, Jackson Browne, Carly Simon, Joe Cocker, Cindy Lauper, Grace Jones, Sting, Britney Spears et, évidemment, Serge Gainsbourg.


À l’aube des années 80, après la mort de Bob Marley, Sly & Robbie développent un son et une image inspirée de la culture du rock, qui propulsera le trio vocal Black Uhuru à une renommée mondiale et leur procurera un Grammy en 1985 pour l’album classique Anthem; ils en récolteront deux au total, avec onze nominations, ainsi qu’une tournée en première partie des Rolling Stones. Le Taxi Gang n’est pas en mal de tournées non plus : en compagnie de Yellowman, Ini Kamoze et Half Pint en 1986, les Riddims Twins écument la planète et renouvelleront la proposition avec Michael Rose, Johnny Osbourne et Bitty McLean dans les années 2000.

Au début des années 90, le duo introduit Murder She Wrote, de Chaka Demus et Pliers et sa reprise de Bam Bam de Pliers, empruntée à la chanson gagnante du tout premier Festival de chanson jamaïcain de Toots & The Maytals en 1966, qui sera échantillonnée copieusement jusqu’à nos jours. Toujours très actif, le duo proposait cette année même son plus récent opus à saveur expérimentale, Red Hills Road, sur l’étiquette française Tabou.

On estime que Sly & Robbie ont joué ou produit près de 200 000 chansons en carrière! L’an dernier, le magazine Rolling Stone décernait la 17e place des meilleurs bassistes de tous les temps à Robbie Shakespeare. Voici ce que le premier ministre jamaïcain Andrew Holness a tweeté ce matin : « On se souviendra de lui pour sa contribution remarquable à l’industrie de la musique jamaïcaine. »

(photo : gettyimages)

indie rock / krautrock / math rock / néo-psychédélique / pop-rock / post-rock / punk / rock expérimental

Faits saillants du FME 2021

par Stephan Boissonneault

Ce festival boréal a accueilli certains des artistes les plus fascinants du moment.


Le week-end dernier, à huit heures de voiture de Montréal, avait lieu à Rouyn-Noranda la 19édition du Festival de musique émergente (FME). Pendant quatre jours, les musicophiles ont pu voir et entendre les créateurs de musique qui ont le vent dans les voiles, au Québec et en Ontario. Des représentants de la vieille garde y étaient aussi, comme les porteurs du flambeau post-art-rock The Besnard Lakes et les héros du prog-métal futuriste Voivod. Or, le FME met surtout en scène des artistes dont vous n’avez peut-être jamais entendu parler. PAN M 360 se fait un devoir de vous présenter quelques incontournables.

Hippie Hourrah

Les fans des formations The Growlers ou Allah Las se réjouiront du son de Hippie Hourrah, le nouveau projet psychédélique-paisible de Cédric Marinelli (Les Marinellis), Miles Dupire-Gagnon (Elephant Stone, Anemone) et Gabriel Lambert (Elephant Stone, Anemone, The Besnard Lakes). Hippie Hourrah transporte l’auditeur dans un brouillard hypnotique. Vous serez émerveillés par les solos de guitare aux effets de boucles et de delay. La formation transcende amplement le bizounage de guitares, cependant. Un sitar-basse produit d’efficaces effets de bourdon, les textes en français semblent légers, mais sont complexes. Hippie Hourrah s’avère la trame sonore parfaite d’un jogging matinal, d’une séance de yoga ou d’une dégustation de produits psychédéliques, si c’est votre truc. Le groupe sera en concert à Sherbrooke en novembre.

Marie Davidson & L’Œil Nu

Marie Davidson fait de l’électro-pop expérimentale depuis 2012, année de parution d’un premier album homonyme. Son plus récent projet comprend un trio d’amis-musiciens de longue date, qui ont tous fait leurs armes sur la scène DIY de Montréal. Leurs prestations valent le coup. Il s’agit d’un retour à l’électro-pop éthérée si particulière de Marie Davidson, mais avec de plus grandes dents. Le nouvel album Renegade Breakdown pourrait servir de bande-son à tout film d’horreur ou de suspense. La voix vaporeuse de Davidson ensorcelle l’auditeur. Les sonorités de ce nouveau projet ne sont pas sans rappeler les gloires classic-rock comme Heart ou Fleetwood Mac, mais elles évoquent aussi l’ambiance sombre d’une discothèque allemande. On écoute cet album fort, tard le soir, après quelques consommations. Marie Davidson & L’Œil Nu font un concert par mois à La Tulipe, avant d’aller tourner en Europe.

Ouri

La prestation de la multi-instrumentiste, DJ et productrice de musique électronique Ouri au FME nous a permis de souffler un peu, après des performances plus tonitruantes. Elle joue d’une foule d’instruments dont la guitare basse synthé, basse et lap steel. Ajoutons à cela sa voix R’n’B langoureuse, et on obtient un résultat saisissant. Son groupe d’accompagnateurs, constitué d’un maître-claviériste et d’un solide DJ au synthé modulaire, est tout à fait digne de mention. La prestation a pris fin sur une note angélique, lorsque le chanteur québécois Antony Carl a harmonisé sa voix à celle d’Ouri sur le simple Felicity, paru il y a un mois.

Yoo Doo Right

Montréal a son lot de formations chouchous post-rock et krautrock. Et elles sont prolifiques. Il y a bien sûr Godspeed You! Black Emperor et Fly Pan Am, mais aussi les nouveaux venus Yoo Doo Right, qui ont lancé en mai leur premier album complet, Don’t Think You Can Escape Your Purpose. Ce groupe est en train de faire sa place. Si A Place to Bury Strangers est le groupe le plus bruyant de New York, alors il en va de même pour Yoo Doo Right à Montréal. Le volume était au max lors de ce concert qui a littéralement résonné dans les rues de Rouyn-Noranda; il s’agissait d’une prestation « secrète » à l’extérieur. Le post-rock de Yoo Doo Right, surtout instrumental, hypnotise le musicophile. Les « interludes » de dix minutes sont axés sur la répétition, pour provoquer un enchantement cosmique chez le spectateur. Les riffs gargantuesques, la basse tonitruante et le rythme martial vous étourdissent, vous incitent à songer à la complexité de la vie et du cosmos… et à en redemander.

Ducks Ltd.

Le son de Ducks Ltd. se trouve entre celui – de type jangle-pop – des Smiths et celui de groupes plus contemporains comme Beach Fossils. La voix du chanteur Tom McGreevy a l’intensité d’une bagarre générale dans un bar, ce qui n’empêche pas la musique du groupe d’être apaisante et chic. Ducks Ltd. compte aussi dans ses rangs Evan Lewis, qui participe à la composition et à l’écriture des chansons. Sur fond de guitare ensoleillée et d’accords mélodieux, McGreevy chante la fragilité de l’humanité. Les accroches indie-rock vous donneront à la fois envie de sauter partout et de songer à ce qui cloche, chez l’autre. Get Bleak, leur premier microalbum du duo, contient des traces de nihilisme, de cynisme et de pessimisme rock. Un album complet, Modern Fiction, paraîtra en octobre.

The OBGMs

Ayant pour nom un sigle correspondant à « Oooh Baby Gimme Mores », The OBGMs est un trio punk-rock de Toronto au son trempé dans la sueur et la fureur. Comme les légendes punks Bad Brains et The Jam, les OBGMs chantent des récits de trahison, de ressentiment et de découragement. Il faut les voir en concert. Toutefois, on se sentira bizarre de ne pouvoir « mosher » au son de leur punk mélodique, compte tenu des restrictions actuelles. Le chanteur Densil McFarlane domine la scène, avec ses mouvements de tête et son attitude DIY. Comme lorsqu’il s’étend sur la scène ou court sur celle-ci pendant toute une chanson. Précisons que le groupe figure sur la liste restreinte des prix Polaris, pour son album The Ends paru en 2020.

Visibly Choked

Beaucoup de groupes ont vu le jour durant la pandémie, par rejet ou par passion. Au nombre de ceux-ci se trouve la formation punk hardcore expérimentale Visibly Choked, de Montréal. Ses membres se produisaient sur l’une des scènes les plus modestes du festival, mais la violence de leur prestation a provoqué une sorte de narcose chez tous les spectateurs. Avec son visage qui se tordait comme sous l’effet d’épisodes de colère aiguë, ainsi que ses sourires provocateurs, la chanteuse Gabby Domingue semblait possédée. La musique de Visibly Choked est radicale; elle se trouve à la frontière du math-rock expérimental et du punk blastbeat extrême. La voix de Gabby provient d’un puits de fureur et de douleur. Tous les spectateurs ne peuvent qu’en prendre acte. On a eu l’impression d’un concert bref, mais il importe d’avouer que cette chevauchée cacophonique nous a fait perdre toute notion de temps. Un simple, Mother Tongue, paraîtra dans quelques jours et un microalbum homonyme sera lancé en novembre. Mais n’oubliez pas : il faut les voir en concert.

post-punk / punk

Henriette Valium : 4 mai 1959 – 1er septembre 2021

par Réjean Beaucage

Patrick Henley, mieux connu sous le nom de Valium, nous a quittés récemment, une pilule difficile à avaler. Bédéiste et artiste visuel hors normes, Valium avait aussi une grande passion pour la musique. Notre journaliste Réjean « Bowell » Beaucage, batteur de Valium et les Dépressifs, livre ici un touchant témoignage à l’égard de son ami et complice de toujours.

