Oktopus est un super groupe de klezmer/fanfare montréalais, formé de musiciens archi talentueux, tels Guillaume Martineau au piano, Gabriel Paquin-Buki à la clarinette, Francis Pigeon à la trompette, Simon Jolicoeur au trombone ou Julie Rivest au violon. Se joignent à l’ensemble de base, entre autres, Emie Rioux-Roussel (piano), Janna Kate (voix) et la violoniste néerlandaise Rosanne Philippens, qui a profité de son passage à Montréal et d’un concert avec l’OSM pour faire un détour par le studio pour enregistrer une pièce folklorique (Kállai kettős, popularisée par David Oistrakh) avec le groupe.
Brahms, Balkans & Bagels est une petite merveille de fusion entre plusieurs sources classiques (le 3e mouvement de la 3e symphonie de Brahms, les 1ere et 5e symphonies de Mahler, Dvořák, Liszt, Saint-Saëns), le klezmer, un peu de jazz et surtout beaucoup, beaucoup d’originalité et de plaisir. Les mélodies classiques virevoltent (ou parfois bercent) avec une énergie vitale portée par l’excellence technique des artistes, qui construisent une communion musicale à la fois chirurgicale dans sa précision et organique dans son aisance discursive.
Certains points forts (qui ne diminuent en rien la qualité des autres pièces) sont à noter : Mahler Goes Meshuge (Mahler devient fou), avec l’évidence des liens la Symphonie Titan du compositeur et la musique de rue de sa Vienne natale; Balkanale, une version truculente de la Bacchanale de l’opéra Samson et Dalila de Saint-Saëns; la Rhapsodie hongroise no 2 de Liszt, portée ici par une Guillaume Martineau impressionnant de vérité à la fois virtuose romantique, gitane, jazz et un brin Bugs-Bunny-esque. Fabuleux; le Reel de Béatrice, adorable fusion trad-keb et klezmer; finalement, la puissamment poignante Wiegala, une mélodie composée par une infirmière juive qui demanda à être déportée avec les enfants qu’elle soignait vers Auschwitz. Il paraît qu’elle leur chantait cette chanson au moment d’entrer dans la chambre à gaz… Dans la version ici interprétée par Janna Kate, on y ressent la force émotionnelle du moment à travers la voix vulnérable de l’Autrichienne d’origine. Les dernières mesures, tenues par le motif de trompette tiré du premier mouvement de la 5e symphonie de Mahler, est inoubliable. La vidéo de cette version (voir ci-haut) a d’ailleurs remporté le People’s Choice Award aux Bubbe Awards pour la meilleure vidéo d’une chanson juive, une distinction remise chaque année par l’Institut de musiques juives du Brésil. Un immense bravo.
Brahms, Balkans & Bagels est un album qu’on réécoute encore et encore, tellement le propos est pertinent et la qualité impressionnante.