Les Louanges et « Crash » : « la vie qui te rentre dedans »

Entrevue réalisée par Alain Brunet
Genres et styles : électronique / hip-hop instrumental / jazz / soul/R&B

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Géniteur de la créature Les Louanges, sans conteste un des meilleurs projets keb francos ces dernières années, Vincent Roberge nous balance Crash en janvier 2022.

Ça fesse fort, Crash? En 14 chansons, ça cause des collisions de l’existence, celle d’un ado devenu homme.

Crash, c’est aussi est le deuxième album des Louanges sous étiquette Bonsound, album mâtiné de nusoul, nujazz, hip hop champ gauche comme le précédent, cette fois entrelardé de filons électros et expérimentaux.

Les premières manifestations de Vincent Roberge remontent à 2016, avec la mise en circulation de l’EP Le Mercure dans tunnels de la culture souterraine. Les Louanges ne seront vraiment louangées qu’en 2018, année d’une spectaculaire émergence avec La nuit est une panthère, un album excellent.

Ça fessait fort. Vincent Roberge réussissait alors l’intégration d’une solide culture hip-hop , nusoul et nujazz à une pop québécoise francophone de grande qualité, assortie de textes inspirés au tournant de la vingtaine. Ce projet audacieux et innovant s’avérait beaucoup plus fédérateur que prévu.

Vincent Roberge était le premier artiste québécois francophone à jouer sur ce terrain. Accompagné d’excellents musiciens, le personnage Les Louanges s’est avéré magnétique sur scène, au-delà des attentes suscitées par La nuit est une panthère

Sorti en 2019, l’EP Expansion Pack des Louanges poursuivait sur cette lancée que la pandémie a ralentie jusqu’au prochain chapitre de création en studio. 

Un peu plus de deux ans, voici Crash, ici expliqué par son concepteur.

PAN M 360 : Tu as eu toute la pandémie pour faire évoluer le concept. Passage difficile?

VINCENT ROBERGE : Heureusement pour moi, cette période était prévue pour composer et donc me retirer de la circulation. La pandémie n’a fait que précipiter les choses, j’ai eu du temps en masse pour penser à mon affaire. Cet album est terminé depuis juillet. 

PAN M 360 : Quels sont les principaux changements par rapport aux chapitres précédents? Que s’y distingue-t-il par rapport à ce qu’on a accompli précédemment?

VINCENT ROBERGE : D’abord une réponse assez simple : le p’tit gars qui a fait La nuit est une panthère n’était peut-être pas rendu un homme, c’est plutôt un petit homme qui a fait Crash. J’ai évolué, j’ai physiquement vieilli, j’ai aujourd’hui 26 ans. Et j’ai vraiment travaillé ces dernières années, notamment sur ma présence sur scène et ma plume. Aujourd’hui, j’ai un album supplémentaire derrière la cravate, sans compter la trame sonore d’un film pour ados – Jeune Juliette, d’Anne Émond. 

PAN M 360 : Une certaine maturité acquise, donc.

VINCENT ROBERGE : Surtout beaucoup d’expérience et de la confiance. Je suis mieux assumé et mieux incarné dans mes choix. Aussi, en suivant mon instinct, je serais plus près de ma propre personne. J’ai donc cherché fort à créer quelque chose d’apparemment simple et qui parle de la vie de tous les jours. Au lieu de lancer dans ta face des trucs qui ont l’air compliqué, je me suis appliqué à faire des choses qui apparaissent simples et qui sont pourtant recherchées, dans la musique comme dans les mots. La concision est devenue pour moi un défi, je souhaite ainsi offrir un produit raffiné, pour lequel je me suis cassé la tête mais qu’on peut comprendre dès la première écoute. Une chanson porte une émotion et un message, le but ultime est qu’elle atteigne son but. 

PAN M 360 : L’expérience de vie d’un jeune homme se traduit donc en chansons?

VINCENT ROBERGE : Qu’il se soit passé beaucoup de choses dans ma vie personnelle et dans ma vie professionnelle ces dernières année, ça m’a donné quelque chose à dire et à raconter. Pas que je n’avais rien à dire… Je pense que les nouvelles chansons racontent en elles-mêmes ce que j’ai vécu. 

PAN M 360 : Alors pourquoi décliner ces expériences en chansons sous le titre Crash?

VINCENT ROBERGE : Je l’ai intitulé comme ça lorsque j’ai réalisé que chaque chanson était un événement important dans ma vie. L’impact pour chacun des événements a été positif ou négatif, mais l’impact a été fort. Pour moi, Crash, c’est donc la vie qui te rentre dedans. C’est le début de la vie adulte avec ses difficultés mais aussi ses grands moments d’extase. Prenons les premières amours qui ont un peu plus d’allure à 17-18 ans, tu les vis avec plein de passion. Dans la vingtaine, les sentiments sont un plus sérieux, plus profonds et si ça ne marche plus ça frappe fort autant que ça a frappé fort quand ça marche. Chaque période de vie a son lot d’apprentissages et ses spécificités. Durant cette période, la vie qu’on avait rêvée se transforme en vie normale avec de bons et de mauvais côtés. Plus tu vieillis, plus tu passes par plein d’états et de situations de vie, c’est un peu ça l’album. C’est l’entrée en matière d’une vie adulte. Ces dernières années m’ont peut-être forcé à vieillir un peu plus vite et perdre mon innocence.

PAN M 360 : On peut avoir des exemples de ces entrechoquements évoqués dans les chansons?

VINCENT ROBERGE : 

Dans Boléro, je parle de moi en tournée. Je fais le party, je ne fais pas du tout attention à moi, je n’ai pas une bonne hygiène de vie. Je le dis carrément dans la chanson : le marathon va se poursuivre, quitte à frapper le mur qui arrive. Un impact à venir, donc… on verra bien la facture à payer dans 10 ans! 