Je veux vous parler non pas du fantastique artiste visuel qu’était Valium, mais plutôt de quelques-uns des hauts faits de sa carrière à la scène.

Ça remonte à loin entre Valium et moi… J’ai fumé mes premières cigarettes et mes premiers cigarillos sur le bord de la rivière L’Assomption, à Repentigny, avec lui, vers l’âge de 10-12 ans — lui il avait deux ans de plus, une caractéristique qu’il a gardée toute sa vie.

La première fois que je l’ai vu sur scène, c’était à la polyvalente Jean-Bapstiste-Meilleur, dans le cadre d’un spectacle d’étudiants, et il faisait… du mime. Il avait un béret je crois, il personnifiait un artiste, mais c’était l’artiste suprême, Dieu, et on le voyait en pleine création du monde. C’était limpide. C’était surtout déjà fantastique et ça retenait certainement l’attention.

Plus tard, on s’est un peu perdus de vue, puis on s’est retrouvés à Montréal, d’abord complètement par hasard, dans le métro, puis par la suite sans doute dans le giron de la faune des Foufounes électriques. En 1987, une première fois, je l’ai invité à mon émission de radio, « Tapage nocturne », à CIBL-FM. Il venait de lancer 1000 rectums, c’t’un album Valium et il revenait d’Angoulême. On pensait déjà à ce moment-là à lancer ce qui est devenu Valium et les Dépressifs.

Notre inspiration et, pour nous, à vrai dire, la seule concurrence, c’était nos amis du groupe Vent du Mont Schärr, que Valium a rapidement rebaptisé « Vendu mes Schnolls ».

Alors quoi de plus normal que notre premier concert soit donné en première partie de Vent du Mont Schärr, dans un spectacle du Nouvel An, le 31 décembre 1988 aux Foufounes électriques?

Premier show de Valium et les Dépressifs

À l’époque, le chanteur de Vent du Mont Schärr, Jean-Luc Bonspiel, avait l’habitude de se retrouver tout nu pendant ses shows, et Valium était bien décidé à rivaliser avec lui, alors on a donné une superbe interprétation de Pas de chance, le hit de Vent du Mont Schärr, et Valium s’est évidemment mis tout nu. Mais nous, on avait un percussionniste, en la personne de Pierre Labinne, et c’était un percussionniste assez spécial. Dans cette pièce-là, il appuyait le beat en frappant une scie ronde sur je ne sais plus quoi, mais ça faisait une grande traînée d’étincelles qu’il envoyait évidemment en direction de Valium, nu, et c’était de toute beauté.

Flashforward à 2015

En 2015, Valium avait le projet de republier notre disque de 1993, C’est un monstre, et il voulait en faire une version double CD avec un paquet d’extras. Il a fait le projet de A à Z et il me l’a transféré pour approbation, comme en principe il l’a aussi envoyé au guitariste Steps Ladéroute (aussi connu sous le nom de Stéphane Delaney) et au bassiste Jules Métro (aussi connu sous le nom d’Yvan St-Pierre, mais que Valium appelait quelques fois affectueusement Gay Jaw). Le projet n’a jamais été lancé officiellement, mais il était disponible sur le site de Valium (http://www.henriettevalium.com) — je ne sais pas s’il existe d’heureux propriétaires de cet objet.

Voici ce que Valium nous écrivait pour nous le présenter :

« Salut mes p’tits pipiaux! Si jamais c’est réédité c’est un boîtier de CD double avec le plastique du fond transparent pour voir l’ancien derrière du CD original. Il y a 2 CD, le CD original studio, et un CD en données MP3 de l’album studio remastérisé + les 3 k7 + les shows live + 2 extras + 1 jam, donc en tout 77 titres.

J’ai opté pour 1 seul livret 32 pages mais en flip side, d’un côté la repro identique du livret du CD original (16 pages), de l’autre les nouvelles infos et photos (16 pages), c’est pourquoi dans le PDF la moitié des pages sont à l’envers.

Dans ce que je vous envoie, il n’y a pas le CD original mais juste les nouveaux MP3. Il n’y a rien de figé dans le béton, si jamais vous désirez des changements, il n’y a pas de problèmes. J’ai aussi mis une photo de Luc « Urbain Desbois » Bonin à l’intérieur du livret, mais si jamais il (tu) veut-veux la changer, pas de problèmes, comme contact résiduel j’ai mis mon e-mail et celui de Bowells. »


Valium et les Dépressifs, 1988 : Jules Métro (basse), Valium (voix/textes), Bowell (batterie), Steps Ladéroute (guitare), Rémi 1/2 (sax).

Alors, pour préparer ce double CD, Valium et moi on a fouillé dans nos archives et je lui ai transféré toutes mes cassettes, photos, etc. C’est à partir de ça qu’il a travaillé.

Dans les infos que je lui ai transférées, il y avait deux erreurs majeures. D’abord un concert que l’on n’a jamais donné, à Ottawa — peut-être qu’on a oublié d’y aller…

Et aussi, j’avais oublié d’inscrire notre tout dernier show, notre fameux voyage à Marmora, en Ontario, un coin perdu, et sans doute un secret très bien gardé dans le nord du lac Ontario.

Le dernier show

Je vous passe les détails, mais on a fini par se rendre, avec la van à Valium, ce jour d’octobre 1994. Quand on est arrivé à ce qui devait être un grand festival punk ou, apparemment, l’année précédente il y avait eu des milliers de personnes, on est tombé sur les 5 ou 6 organisateurs, tous pétés sur le champignon ou l’acide. Il devait y avoir un autre groupe, mais il n’était pas encore arrivé. Et surtout, la scène n’était pas montée, pas d’éclairage, pas de système de son… Alors, sous la direction du valeureux Steps Ladéroute, fort de son expérience d’électricien aux Foufs, on a monté tout ça.

Comme on était dans le fin fond de nulle part, l’électricité, c’était une génératrice qui fonctionnait à l’essence.

Elle était à côté de la scène.

Rendu à l’heure du show, on était à peu près aussi en forme que les organisateurs, et je crois bien que ça a été un de nos meilleurs shows, avec un Valium qui se tortillait en roulant sur scène comme je ne l’avais jamais vu auparavant. Devant nous, il y avait les organisateurs et leurs ami-e-s, et l’autre groupe, qui était finalement arrivé.

En sortant par le côté de la scène, on passait à côté de la génératrice. Quelqu’un avait laissé à côté de celle-ci, en plein devant son tuyau d’échappement, le restant du bidon d’essence. Il avait au moins doublé de volume, et il s’en est fallu de peu pour que la carrière de chanteur d’Henriette Valium se finisse comme elle avait commencé, sous une pluie d’étincelles.

Donc, j’avais oublié d’inscrire ce concert dans la liste de nos exploits.

Et quand j’ai revu le livret que Valium a préparé pour notre double CD virtuel, je me suis rendu compte que le texte du livret, en fait, est rédigé comme une note qui me serait destinée.

Voici ce que ça dit (attention, c’est du Valium) :

« Bon mon gretch j’avais oublié Pierre « Labinne » Lefebvre — Cool et merci mais j’ai une dernière question pour toué mon ami le géant, dans ton listing de show il n’y est pas mentionné notre escapade à Marmora Ontario? Te sens-tu mal? As-tu honte? Était-ce notre dernier spectacle ami tourlouttoutou?

Moi je crois que oui, genre fin octobre 1994, ou alors fin octobre 1993? Pas mal comme question hein caporal Repenpoche?

Tu es faberglasté? Pas si con que ça la De Valium? Échec et mat mon Réjean Beaukalissedecave!

– Ha famme don ta yeule!

– Quoi?

– T’as ben compris mon gros kalisse d’épais

– Ayoye manne tu veux!

– Fuck you! Mange d’la marde!

– Oké ben dit bonjour à Andrée… Ha ben salament… Pis le 15 août 1993 à Carleton, t’étais-tu là? Tu penses-tu qui y’a rien que du vrai dans toutte pi ki manque eu rien nulle part saint-simonak?

Moi quand j’ai vu « 15 août 1993 à l’Université de Carleton (Ottawa) », j’ma dit que c’était peut-être une référence cachée à Marmora, parce que j’m’en souviens pas pantoute. Mais j’me souviens pas non plus d’avoir « enregistré le show du Purple Haze en vue d’un album » (t’as-tu ça?)… Pi oui caltoche Marmora.

J’pense que c’était notte dernier show. J’vois pas comment on aurait pu finir mieux – LOL (loin ou libres). Mais là, toi tu me demandes si c’est « fin octobre 1994 ou fin octobre 1993″… Calvaire, tu sais pas lire? Pi l’show sul ciment en juin 1994, on existait-tu dans ce temps-là? Fa que je dirais octobre 1994, écoeure-moué pu… »

Je suis bien content que notre amitié explosive ne se soit pas terminée à Marmora.

On a poursuivi ça pendant 27 ans.

Et dans la liste de 20 concerts inscrits dans le livret du CD, il a gardé Carleton, et il n’a pas inscrit Marmora.



Bowell et Valium au Cheval Blanc, 27 juin 2017 (photo Andrée DeRome).

