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Samian, la langue française et la « mentalité coloniale »

par Alain Brunet

Le Festival international de la chanson de Granby (FICG) se trouve dans une position délicate après avoir invité l’artiste autochtone Samian à y donner un spectacle essentiellement francophone. Or, son œuvre récente, celle de l’album Nikamo qu’il promeut sur scène actuellement, est exprimée en anishinabemowin.

Via son profil FB, Samian a dénoncé cette condition préalable à son invitation à Granby, sa dénonciation de la « mentalité coloniale » a eu l’effet d’une traînée de poudre. Pas d’explosion à l’horizon mais…

Le festival de Granby a eu tôt fait d’affirmer son ouverture au dialogue après la sortie de Samian, ce dernier s’est aussi dit ouvert à poursuivre la conversation… La marque de l’événement est néanmoins égratignée un tantinet, le rappeur a d’ores et déjà gagné la bataille de la conversation publique, sauf peut-être chez les ultranationalistes de souche qui y verront un affront à cette majorité linguistique au Québec – qui se perçoit également (avec raison) comme une minorité linguistique au Canada et une infime minorité linguistique sur le continent nord-américain.

Musicien, auteur, compositeur, rappeur, acteur, Samian a conquis le marché local depuis 2007, forcément francophone en majorité. Sa deuxième langue étant le français et non l’anglais, Samian fait naturellement partie de l’espace public keb franco, au même titre que l’Innu Florent Vollant qui a naguère généré un impact de masse au sein de la population francophone d’Amérique. Jusque là, tout va bien.

Or, cet accueil de l’art populaire autochtone par le Québec francophone devient douteux lorsqu’une institution dont l’objet essentiel est de promouvoir la chanson francophone, soit en y lançant de nouvelles carrières, impose à un ami non francophone du Québec francophone d’exprimer son art dans la langue de la majorité.

Si on considère Samian comme un ami des Kebs francos, peut-on le contraindre pour autant à devenir francophone à 100%, ce qu’il ne sera jamais ? Bien sûr que non. Même si le nom civil du rappeur est Samuel Tremblay, le nom de son père allochtone – sa mère est pure autochtone et sa grand-mère maternelle aurait aussi contribué à son éducation autochtone dans son Abitibi natale. Même s’il a signé plusieurs textes en français avant de renouer avec sa culture ancestrale pour ainsi participer à la grande renaissance de la culture autochtone partout au Canada.

Samian est un artiste métis, à la fois québécois francophone et anishinàbemiwin de la Première Nation Abitibiwinni. Ses choix identitaires sont les siens et nous devons les respecter. Point barre.

Que nos institutions et nos décideurs n’aient pas encore acquis les réflexes de cette reconnaissance au quotidien est devenu gênant ces dernières années, carrément honteux dans certains cas. En matière de gestion de la culture dans l’espace public, les Québécois francophones (dont je suis) n’en sont pas à leur premier écart de conduite dans la perception et le traitement de leurs minorités – on pense évidemment aux fameuses maladresses de SLAV et au débat subséquent autour de l’appropriation culturelle. Bien au-delà de cette saga, on sait désormais que le colonialisme et le racisme systémique (toujours nié par certains) font aussi partie de l’inconscient collectif de la population québécoise francophone, elle-même jadis victime d’une réelle oppression culturelle, sociale et politique. Quoi qu’en disent tous les Mathieu Bock-Côté de ce monde, il ne s’agit pas ici de draper dans la rectitude politique en adoptant une telle posture. Il s’agit ici de l’assomption de notre réalité présente et future.

Encore aujourd’hui au Québec francophone, les personnalités publiques issues des minorités culturelles et linguistiques sont mieux acceptées lorsqu’elle s’expriment en français avec un accent keb. Sinon, ça devient plus ardu, même pour celles et ceux issu.e.s des minorités s’exprimant dans un français normatif, moins incarné dans la francophonie de souche en Amérique. Aberrant en 2022. À ce titre, l’épisode Granby en est un autre de notre inconscience, on ne peut plus s’en excuser avec un sourire candide.

Permettons-nous d’insister: Samian est un Québécois à part entière, nous lui devons respect pour sa langue et sa culture ayant marqué ce territoire bien avant l’arrivée de Radisson en Amérique. L’avenir de ce territoire sera florissant et harmonieux à la seule condition qu’une cohabitation respectueuse et une collaboration dynamique de ses communautés culturelles et linguistiques puissent y prévaloir à court, moyen et long termes. Et cette cohabitation commence avec les Premières Nations, peuples fondateurs de ce pays au même titre que ses colonisateurs européens.

Samian le sait. Le savons- nous ?

LES SOURCES DE CETTE CHRONIQUE SONT LES SUIVANTES:

SRC : Le rappeur anichinabé Samian dénonce le quota de français imposé par le FICG

La Presse: Festival international de la chanson de Granby / Les organisateurs veulent dialoguer avec Samian

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