Dans Pigeons, c’est clairement moi quand la COVID nous atteint. Une tournée européenne avorte, je dois rentrer au pays et je réalise que j’ai négligé plusieurs personnes autour de moi. Je m’interroge si c’était bon ou pas. Quoi qu’il en fût, je n’étais pas là. 

Dans Chaperon, je raconte une vraie situation d’agression sexuelle. Je ne peux parler pour l’agressée, je ne peux savoir c’est quoi… mais je peux parler pour son chum qui est un de mes meilleurs amis (et qui n’était pas l’agresseur). Je peux donc parler des dommages collatéraux; pour le partenaire de cette fille, c’est l’explosion d’une bombe atomique. Comment négocier avec ce qui arrive à des amis proches? C’est super délicat. Tu vas être là pour ces gens que tu considères comme ta famille, ça te fait vivre de dures émotions.

PAN M 360 : Musicalement, on constate quelques changements. Quels sont-ils selon toi?

VINCENT ROBERGE : Avec les premiers enregistrements, j’avais les mêmes buts, soit essayer de faire ce qu’on ne faisait pas – soul, hip hop, jazz et chanson francophone. Cette fois, on me demande quelle est la musique m’ayant inspiré et je ne sais trop quoi répondre, sauf que j’en écoute tout autant, des affaires complètement disparates. Cette fois, je n’avais pas de but (faire de la chanson keb avec des influences hip-hop, R&B et jazz), j’ai plutôt suivi mon instinct. Quand on trouvait l’essence de la chanson, on la suivait, on voyait après ce que ça donnait.

PAN M 360 : Atteindre la maturité en chanson signifie aussi émonder, n’est-ce pas?

VINCENT ROBERGE : Je voulais créer dans la clarté et la vérité du texte et aussi la clarté dans la musique, sans vouloir complexifier les choses pour rien. Comparé à la musique savante, la force de la musique pop, c’est le tout en fait, ça inclut les vidéos, les photos, la scénographie, ta propre personnalité, ta propre gueule. La composition sérieuse est un tableau, la musique pop est une installation. 

PAN M 360 : Que peut-on identifier de neuf dans la musique?

VINCENT ROBERGE : J’ai réalisé que le côté R&B / hip hop est un peu moins présent. Je continue sur cette voie, mais j’ai aussi envie de faire autre chose. Là, donc, j’ai l’impression d’être sur des eaux qui semblent à la fois plus pop par moments et plus plus expérimentales par moments. 

PAN M 360 : Soyons plus spécifiques!

VINCENT ROBERGE : OK. Dans l’intro de mon album, il y a une vibe Daptone Records – Sharon Jones, Charles Bradley, etc.. Quand j’ai fait Chaussée, j’écoutais l’album Sign o’ the Times de Prince. Dans Facile ou dans Mono, il y a une approche plus électro à la James Blake. Je disais aussi avoir réalisé que le côté cru de l’album et la voix plus « en avant » dans le mix peuvent s’imbriquer dans un contexte numérique. De manière générale, j’ai poussé plus loin l’étude du son.

PAN M 360 : On sent que les influences musicales sont très variées dans cet album. Peut-on identifier des styles? Des noms?

VINCENT ROBERGE : J’écoute plein de trucs, c’est disparate. Par exemple, il y a la soul des années 60 et 70, Sly Stone, Curtis Mayfied, Al Green, Marvin Gaye, Isaac Hayes, Parliament Funkadelik, etc. Il y a également l’électro, le producteur brit Vegyn, l’IDM d’Aphex Twin ou encore le projet Atoms for Peace avec Thom Yorke. En hip-hop, j’adore Tyler The Creator, Earl Sweathirt ou Vince Staples, toute la bande d’Odd Future. Je continue à aimer Kanye West, je me fous pas mal du cirque autour de lui… la prod est tellement forte même s’il parle de Jésus!

PAN M 360 : On remarque aussi un souci d’élévation littéraire à la québécoise, un échantillon de Gaston Miron dans l’album nous met la puce à l’oreille.

VINCENT ROBERGE : Gaston Miron était une force, je pense aussi à Marc Séguin ou à Richard Desjardins. Ils montrent les coutures, ils ont un côté raide mais ils ont une sensibilité très forte. D’autant plus qu’il ne sont pas dans la représentation, on voit qu’ils cherchent quelque chose.

PAN M 360 : Ton équipe est restée stable. Pourquoi?

VINCENT ROBERGE : On ne change pas une équipe gagnante! J’essaie d’inclure le groupe le plus possible dans ce que je fais, parce que joue avec ces musiciens dans tout le processus, en studio comme en show. Le groupe, c’est William Côté, batterie, Pierre-David Girard, basse, Gabriel Godbout, claviers. De plus, on s’est gâtés avec les choristes Marie-Christine Depestre et Dawn Cumberbatch qui ont fait un job excellent. 

Côté beatmaking et composition, j’en ai fait beaucoup plus moi-même, je suis devenu assez couteau suisse! Et il y a mon boy Félix Petit, la personne-clé qui peut regarder tout ce que je fais et à qui je peux faire pleinement confiance. Félix est la personne qui peut le mieux porter ma vision. En plus de jouer du sax et de produire, il peut diriger mon band en studio, tout en restant fidèle à mes idées. Aussi, il m’influence artistiquement et dans la vie de tous les jours, qu’il soit dans un restaurant ou dans un magasin de chaussures! Il est pour moi un grand frère.

Et les invités? Un seul. J’ai hâte de me retrouver en live pour des occasions spéciales et dire mesdames et messieurs j’ai le plaisir d’inviter mon bon ami Corneille!

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