Addendum

J’ai discuté avec Steps Ladéroute et Jules Métro à l’extérieur du salon funéraire où se tenait le jeudi 9 septembre une cérémonie d’adieu pour Valium. Il ne s’en souvenait pas, je ne m’en souvenais pas, mais le guitariste et le bassiste sont formels : nous avons joué à l’Université de Carleton le 15 août 1993… En première partie d’un band « de preppies » (dixit Ladéroute). Et Valium a bien failli se battre avec leur chanteur (dixit Métro). Ça ne me revient toujours pas, mais enfin. En ce qui concerne Marmora, ça, pas de litige, ce fut en effet notre dernier show. Salut Valium.

dub / dub reggae / dub-techno / dubtronica / reggae / roots reggae

Lee Perry, O.D. (20 mars 1936/ 29 août 2021)

par Richard Lafrance

Sorcier des manettes, visionnaire excentrique, le savant fou du reggae est définitivement parti en orbite, nous laissant en héritage une œuvre touffue, magistrale et fascinante.

Natif de Kendal, petit village du comté de Hanover dans l’ouest de la Jamaïque en 1936, le jeune Rainford Hugh Perry n’accorde que peu d’importance à la vie scolaire, préférant se consacrer à celle de la rue. Il perfectionne son jeu de domino afin d’en tirer profit et se fait connaître comme un danseur hors-pair. Dans la jeune vingtaine, à la fin des années 50, alors que le ska fait fureur sur l’ile, il est attiré par les possibilités qu’offre la capitale Kingston. Il passe d’abord quelques années à bosser pour le producteur musical influent du moment, Coxsone Dodd, qui, après un long refus, lui fera enregistrer un premier extrait, Chicken Scratch, à l’ouverture de son légendaire Studio One en 1963, extrait qui lui vaudra son premier surnom. Dodd lui offre ensuite des responsabilités artistiques, comme auditionner les nouveaux artistes, composer des chansons, en réaliser les arrangements. Mais le peu de reconnaissance du patron -bien connu dans l’histoire de la musique jamaïcaine- le poussera du côté de ses compétiteurs, Prince Buster d’abord, pour qui il enregistre quelques titres, puis Joe Gibbs, pour qui il produira en 1968 I Am The Upsetter (qui lui collera en tant que deuxième surnom et deviendra également le nom de son groupe d’accompagnement).

Il commence ensuite à enregistrer à son compte, bien qu’il ne possède pas encore son propre studio et place un premier titre au palmarès, People Funny Boy (1968), en réplique à Joe Gibbs, sur lequel il utilise probablement le premier échantillon sonore recensé : celui des pleurs de son fils Omar, à qui il dut donner la fessée…

En 1969, il fait la connaissance des Hippy Boys, jeune formation regroupant Aston «Family Man» Barrett à la basse, son frère Carlton à la batterie, Alva Lewis à la guitare et le saxophoniste Val Bennett. Avec cet ensemble, il fera paraître un premier album, The Return of Django, dont la chanson-titre au style early reggae, ou skinhead reggae, se hissera au numéro 5 des palmarès britanniques. On l’invita aussitôt à faire une première tournée en Angleterre. Il se fait alors une spécialité d’enregistrer des morceaux instrumentaux, influencés des films westerns italiens et des films de kung-fu.

À cette époque, les Wailers, en quête de nouveaux repères après leur passage à Studio One, l’approchent et Scratch décide que malgré leur talent évident, Bob semble d’après lui possédé par de mauvais esprits (duppys, mauvais esprits ou fantômes, très présents dans la culture jamaïcaine) et compose pour lui Duppy Conqueror. Jusqu’en 1971, Perry poussera Bob, Peter et Bunny à développer leur talent de composition et d’interprétation. À ce titre, il est aisé de constater la similitude entre la voix et le phrasé que Bob Marley a développées et celles du producteur. Lee Perry leur fait alors un coup bas : faire paraître leur production et encaisser leurs royautés au Royaume-Uni, sans leur en parler. Ils prendront leur revanche, en lui « volant » les frères Barrett, qui fondent alors la première mouture des Wailers. Quelques années plus tard, cette rivalité sera mise de côté, alors que Bob fera de nouveau appel à Perry pour réaliser Punky Reggae Party en 1977 et, finalement, Jah Live en 82, en réponse au décès de l’Empereur Haile Selassie.

Vers 1972, le son roots s’impose et Perry commence à expérimenter avec différents bruitage et effets sonores. Il enregistre de plus en plus de succès mémorables, tels les Fever et Curly Locks de Junior Byles, ainsi que To Be A Lover de George Faith. Ses expérimentations sonores l’amènent à reprendre ces pistes instrumentales qu’il retravaille, distord et remixe pour réaliser Blackboard Jungle, reconnu comme l’un des tout premiers albums dubs !

Vers la fin de 1973, Scratch a une vision : il doit bâtir son propre studio d’enregistrement, chez lui à Washington Gardens, une banlieue chic de Kingston, qu’il baptisera The Black Ark. La musique qu’il y enregistrera pour les 5 prochaines années, sur un 4 pistes qui donne pourtant l’impression d’en avoir 24, marquera un tournant dans l’histoire du reggae. Le musicologue Steve Barrow explique alors que : « Le son Black Ark était comme la signature d’un peintre sur sa toile ». Or, quelques années plus tard, dans une entrevue pour le magazine Rolling Stone, c’était au tour de Keith Richards de déclarer : « On ne peut décrire Lee Perry : c’est le Salvator Dali de la musique ».

De 1974 à 1979, Le Black Ark produit plusieurs pièces maîtresses de l’âge d’or du reggae : War In A Babylon de Max Romeo; Super Ape des Upsetters; Police And Thieves de Junior Murvin; Party Time des Heptones, mais surtout Heart Of The Congos des Congos, probablement son album le plus créatif et novateur. Puis, alors que le pays sombre dans ce qui s’apparente à une guerre civile, de nombreuses chansons anti-violence y voient le jour, comme Cross Over, de Junior Murvin, où City Too Hot, de Perry lui-même. Il signe alors un contrat de distribution internationale avec Island Records et le son du studio attirera l’attention d’artistes rocks, tels que Paul McCartney, Robert Palmer et The Clash.

Mais le succès a souvent un côté sombre : De nombreux pique-assiettes, vagabonds et truands gravitent autour du Black Ark, souvent dans l’espoir de lui soutirer de l’argent. Scratch ressent la pression, peine à se consacrer à sa musique et carbure de plus en plus à la ganja et au rhum blanc. En 1979, le studio cesse ses opérations et Pauline, sa femme quitte la maison avec ses enfants. Pour les quatre ans qui vont suivre, les visiteurs réguliers retrouvent un Lee Perry qui semble rapidement sombrer dans la folie. Un matin de 1983, le Black Ark flambe. Le producteur a déclaré de nombreuses fois qu’il avait lui-même brûlé le studio dans un accès de frustration, mais il aurait pu aussi s’agir d’un problème électrique. On risque maintenant de ne jamais le savoir précisément.

En exil à Londres pour les 6 prochaines années, il enfile les collaborations plus ou moins fructueuses, jusqu’à ce qu’il enregistre Time Boom avec Adrian Sherwood, ce qui contribue à le remettre sur pied. En 1989, il s’installe en Suisse avec sa nouvelle femme, Mireille Ruegg, qui deviendra sa gérante et avec qui il aura deux enfants, Gabriel et Shiva. En 1995, il inaugure son nouveau studio, The White Ark, son laboratoire secret… qui brûlera également, cette fois par accident; une chandelle oubliée, semble-t-il.

Le vieux shaman, étonnement vigoureux lors des 20 dernières années de sa vie, a collaboré avec plusieurs artistes reconnus internationalement, avec plus ou moins de succès. L’une de ses plus récente tournée en 2013, en compagnie du collectif américain Subatomic Sound System, ramenait au-devant de la scène ses compositions remixées parues sous le titre Super Ape Returns To Conquer et lui a sûrement valu de nouveaux fans. D’autre part, rappelons que sa période Black Ark, alors qu’il était au sommet de sa créativité, fut amplement documentée avec la réédition de plusieurs albums et anthologies, particulièrement la plus définitive, celle de son biographe attitré David Katz, Arkology (1997). Trois ans plus tard, Katz publiera la biographie officielle de Scratch, People Funny Boy : The Genius Of Lee « Scratch » Perry, une lecture fortement conseillée.

La surprise fut de taille, le 29 août dernier, quand on a constaté que ce vieux fou du roi hyperactif n’était finalement pas immortel. La raison exacte de son décès n’a été précisée nulle part, mais on a eu vent d’une attaque cardiaque. Un tel visionnaire, qui a révélé Bob Marley à lui-même, développé le concept du dub et d’échantillonnage sonore pour les générations et styles musicaux à venir, ne foule pas la face de cette terre très souvent. Lee Scratch Perry, Ordre de la Distinction de la Jamaïque, se mérite une place de choix au panthéon de la musique tout court.

https://www.youtube.com/watch?v=cG-FNwBCvO8

La courte liste du Prix Polaris

par Rédaction PAN M 360

Le jeudi 15 juillet, le Prix de musique Polaris a finalement rendu publique sa courte liste qui honore et récompense 10 albums canadiens de musique choisis par un jury composé de 199 membres.

Ces albums se retrouvaient parmi la longue liste, sortie le 15 juin dernier, où 40 albums se taillaient une place pour passer à la prochaine étape. Le nom du gagnant sera dévoilé le 27 septembre prochain.

Notez que les artistes en caractère gras sont issus du Québec ou y résident et que seulement l’un d’entre eux, Klô Pelgag, s’exprime en français.

Pour en savoir davantage sur les 40 sélections du Prix Polaris avant la liste courte, c’est ICI

Cadence Weapon – Parallel World
DijahSB – Head Above The Waters
Dominique Fils-Aimé – Three Little Words
Klô Pelgag – Notre-Dame-des-Sept-Douleurs
Leanne Betasamosake Simpson – Theory of Ice
Mustafa – When Smoke Rises
The OBGMs – The Ends
TOBi – ELEMENTS Vol. 1
The Weather Station – Ignorance
Zoon – Bleached Wavves

Par Jade Baril et Myriam Bercier

La liste longue du Prix Polaris

par Rédaction PAN M 360

Le mardi 15 juin, le Prix de musique Polaris dévoilait sa première liste 40 albums, de laquelle les jurés détermineront bientôt la liste courte, soit 10 albums dévoilés publiquement le 15 juillet prochain.

Pour déterminer la liste longue, 204 albums ont été pris en considération par un jury composé de 199 membres, dont deux font partie du comité de direction de PAN M 360.

Notez que 16 artistes ou groupes en caractères gras sont issus du Québec ou y résident.

Notez également que seuls 3 artistes ou groupes sur 40, soit Thierry Larose, Julien Sagot et Klô Pelgag, s’expriment en français, ce qui représente 7,5% de la liste longue du Polaris.

Art Bergmann – Late Stage Empire Dementia
Bernice – Eau De Bonjourno
The Besnard Lakes – The Besnard Lakes Are The Last of the Great Thunderstorm Warnings
Leanne Betasamosake Simpson – Theory of Ice
BIG|BRAVE – Vital
Cadence Weapon – Parallel World
Charlotte Cardin – Phoenix
CFCF – memoryland
Clairmont The Second – IT’S NOT HOW IT SOUNDS
Helena Deland – Someone New
DijahSB – Head Above The Waters
Kathleen Edwards – Total Freedom
Dominique Fils-Aimé – Three Little Words
Fiver with the Atlantic School of Spontaneous Composition – Fiver with the Atlantic School of Spontaneous Composition
Thanya Iyer – KIND
Yves Jarvis – Sundry Rock Song Stock
Rochelle Jordan – Play With the Changes
LAL – Meteors Could Come Down
Daniel Lanois – Heavy Sun
Thierry Larose – Cantalou
Russell Louder – Humor
Elliot Maginot – Easy Morning
Mustafa – When Smoke Rises
Laura Niquay – Waska Matisiwin
Nyssa – Girls Like Me
The OBGMs – The Ends
Dorothea Paas – Anything Can’t Happen
Klô Pelgag – Notre-Dame-des-Sept-Douleurs
Savannah Ré – Opia
Allison Russell – Outside Child
Julien Sagot – Sagot
Sargeant X Comrade – Magic Radio
Shabason, Krgovich & Harris – Philadelphia
Yu Su – Yellow River Blue
Julian Taylor – The Ridge
TEKE::TEKE – Shirushi
TOBi – ELEMENTS Vol. 1
Vagina Witchcraft – Vagina Witchcraft
The Weather Station – Ignorance
Zoon – Bleached Wavves

La plateforme QCLTUR fait alliance avec les Disques 7ième Ciel

par Myriam Bercier

Le 21 mai dernier, la plateforme www.qcltur.com a fait paraître les 7 premiers titres d’un album, la seconde partie du programme suivra le 2 juillet. Ces enregistrements constituent un symbole d’unité de la scène rap keb, soit en regroupant des artistes issus des quatre coins du Québec : de Montréal en passant par Laval, en faisant un détour vers Gatineau et Québec. Les rappeurs ici réunis ont des expériences diverses : on parle d’artistes établis, comme FouKi et Souldia par exemple, ainsi que d’autres jeunes talents bruts tel Raccoon, révélation rap de Radio-Canada en 2020-2021 et finaliste de la compétition La fin des faibles

La plateforme QCLTUR a été créée par Benny et Koudjo, elle offre une tribune aux artistes rap québécois à travers des entrevues, vidéos et rencontres également accessibles sur les médias sociaux – Instagram, Facebook ou chaîne YouTube. L’objectif est également de construire un pont entre les artistes rap de la francophonie d’ici et d’ailleurs. 

PAN M 360 s’entretient ici avec le cofondateur de QCLTUR, Benny, afin d’en savoir plus sur ce projet de rap pas piqué des vers! 

PAN M 360 : Quels sont les fondements de QCLTUR ?  

BENNY: QCLTUR est un média numérique créé en 2019. Notre première entrevue a été faite avec Tizzo de Canicule en septembre 2019. À la base, ça a pour but de connecter toute la francophonie. Dès qu’un artiste étranger de France, de Belgique, de Suisse, d’Afrique francophone arrive à Montréal, nous voulons l’avoir en entrevue, mais aussi lui faire découvrir des artistes de Montréal. Nous l’avons fait avec Niro et Vegedream, puis il y a eu la pandémie. Les vols ont cessé. Nous avons redoublé d’efforts pour faire connaître des gens qui n’avaient pas accès aux autres médias. Le but est d’offrir une plateforme aux artistes locaux pour qu’ils puissent se présenter et présenter leur art avant tout. 

PAN M 360 : Tu dis que le but est de créer un symbole d’unité pour la francophonie de tous horizons, as-tu l’impression que ça manquait au Québec alors que ça existait ailleurs ?  Ou encore est-ce plutôt une idée nouvelle?

BENNY : Je le sais d’expérience, comme je viens de Côte d’Ivoire en Afrique de l’Ouest et que j’ai vécu quatre ans en France. Ni en Côte d’Ivoire, ni en France, on ne parlait de la scène urbaine ou pop de Montréal. On parlait seulement des grosses affiches, comme Céline Dion et Garou par exemple. Je ne pense pas qu’actuellement une Eli Rose qu’on a eue en entrevue ou une Naya Ali ou une Sarahmée… Sarahmée, peut-être en France maintenant, mais je n’entendais pas ces noms-là quand j’étais en Afrique ou en Europe. Il a vraiment fallu que je vienne ici, que je m’intéresse à cette scène. Ça a été dur de trouver des médias qui couvraient la scène underground, donc on s’est donné cette mission.

PAN M 360 : Comment est venue l’idée derrière l’album de QCLTUR?
BENNY:
C’est venu petit à petit. À la base, on voulait juste faire une liste de rappeurs à surveiller en 2021. On a constitué un jury où il y avait notamment Marième, Sarahmée, High Klassified. Il y avait le warm-up, on a invité d’autres médias aussi à participer. On a soumis une liste de 50 artistes, 15 ont été finalement choisis. On a fait voter le public pour le 16e nom. On a fait un cypher, une performance live où chacun vient rapper un couplet tour à tour. La réception a été bonne, ça a même joué dans des radios en France. À partir de là, on s’est dit : « plutôt que de jouer des bribes du cypher, du « freestyle », pourquoi ne pas donner aux artistes un son bien construit, de bonne qualité, avec couplets-refrains ? » J’ai donc invité trois rappeurs, soit Miss Art, JPS et Mouss, à créer ce son. Quand on a vu qu’ils étaient très enthousiastes pour faire ça, on leur a demandé s’ils étaient d’accord de faire des sons pour un album entier et ils étaient aussi enthousiastes que nous l’étions. Ça a été facile de récolter les sons, de mettre les rappeurs avec d’autres rappeurs avec qui ils n’avaient jamais collaboré. 

PAN M 360 : Pourquoi avez-vous décidé de lancer l’album en deux volets?
BENNY: Parce que le mode de consommation des albums a changé. J’ai 33 ans, je sais que quand j’étais adolescent, je pouvais écouter le même album pendant deux ans. Aujourd’hui,  si l’album fait plus que 15 ou 20 titres, les gens vont rarement l’écouter jusqu’à la fin. Je ne voulais pas pénaliser les artistes qu’on mettrait en bout de l’album. On s’est dit que les gens allaient écouter sept titres et qu’il y avait plus de chance qu’ils écoutent deux fois sept titres jusqu’à la fin.

PAN M 360 : Vous mêlez beaucoup de rappeurs d’expériences variées, comment avez-vous décidé qui rapperait avec qui sur la même chanson?
BENNY: Ça dépend. Par exemple, j’avais entendu dire que Souldia aimait bien ce que Boris Levrai faisait. Et je savais que Boris, et surtout le manager de Boris, Dallas, leur rappeur préféré, était Souldia. Je sais que Shreez et Gnino s’entendent super bien, ils ont déjà fait des sons ensemble, ils se connaissaient bien avant d’être connus. Ça, ça va naturellement ensemble, on est là pour faire le pont. Il y a des connexions où j’entends un son, comme celui de Sael; il me donne un son pour lequel il est clair comme de l’eau de source que ça devrait être FouKi qui va dessus. J’ai demandé à FouKi, et FouKi été très gentil. Quand tu vois ses statistiques, c’est astronomique ! Qu’il accorde du temps à un artiste en développement comme Sael qui n’est pas vraiment médiatisé, ça prouve qu’il met la musique avant tout, qu’il n’est pas dans les calculs de « est-ce que ça va me faire gagner du rayonnement ? » donc je remercie FouKi pour ça. 

PAN M 360 : Les artistes étaient-ils entièrement libres dans la création ? Ont-ils composé tous ensemble ou séparément en arrivant avec un bout de texte qu’ils mettaient ensemble?
BENNY: Il y a eu de tout. Par exemple, Mouss nous a envoyé un son déjà fait, Sauver, qui était fait de A à Z comme ça devait être pour son projet. Il nous l’a donné, et ça, je le remercie, car c’est un très beau titre. Il y a des fois où j’ai mis des artistes ensemble pour composer à partir de rien, comme Benny Adam et Misa, qui feront partie du 2e volet, ou comme Mikezup et Le Ice, je les ai mis ensemble en studio, ils ont choisi l’instrumental, ils ont écrit tout ça devant moi et ils l’ont enregistré. Donc, c’est comme ça que ça s’est passé, il y a de tout.

PAN M 360 : Réunir plusieurs rappeurs a-t-il été un défi pour le son de l’album, c’est-à-dire pour atteindre un produit cohérent ?
BENNY : Je pensais que ça le serait, mais c’est là qu’on voit que le rap montréalais a une identité, un ADN, parce qu’il y a une base commune. Tous ces sons-là peuvent s’enchaîner naturellement parce qu’on s’est enfin démarqués du reste de la francophonie en créant notre propre son. Il y a une identité montréalaise ou québécoise si on parle de Souldia. Cette identité induit un équilibre à l’album, une cohérence.

PAN M 360 : Tu parles de rap « montréalais » entre guillemets, peux-tu nous définir le son ou le rap montréalais?
BENNY: C’est la chose la plus difficile à définir, c’est pour ça que je l’ai mis entre guillemets, parce que ça s’écoute, ça s’entend, mais ça ne s’explique pas. Il y a un mélange de slang, d’argot qu’on utilise ici, il y a un timbre de la voix, il y a un débit, il y a un choix d’instruments aussi. Tout ça fait peut-être le rap « montréalais », mais je n’aime pas mettre montréalais, parce que la musique pour moi est internationale. Elle n’a pas de frontière. C’est-à-dire qu’un rappeur de Montréal peut chanter sur un afrobeat, mais l’afro ça vient d’ailleurs. C’est un mélange de tout, c’est un partage et c’est ça la musique. C’est pour ça que je n’aime pas attacher une ville ou un pays au mot rap. 

PAN M 360 : Pour le son, aviez-vous quelque chose en tête avant de vous lancer ou vous aviez plutôt prévu vous laisser porter par ce que les artistes vous offriraient?
BENNY : C’est exactement ça, on a donné la clef aux artistes. On ne voulait pas leur donner d’instructions. On voulait qu’ils nous donnent le son qu’ils estimaient les représenter, car à la fin de la journée ils ont un son parmi 20 artistes. Lorsqu’on écoute leur son, il faut qu’on entre dans leur univers. On voyait QCLTUR comme un ambassadeur qui  représente les artistes;  avec ce qu’on a récolté, il y avait un ADN commun. On a compris que la direction allait se prendre naturellement. 

PAN M 360 : Vous vous êtes entourés de qui pour faire ces albums?
BENNY 
: Au début, on a récolté les sons puis après je ne sais pas vraiment comment Steve Jolin de 7ième ciel a su qu’on faisait un album. On voulait le garder secret, mais il nous a approchés très respectueusement. Il nous a simplement demandé si on voulait de l’aide. Au début, on s’est demandé si on restait indépendants ou si on s’alliait avec 7ième ciel, puis nous sommes un média à la base, on n’a jamais sorti d’albums. Les gens, les artistes nous ont fait confiance en nous donnant des sons, des sons qui devaient être dans leurs projets, donc on voulait respecter leur travail, pousser leurs sons le plus loin possible. Je connaissais Steve de réputation; sa réputation est excellente. On me l’avait décrit comme quelqu’un de travaillant, de rigoureux, de respectueux et c’est vraiment la personne que j’ai découverte et même plus parce qu’il est très attentionné, très à l’écoute, il n’intervient pas dans les décisions, que ce soit dans les clips qu’il faut sortir, dans les featurings… De toute façon, quand il nous a approchés, l’album était fini à 95%. Il nous a fait confiance et il continue de nous faire confiance, on lui rend bien, on est très fiers et contents de travailler avec 7ième ciel. Sam Rick aussi, le chargé de projet de 7ième ciel, m’aide beaucoup parce que je ne savais pas comment se passait la sortie d’un single ou d’un album, ce qu’il faut faire, tous les pitchs qu’il faut faire, ce qu’il faut faire pour que les plateformes mettent ce son-là la bonne journée… Je n’avais pas ces connaissances-là, c’est là que 7ième ciel nous aide grandement.

PANM 360 : Quand as-tu décidé de te lancer dans l’aventure de l’album ? Si tu n’avais pas ces connaissances techniques comme tu dis, est-ce que ta volonté de faire découvrir ces artistes l’emporte sur ton côté néophyte dans ce domaine ?
BENNY :
Je suis quelqu’un qui aime l’aventure et me lancer dans l’inconnu. Mon associé et moi, car on est deux.  Koudjo qui est un beatmaker, il est un beatmaker, il a réalisé pour des artistes français comme Booba, Rohff, Jul, Nekfeu. Ici, il a produit pour Sarahmée et Souldia. C’est aussi un banquier, il est vice-président des développements d’affaires à la Banque Laurentienne. Nous avons presque le même parcours : nous sommes des enfants d’Afrique qui avons immigré ici. Nous nous sommes installés ici au moment des études, nous avons tous deux deux une maîtrise au HEC, moi en finance lui en économie financière. Quand on donne notre CV, on est davantage dans la finance que dans le média, mais pourtant on a lancé un média sans savoir ce qu’était un média. Là, on a lancé un album. Lui, il connaissait un peu les sorties d’album en tant que beatmaker, mais pour moi c’était comme lancer un média : j’allais vers l’inconnu, mais je sais que si tu travailles fort et que tu es rigoureux, normalement ça devrait bien se passer.

PAN M 360 : Prévoyez-vous une suite aux albums de QCLTUR ou bien, dans votre tête, c’était quelque chose qui n’arriverait qu’une fois?
BENNY :
Je prévois d’abord voir si les gens sont contents. Les premiers qui doivent être contents, ce sont les artistes. Si les artistes sont satisfaits de ce qu’on a fait avec les titres qu’ils nous ont confiés, et que nous, QCLTUR et Disque 7ième ciel, sommes contents aussi, on va y aller, on va continuer à en faire. Je n’ai pas de grandes ambitions, je me concentre sur le média, la musique c’est en plus. C’est un vecteur de diffusion, en plus des entrevues, on a une autre plateforme pour présenter les artistes. C’est comme ça que je le vois. Je ne suis pas là pour faire des chiffres, pour faire des disques d’or ou de platine, je suis là pour présenter des artistes qui, pour la plupart, sont indépendants et qui, je l’espère, seront signés d’ici un an ou deux. C’est pour faire découvrir des artistes et des talents que je fais ça. L’année prochaine, j’aurai toujours cette envie de faire découvrir du talent, donc normalement il devrait y avoir une suite.

PAN M 360 : Je sais que c’est tôt, mais avez-vous eu vent de la réception jusqu’à maintenant de la Face A?
BENNY : Je ne reçois que du positif, mais ce n’est pas à moi qu’on va dire l’inverse (rires). C’est drôle, car il y a deux jours, j’étais au téléphone avec Steve Jolin et je lui ai demandé si les résultats étaient bons, car je ne sais pas comment en juger. Je ne sais pas ce qui est bon comme nombre de streaming après x nombres de jours. Il m’a dit que les résultats étaient  bons. Il était content et il m’a dit qu’on aurait une surprise à la rentrée pour cet album. 

PAN M 360 : Y a-t-il quelque chose à ajouter avant de clore l’entrevue?
BENNY :
Oui. J’aimerais parler du manque de femmes sur le projet. On en a approchées, vous vous imaginez bien, notamment Sarahmée comme Koudjo a produit pour elle et qu’il connaît Sarahmée et son entourage, mais elle était concentrée sur son album, donc elle n’a pas pu nous fournir un son, mais ce sera partie remise. S’il y a un autre album l’année prochaine, on ira toquer à sa porte une deuxième fois. Emma Beko, pour les mêmes raisons; son manager m’a dit que malheureusement elle devait se concentrer sur ses projets personnels et ils ont donc décliné l’offre. On va essayer de chercher plus. On ne voulait pas mettre une fille pour mettre une fille, on voulait qu’il y ait une cohérence. Il y aura Neessa, qui n’est pas une rappeuse mais une chanteuse très talentueuse. On cherche toujours des filles. Je cherche un moyen de faire en sorte que les filles se présentent. Par exemple, en ce moment, on a lancé mardi un remix : on offre au public l’instrumental d’une des chansons de l’album, pour qu’ils puissent se l’accaparer, rapper dessus. On prendra le meilleur couplet qu’on mettra dans le deuxième volet. En faisant cet appel, il y a plus de garçons qui se sont spontanément proposés et très peu de filles, on parle de une ou deux seulement. Je le déplore. Il faut vraiment que les filles comprennent qu’elles ont leur place. Je vais les chercher, mais il ne faut pas qu’elles se cachent (rires). Il ne faut pas que je passe à côté de la prochaine perle.PAN M 360 : Je ne sais pas si tu as la réponse, mais qu’est-ce qui justifie cette non-parité des femmes dans le rap?
BENNY : Je ne sais pas, ça peut être la sous-représentation peut-être. Quand on regarde des clips, quand on écoute des chansons, c’est souvent des hommes dans le rap. Peut-être que les hommes, par mimétisme, se disent qu’ils peuvent le faire. Les femmes ont moins d’exemples. Il faudrait poser la question à une femme, comme je n’en suis pas une (rires), c’est elle qui pourrait mieux répondre. Peut-être est-ce par l’exemple, ou par le fait que dans le rap, il y a eu un moment très très sexiste qui a eu pour effet de faire fuir ou du moins de repousser les femmes. Ça s’améliore de jour en jour, et il faut toujours pousser pour ce combat-là. On a sûrement notre part de responsabilités, mais il faudrait vraiment poser la question à une femme, je ne peux pas répondre à leur place.

Trois mouvements en réalité virtuelle ou augmentée

par Michael Guitard-Dubuc

Du vidéoclip au film documentaire, l’exposition Trois mouvements se fonde sur la réalité virtuelle et nous fait ainsi découvrir les œuvres d’artistes québécois, dont certains très connus, on pense à Alexandra Stréliski, Vincent Vallières, Dominique Fils-Aimé, FouKi et Daniel Bélanger. Au Centre Phi, l’exposition est présentée jusqu’au 5 septembre.

On peut contempler Composition, une œuvre en réalité augmentée de Vincent Morisset, Caroline Robert et Édouard Lanctôt-Benoît. Ce projet a été développé dans une résidence exploratoire de 2019 à 2021.

«La beauté de ce type de résidence, c’est qu’on peut commencer en n’ayant pas toutes les réponses et cheminer dans un esprit itératif, expérimental et créer du sens en gardant les propositions ouvertes », précise Vincent Morisset.

En manipulant des cubes sur une table, Composition devient un objet sonore, sorte d’instrument de musique. Plus précisément, les cubes émettent un son lorsqu’un faisceau de lumière les traverse. Si les cubes sont collés ensemble le son sera plus intense et si un seul cube n’est traversé, le son l’est forcément moins.

Réalisateur de plusieurs vidéoclips dont certains du groupe Arcade Fire, Vincent Morriset et son équipe ont mis au point un dispositif intéressant afin produire de la musique.

« Composition devient ce qu’on imagine. À travers la loupe du son, elle évoque un instrument de musique, un logiciel de beatmaking, une partition musicale. À travers la loupe scénographique, on peut y voir un théâtre d’objets, une maquette ou un castelet »,explique le réalisateur.

Est-il besoin d’ajouter que la présentation de ce projet est une première mondiale dans le cadre de cette exposition.

Par ailleurs, l’équipe d’ASTERIA a réalisé une série de vidéoclips en réalité virtuelle pour Alexandra Stéliski, Vincent Vallières, Dominique Fils-Aimé, FouKi et Daniel Bélanger. Certains d’entre eux sont paisibles, et calmes comme ceux de Daniel Bélanger et de Dominique Fils-Aimé. D’autres sont plus en mouvements et en couleurs comme celui de Vincent Vallières. Dans ce dernier on se trouve en voiture, on roule dans un kaléidoscope de couleurs, la balade se termine assis à côté du chanteur. On se trouve alors dans une salle de cinéma et Vallières nous explique quel fut le processus de création.

Dans celui de FouKi, autre beat, autre décor: on survole la mer sur le dos d’un flamant rose avec une vue sur une forêt tropicale.

Ces œuvres en réalité virtuelle montrent que l’univers du vidéoclip est vraiment passé à un autre niveau de possibilités.

Chose certaine, l’exposition Trois mouvements est un excellent moyen d’en apprendre davantage sur la réalité virtuelle , pour ainsi réaliser que cette technologie est de plus en plus accessible aux créateurs. Aussi, on y saisit que la réalité virtuelle a beaucoup évolué, que les possibilités sont plus grandes que jamais elles ne l’ont été auparavant.

Enfin, Trois mouvements présente des œuvres cinématographiques comme Le Livre de la distance de Randall Okita et le premier épisode de Space Explorers: The ISS Experience , réalisé par Félix Lajeunesse et Paul Raphael.

Et pourquoi Trois mouvements au Centre Phi ?: émerveillement, réflexion , évasion.

classique occidental / électronique / hip-hop instrumental / house / jazz

Deux Charles, deux mondes, une amitié

par Alain Brunet

PAN M 360 vous offre une première rencontre croisée, c’est-à-dire le pianiste Charles Richard-Hamelin et le beatmaker et compositeur Charles-David Dubé, deux musiciens apparemment issus de deux mondes distincts, étanches… qui ne le sont pas autant qu’il n’y paraît.

Depuis la nuit des temps, les cultures musicales s’entrecroisent et défient tous les cloisonnements érigés par les humains les plus bornés mais… Il est encore permis de croire que le monde classique occidental reste fermé sur lui-même et que les communautés non classiques restent peu enclines à s’ouvrir aux grandes œuvres de lignée occidentale.  

Vraiment? Rien n’est moins sûr.

À titre d’exemple éloquent, PAN M 360 vous suggère le récit de cette amitié sincère et durable entre le pianiste Charles Richard-Hamelin et Charles-David Dubé alias Le Havre, compositeur/beatmaker/réalisateur du groupe BAAB et partenaire de la chanteuse Mariève Harel-Michon que notre collègue Elsa Fortant a interviewés pour la sortie récente de l’album Rédactions tranquilles lisez son texte ICI.

On y verra que l’amitié sincère entre artistes d’horizons différents se fondent sur une ouverture à l’autre et à une compréhension mutuelle des langages musicaux. Que le chemin vers la musique classique peut s’entrelacer d’autres expériences et s’en nourrir. Et que ça peut être idem dans l’autre direction.

PAN M 360 : Charles Richard-Hamelin, tu as chaleureusement suggéré l’écoute de BAAB, dont les membres sont des amis proches. Charles-David Dubé, tu nous en apprendras de ton côté sur tes liens avec Charles et ses musiques de prédilection. Messieurs, racontez!

CHARLES-DAVID DUBÉ : On se connaît depuis 2008. On avait fait connaissance sur la plateforme MySpace – supplantée depuis par Bandcamp et Soundcloud. Je ne me souviens plus exactement, on a un débat là-dessus au moins une fois par an, je ne sais plus qui a écrit à qui… c’est peut-être moi finalement (rires).

CHARLES RICHARD-HAMELIN : Je finissais alors mon DEC au cégep de Joliette, j’y étais le seul étudiant en piano classique. Il y avait une trentaine de guitaristes électriques, une quinzaine de batteurs, etc. J’étais inscrit là parce que je viens de Joliette et mon prof que j’avais depuis l’âge de cinq ans y enseignait. Alors c’était naturel et simple pour moi d’y rester afin de poursuivre avec lui.  

 Avec des amis, j’avais fondé le Suprême Quartet De Luxe, claviers, guitare, basse, batterie. On jouait des compositions de mon cru, quelque part entre  rock progressif et jazz fusion. Au concours Cégep en spectacle en 2008, on avait même gagné une tournée en France. J’avais alors monté une page MySpace avec des maquettes de ma musique, il y avait aussi un vidéo du band et une autre où je jouais du Prokofiev. C’est ce que Charles-David avait repéré. 

CHARLES-DAVID DUBÉ : Ton band,  surtout toi et ton batteur Olivier Bernatchez qui est devenu mon ami et proche collaborateur, m’avaient impressionné.  Je voulais alors travailler avec des instrumentistes plus calés. 

PAN M 360 : Quels étaient vos goûts musicaux à l’époque de vos premières rencontres ou même avant ?

CHARLES RICHARD-HAMELIN : À l’école secondaire comme au cégep, je m’étais vraiment intéressé au rock progressif. J’avais commencé par Gentle Giant, pour les rythmes et les influences médiévales, ça m’avait mené ensuite vers Yes, Genesis, puis Return to Forever, Weather Report, le jazz fusion. Ce n’était pas la musique de mon temps, mais ça m’avait accroché.

CHARLES-DAVID DUBÉ : Moi, j’étais à fond dans Zappa. Le prog, ce n’était pas tellement mon truc mais chez Zappa il y avait quelque chose de différent, un côté populaire, des chansons, de l’humour absurde, un esprit rock. Mais il y avait aussi du jazz, des musiques orchestrales, des musiques expérimentales de la musique contemporaine. Pendant deux ans, je n’avais écouté que ça!  Alors que le prog était pour moi un peu trop scolaire. Et pourtant… j’ai été attiré par la musique de Charles (rires)

CHARLES RICHARD-HAMELIN : En fait, je n’étais pas en phase avec la musique actuelle de mon adolescence, j’écoutais du prog des années 70, puis du jazz fusion. Corea, Hancock etc. Charles-David, tu m’as alors allumé sur autre chose, je ne connaissais même pas Radiohead! Tu m’as fait écouter Kid A et Amnesiac, ça m’a ouvert la porte à tant de musiques. 

CHARLES-DAVID DUBÉ : Après ma période Zappa, j’ai écouté tout ce que je pouvais écouter. Le jazz faisait déjà partie de mon son. La musique classique?  Je suis plus dans le jazz que dans la musique classique, Mozart, Beethoven et cie c’est moins mon bag mais j’apprécie vraiment. Oui j’ai fait un bout dans le monde de Charles, il m’a fait découvrir tellement d’oeuvres qui m’ont marqué, je pense entre autres à Scriabine, Stravinsky, Prokofiev, Dutilleux et même Chopin que je n’aurais jamais pensé apprécier à ce point. J’adore!  Encore très souvent, Charles, Oli et moi, on se parle de ce qu’on écoute. Je suis toujours content de découvrir, bien que je ne sois pas toujours réceptif à certaines musiques. Mais dans d’autres phases, je suis vraiment prêt à m’y abreuver.

PAN M 360 : Après votre rencontre virtuelle, une vraie collaboration s’ensuivit pendant un moment. Racontez!

CHARLES  RICHARD-HAMELIN : Tu partais alors un projet qui a quand même duré longtemps, qui s’appelle Le Havre et dont j’ai été le claviériste en déménageant à Montréal pour y poursuivre mes études à McGill. Pendant ces trois années, je faisais partie du projet de Charles-David, tout comme le  batteur de mon groupe, Olivier Bernatchez. Les trois premières années à Montréal, j’étais donc dans Le Havre, puis je suis parti étudier  deux ans à Yale. J’ai alors dû quitter le groupe qui a changé par la suite.  En 2015, ma carrière classique a vraiment décollé et je n’ai plus eu le temps de mener d’autre projets de ce type. Oli, lui, est resté proche collaborateur de Charles-David dans le projet Le Havre, comme l’est Mariève Harel-Michon, chanteuse de BAAB. Mais on est restés full proches, je revenais régulièrement à Montréal pour voir ma blonde et mes amis, dont Charles-David, Mariève et Oli. Depuis le début de la pandémie, on se fait des appels zoom, on s’est vus dans ma cour lorsque c’était permis. 

CHARLES-DAVID DUBÉ : Charles est toujours dans le décor. Charles, tu restes mon filtre obligatoire, tu es toujours parmi les premiers à écouter mes nouveaux enregistrements. Je te vois plus comme un allié qu’un critique. Je ne m’attends vraiment pas à ce que tu me démolisses, tu es un coussin pour moi. 

CHARLES RICHARD-HAMELIN : Et nous sommes allés ensemble au Japon ! J’y suis allé 6 fois en tournée et j’ai dit à Charles-David et Oli qu’il leur fallait absolument venir avec moi. C’est malade, tellement trippant. J’ai donc arrangé ça à l’avance et nous sommes allés ensemble.

CHARLES-DAVID DUBÉ : Lors d’une interview donnée par Charles là-bas, nous étions dans la même pièce avec Charles et les journalistes, full jetlag, et nous avions eu un méchant fou rire haha!

CHARLES RICHARD-HAMELIN : Ce n’était pas très professionnel, mais c’était quand même très drôle! Ce fut une belle expérience que j’ai pu partager avec mes amis.

PAN M 360 : La carrière de Charles est connue,  médiatisée, nous connaissons sa remarquable trajectoire. Apprenons-en maintenant côté Charles-David. 

CHARLES RICHARD-HAMELIN : Depuis longtemps, je suis un fan fini de ce que Charles-David fait. Ça a pris toutes sortes de directions. Il faut écouter ses projets Le Havre sur Bandcamp.

CHARLES-DAVID DUBÉ : Le projet BAAB est plus soul, pop, électro, avec une petite touche de jazz.  Je suis autodidacte, je ne lis pas vraiment la musique, je ne me considère pas musicologue non plus. Tout ce qui entre dans mes oreilles a une couleur et de l’importance. Ce n’est peut-être pas à moi de le dire mais à toi Charles; tu entends peut-être des influences classiques, dans certaines de mes progressions d’accords, de mes choix mélodiques.

CHARLES RICHARD-HAMELIN : C’est ce que j’aime beaucoup dans ta musique. Je suis entouré de monde du milieu académique, qui ont étudié la musique et la théorie. Mais j’aime aussi l’idée de l’apprentissage autodidacte. Frank Zappa, était autodidacte et il a poussé très loin son affaire sans passer par les écoles. Il a développé un langage harmonique qui fut le sien en plus d’être rythmiquement très avancé. On sait aussi que Chopin avait aussi son propre langage harmonique. 

Je ne veux pas comparer ces artistes à Charles-David, mais mon ami a aussi sa propre syntaxe, sa propre logique, ses propres liens entre les harmonies. Depuis que je le connais, il est resté très solide sur ce plan; les styles et les sonorités ont changé mais il a toujours ce même fond pour l’harmonie et la mélodie. Ça ne s’apprend pas. Tu as beau étudier très longtemps, mais c’est quelque chose que tu as ou que tu n’as pas. Charles-David a une forte personnalité, sa musique vient vraiment me chercher.

PAN M 360 : À ton tour, Charles-David, parle-nous des valeurs de la mélodie et de l’harmonie dans ton travail.

CHARLES-DAVID DUBÉ : L’harmonie est ce qui me fait le plus tripper dans la musique. Mais pas l’harmonie prévisible; par exemple, Fred Fortin a son propre univers harmonique, des changements d’accords qui lui sont propres, dans tout ce qu’il touche. Pour moi, ça a toujours  été important de développer mon truc, mon son. Au début, mon affaire ressemblait trop à Radiohead ou Karkwa, y a rien qui m’horripilait autant qu’on me compare à eux. J’avais alors pris la résolution de m’abreuver à d’autres musiques et de trouver mon propre son, quel que soit le genre musical. De nos jours, ce n’est pas dans la liste des priorités de tous les artistes, ça l’est dans la mienne, quitte à avoir moins de de fans.J’imagine que c’est ce que Charles entend dans ce que je fais.

PAN M 360 : Quels sont vos goûts plus actuels en musique?

CHARLES RICHARD-HAMELIN : J’ai écouté plein de choses. Olivier nous a branchés sur la nouvelle scène jazz de Los Angeles, par exemple, Kamasi Washington, Flying Lotus et autres Thundercat. Cette scène là rejaillit partout dans ce qui se fait aujourd’hui. Sinon j’aime beaucoup Louis Cole et son projet Knower, à la fois sérieux et absurde. Sur le tard, j’ai découvert Dirty Projectors et ça m’a mené à la scène indie, je pense notamment à Grizzly Bear.  Ces musiciens ont aussi leur propre logique harmonique, leur propre langage.

CHARLES-DAVID DUBÉ : J’aime beaucoup les beatmakers comme Knxwledge et autres Mndsgn, plus que les jazzmen de Los Angeles. J’ai assisté à des concerts de Thundercat, par exemple, mais je ne peux dire que je suis trop là-dedans. Sinon j’écoute des formes plus classiques à la Esperanza Spalding. De son côté, Oli me branche sur plusieurs productions hip hop. Aussi, j’aime beaucoup Genevieve Artadi , qui est la collaboratrice de Louis Cole dans le projet Knower. 

PAN M 360 : Pourquoi ne pas collaborer de nouveau, les deux Charles ?

CHARLES RICHARD-HAMELIN :  Charles-David pourrait peut-être venir chez moi et enregistrer des pistes de piano pour ses productions, mais je ne peux m’embarquer davantage…

CHARLES-DAVID DUBÉ : C’est sûr que pour le prochain enregistrement de BAAB, je veux du piano!

CHARLES RICHARD-HAMELIN : Tous les synthés que j’avais, je les ai donnés à Charles-David. Si je devais me remettre là-dedans, il me faudrait m’équiper et je n’ai plus rien… Mon piano est trop bien accordé chez moi, il n’y a pas de vibe! (rires) À vrai dire, il n’y a tellement pas de crossover dans mon circuit. Oui, je  sais que des pianistes classiques peuvent faire des musiques improvisées. Denis Matsuev? Non je trouve ça yark. Lucas Debargue, par contre, peut vraiment faire ça avec goût. Les rencontres croisées? Peut-être mais ces mondes sont tellement différents. Par exemple, je joue toujours sans amplification. Comment allier cela avec ce que fait Charles-David ? Peut-être ne suis-je vraiment pas là-dedans en ce moment… je n’arrive pas à imaginer une telle transposition sur scène.

CHARLES-DAVID DUBÉ : Si je peux me permettre, on a fait des jams à maintes reprises, c’était super bien! Une autre partie de toi en ressortait. Je me dis alors que ça peut vraiment être possible si tu le veux et si tu prends le temps de le faire. C’est dommage que tu rabaisses ce que tu fais dans ces moments-là. Tu trouves que ce n’es rien alors que moi je trouve ça super.

CHARLES RICHARD-HAMELIN : C’est dur d’assumer. Tu passes ta journée à jouer du Chopin, du Brahms, du Ravel, bref le meilleur qui a été fait par les humains depuis les débuts de la musique, après quoi tes affaires tu les trouves tellement poches. T’as honte de même commencer à développer quelque chose. Des fois je commence… et j’abandonne. En fait j’ai le sentiment de m’exprimer pleinement dans l’interprétation, je ne ressens pas un vide dans ma carrière qui me motiverait à m’exprimer autrement. Mais… Peut-être qu’un jour je ressentirai ce manque.

PAN M 360 :  Quelle sera la suite des choses entre les deux Charles, quoi qu’il advienne professionnellement?
CHARLES-DAVID DUBÉ : Les assises de notre amitié sont très solides. Moi j’ai deux amis : Charles et Oli. Je ne ressens pas le besoin absolu d’avoir des amis, j’aime être dans mon studio les rideaux fermés mais… Charles et moi nous nous connaissons depuis plusieurs années, nous avons une compréhension assez semblable de la musique et de l’art. Mariève a aussi un lien de ce type avec le compositeur de musique contemporaine Francis Battah. Ces relations pourraient en inspirer d’autres.  

Saro Derbedrossian: Montréalais à la tête d’un petit empire hip-hop

par Félix Desjardins

HotNewHipHop est l’une des plateformes les plus influentes de la planète hip hop. Qui sait que son fondateur et chef des opérations est Montréalais ? Qui sait que le quartier HNHH se trouve dans l’arrondissement Saint-Laurent de Montréal ?

Issu d’une famille arménienne établie au Liban, Saro Derbedrossian plie bagage pour Montréal. Il s’inscrit alors au MBA à l’École de gestion John-Molson de l’université Concordia. Quelques années plus tard, il se lance en affaires avec un ami, le premier projet étant de créer un forum en ligne se consacrant au hip-hop. PAN M 360 s’est entretenu avec le Montréalais d’adoption à la tête d’un des plus influentes plateformes se consacrant à la culture hip-hop dans le monde : HotNewHipHop (HNHH).  

«Au début des années 2000, tous les gens de ma génération étaient fascinés par le web, amorce Derbedrossian. J’ai marié cet intérêt avec mon amour de la musique, c’est comme ça que ça a commencé.» 

Avouant qu’il n’était pas un amateur de hip-hop au départ, il s’est finalement laissé conquérir après avoir baigné de nombreuses années dans le milieu.

Bien que ce genre d’entreprise nichée carbure à la passion, l’homme d’affaires assure qu’il a toujours été sérieux dans sa démarche, croyant au potentiel énorme de son site. 

«Ça n’a jamais été un hobby, affirme-t-il. Je ne suis pas un éditeur, ni un rédacteur ni un journaliste. Mon angle était de voir comment l’industrie fonctionne et de transformer un modèle de prescription de musique en un modèle de publication assumé. Pour y parvenir, tu dois comprendre comment le monde numérique fonctionne. »

Au départ, HNHH n’était qu’une page offrant des sélections quotidiennes de hip-hop. Maintenant, le site accueille plus de 12 millions de visiteurs uniques chaque mois et  élargit son contenu à toute la culture entourant cette scène. 

«Au début, le hip-hop était un genre plus marginal. Maintenant, la culture hip-hop EST la culture populaire», explique notre interviewé. On y retrouve donc aujourd’hui du contenu qui s’étend du sport aux potins hollywoodiens en passant par la haute couture, des intérêts qui rejoignent leur «jeune public». »

En toute humilité, Derbedrossian est convaincu d’avoir aidé certains artistes internationaux à atteindre la gloire en partageant leurs chansons ou en leur offrant une plateforme. Parmi la liste d’artistes qui lui doivent une fière chandelle: The Weeknd, Tyga, Chris Brown, Wiz Khalifa, Iggy Azalea, Tory Lanez et Post Malone, pour ne nommer que ceux-là. 

«Nous n’avons pas mis leur nom sur la carte, mais nous avons certainement aidé leur carrière de façon spectaculaire», avance-t-il. 

À ses côtés, la directrice du contenu de HNHH, la Montréalaise Rose Lilah, renchérit. 

«Tellement de maisons de disques viennent à nous pour que nous fassions la promotion de leurs artistes. Nous sommes souvent les premiers à soutenir les artistes, même si nous ne recevons pas nécessairement le crédit en retour. L’impresario de Post Malone nous a déjà dit à quel point nous l’avions aidé. »

Le public cible de HNHH se divise entre les amateurs plus puristes, qui sont plus vieux, et les plus jeunes, qui vouent un culte aux Lil Baby, Roddy Rich et Lil Uzi Vert de ce monde. Il y a d’ailleurs un clivage important entre ces deux groupes aux mentalités distinctes. 

«Nous entendons souvent les traditionalistes affirmer que le hip-hop est mort, souligne Derbedrossian. En tant que propriétaire d’une entreprise dans cette industrie, je ne veux pas entendre ça ! J’ai commencé à être antipathique envers les gens qui le prétendent, plutôt que d’observer le tout d’un point de vue évolutionniste. Tous les genres évoluent. »

Lilah est d’ailleurs d’avis que l’offre n’a jamais été aussi grande sur la scène hip-hop qu’à l’heure actuelle. Elle explique du même coup qu’il est désormais facile de braquer les projecteurs sur les femmes rappeuses, en pleine effervescence par les temps qui courent.

«Quand nous avons commencé, il n’y avait pas tant de femmes rappeuses, explique-t-elle. Aujourd’hui, c’est facile de les encourager, on a tellement de choix.»

Avec l’avènement des réseaux sociaux, surtout TikTok, Derbedrossian constate qu’il est plus facile que jamais d’atteindre le sommet… mais qu’il est plus difficile que jamais d’y demeurer. 

«Aujourd’hui, c’est plus facile de devenir un artiste, d’avoir une bonne chanson, parce qu’il y a des façons d’atteindre les consommateurs plus facilement et rapidement, estime-t-il. Tu n’as besoin de personne pour publier une chanson sur Spotify, et avec l’aide des algorithmes, tu peux te faire un nom. Nous voyons beaucoup de one-hit wonders. »

Cette scène en pleine évolution, Derbedrossian la connaît au bout de ses doigts. Il juge d’ailleurs qu’un site comme le sien a une compréhension beaucoup plus fine de celle-ci que les géants de l’industrie. 

«Je pense qu’ils omettent les véritables racines du genre. Nous sommes plus en contact avec les artistes, avec l’art lui-même. Je ne pense pas que les gens qui choisissent les nominations aux Grammys baignent autant dans la culture hip-hop et la comprennent aussi bien que notre équipe. »

Avant la pandémie de la COVID-19, qui a forcé l’entreprise à faire des mises à pied temporaires, HNHH comptait une vingtaine d’employés entre son quartier général de Montréal et son bureau à New York. De plus, Derbedrossian et son équipe avaient signé un bail pour un bureau à Los Angeles, où ils prévoyaient produire plus de contenu vidéo.

Même si les scènes les plus importantes hip-hop se trouvent à New York, Los Angeles, Atlanta ou Toronto, Derbedrossian n’a jamais considéré déménager le quartier général de HNHH hors de l’arrondissement de Saint-Laurent. 

« J’ai eu la possibilité de m’installer en permanence aux États-Unis, mais j’aime Montréal et son ambiance. Je pense aussi aux gens [qui résident ici] qui m’ont aidé à me rendre où je suis et nous avons une équipe forte. »

En attendant que la crise sanitaire se conclue, Saro Derbedrossian et son équipe maintiennent le cap et offrent des dizaines d’articles par jour à leurs lecteurs. 

«Je suis heureux que nous accomplissions quelque chose de bien. Je suis fier du succès que nous connaissons. Après la pandémie, nous espérons offrir beaucoup plus  à notre public. » 

reggae

Bunny Wailer : 10 avril 1947 – 2 mars 2021

par Richard "Bugs" Burnett

La légende du reggae Bunny Wailer est décédée le 2 mars au Medical Associates Hospital de Kingston, en Jamaïque, à l’âge de 73 ans. Il s’est rendu plusieurs fois à l’hôpital depuis qu’il a eu une attaque en juillet 2020. Née Neville O’Riley Livingston, Bunny est le dernier membre fondateur survivant des Wailers. Le trio s’est désintégré en 1973, Bob Marley devenant une icône mondiale avant sa mort d’un cancer en 1981, et Peter Tosh devenant un martyr après avoir été assassiné chez lui lors d’un vol en 1987. Lorsque j’ai longuement interviewé Bunny en 2010, le magazine HOUR a publié l’article en couverture en le titrant « The Forgotten Wailer » (en prévision du spectacle de Bunny au Festival international de reggae de Montréal).

Mais parfois, Bunny peut être son propre ennemi…

Pour cette page couverture, Roger Steffens, le plus grand spécialiste au monde de Marley and The Wailers, m’a dit : « Leroy Jodie Pierson et moi avons passé la décennie des années 90 à travailler sans relâche sur l’autobiographie de Bunny Wailer, Old Fire Sticks. Nous avons commencé par 64 heures d’interviews sur une période de trois semaines, enfermés dans une chambre d’hôtel de Kingston avec lui et divers collègues de différentes périodes de l’histoire des Wailers. Il y a plus de 1 800 pages de transcriptions, détaillant presque au jour le jour la vie de Bunny, depuis l’époque où il avait 8 ans, avec Bob Marley. Pratiquement toutes les questions que les fans se posent sur l’histoire des Wailers trouvent une réponse dans les mémoires souvent amères de Bunny. Il ne nous a jamais officiellement dit, à Leroy et à moi, qu’il avait abandonné le projet, apparemment sous la pression du clan Marley, et nous avons dû apprendre cette triste nouvelle de son chef d’orchestre en 2001. Je considère son incapacité à partager sa version des faits comme un crime contre l’histoire ».

André Ménard, co-fondateur du Festival International de Jazz de Montréal a également été arnaqué par Bunny qui a reçu une avance de 10 000 dollars pour un concert au festival en 1998… sans jamais se pointer. Donc, lorsque le Festival de Reggae de Montréal a programmé Bunny en 2010, André m’a dit : « Nous ne prenons aucune mesure contre Wailer parce que nous ne voulons pas lui donner une excuse pour ne pas venir une deuxième fois. Bunny Wailer s’est présenté à moi comme un homme intègre et plein de principes. Je pense toujours qu’il est un grand artiste. Mais un homme intègre ? Fuck it ! J’attends toujours son invitation personnelle pour le voir au Festival de Reggae. Ce sera le billet de concert le plus cher que j’ai jamais payé ».

Finalement, Wailer ne s’est pas non plus présenté à ce concert.

Au cours de sa légendaire mais tumultueuse carrière, Wailer a remporté trois Grammys et reçu l’Ordre du mérite de la Jamaïque en 2017. Il sera à jamais une icône du reggae. Alors que Bunny se sentait éclipsé par Bob et Peter, souhaitons que les trois amis d’enfance trouvent enfin un peu de paix. 

Inscrivez-vous à l'infolettre