Depuis vous savez quoi, l’achat local refait surface dans l’actualité, de nouveau comme une forme de solidarité envers les entreprises canadiennes mais cette fois, dans une tentative de résister aux rouleaux compresseurs américains.
Si la pandémie avait vu des initiatives comme le Panier Bleu voir le jour, elle avait aussi révélé que le système s’était mondialisé à un point où que plusieurs produits en versions québécoises ou canadiennes n’existaient pas, qu’on supportait au final des commerces québécois à vendre des produits fabriqués ailleurs. Pas seulement, mais c’est l’impression qui s’est imposée.
La fin de la pandémie, le déploiement d’Amazon au Québec et une offre moins attrayante ont fini par achever la plateforme, que le gouvernement a décidé de débrancher dans l’indifférence.
Pas que le besoin ne soit plus là mais que face aux géants comme Amazon, qu’est-ce que tu veux faire? Résister? Pourquoi? En espérant se faire une petite place, de se faire une petite piasse, on joue le jeu le temps qu’on a les moyens de le faire.
Et après? Bah, on n’est pas rendu là…
Le manque de vision de nos politiciens et leaders quant à la nationalisation du commerce en ligne a laissé place à un asservissement aux multinationales qui rend toute initiative locale bien superflue dans un prisme comptable, préférant l’enrichissement intéressé à court terme qu’à une richesse collective pérenne.
Acheter local ok mais dans un commerce américain? Si l’initiative « Le 12 février j’achète un billet de spectacle québécois » allait de soi et merci pour ça, j’ai eu une pensée pour les billetteries comme Ticketmaster qui ont aussi profité de cet élan de solidarité organique.
Ticketmaster, géant américain de la vente de billets de spectacles, est fusionné à Live Nation, géant américain de la production de spectacles, propriétaire de plusieurs salles de spectacles, promoteur de centaines de festivals et ce, dans plus de 49 pays à travers le monde.
En 2019, evenko, la filiale spectacles du groupe CH, s’est associé à Live Nation et la multinationale a maintenant des intérêts au Québec tels que le Festival de Jazz ou les Francofolies, Osheaga et le MTelus. Ce sont les affaires et dans le contexte expansionniste de Live Nation, c’était dans l’intérêt de l’entreprise de s’associer plutôt qu’être avalée.
Ça illustre la difficulté de contourner l’emprise américaine, même en culture. Et que les moyens investis dans cette sphère économique coulent naturellement sous d’autres cieux. Sans entraves ou presque, comme si la ressource était inépuisable.
Les tentatives d’en ériger quelques-unes ont eu des effets mitigés, comme la censure de Meta des médias traditionnels canadiens, et l’opposition des apôtres du libre marché, avec promesses de revenir en arrière à la première occasion.
Mais ultimement, c’était plutôt gentil comme législation, la situation exigeait et exige encore une réponse musclée, une réalisation commune. Il en va de notre souveraineté de ne plus contrôler ce qui circule au Canada, peu importe le média. Et qu’il faudrait y mettre les moyens à la hauteur du défi.
Ça serait déjà un plus de commencer à être conséquent dans nos décisions d’affaires. J’y reviens encore mais que nos politiciens choisissent X comme tribune pour des annonces s’adressant aux citoyens et médias canadiens, est devenu inadmissible. Que les gouvernements et les partis politiques canadiens achètent de la publicité de Meta est inadmissible. Que leurs sites web soient hébergés par Amazon est inadmissible.
Difficile en ce cas de demander aux citoyens de favoriser notre propre marché quand l’exemple donné par nos dirigeants est aux antipodes. On en est rendu à espérer un mouvement populaire qui fera bouger ces instances au-delà de leurs propres logiques comptables.
C’est dans cet esprit que doit répondre le gouvernement caquiste aux demandes mises de l’avant par les Grandes Manifestations pour les Arts, soutenir les artistes et les travailleurs culturels pour que le combat de cette identité commune se poursuive devant cette vague qui risque de nous submerger.
Mais il faudra aussi avoir notre propre bateau et notre équipage pour le mener au travers la tempête. Se forger nos outils technologiques pour réaliser une indépendance réelle et s’affranchir de la domination des multinationales qui ont peu de préoccupations pour les économies locales.
Parce qu’à terme, on assoiffe l’écosystème qui donne l’essence à ces artistes, travailleurs et entrepreneurs pour réaliser ce grand tout qui constitue la culture québécoise et canadienne.
Le système actuel est loin d’être parfait, majoritairement mis en place à une époque où la réalité était différente, n’est plus maintenant qu’une coquille pratiquement vide car les entreprises qui contrôlent majoritairement les leviers ne sont pas sujettes aux réglementations que les entités canadiennes doivent respecter. Le déséquilibre des revenus de chacun dégarnit des fonds comme Radiostar ou le Fonds des Médias, avec pour conséquence une baisse de soutien et de production, et finalement, des pertes d’emplois. Les maigres concessions obtenues de Netflix ou Google font diversion plutôt que d’infléchir cette trajectoire et ne changerons en rien à l’inéluctable.
La diminution des contributions publiques nourrit la situation, ce qui est incompréhensible à la lumière de ce qu’on sait et des discours de nos dirigeants quant à notre culture commune. Il est tout aussi incompréhensible de laisser les entreprises privées adresser des situations d’ordre national, d’intervenir en dernier recours et déplorer les échecs après coup.
Et il est tout aussi incompréhensible que les Canadiens n’aient pas d’incitatifs à favoriser des entreprises canadiennes dans un autre ordre que celui du pain et du beurre. Le pays compte sur plusieurs entreprises de services qui ne demanderaient rien de mieux que de pouvoir affronter à juste hauteur la compétition débridée.
Ça va au-delà des initiatives citoyennes, ça demande une volonté politique et une adhésion des acteurs économiques pour que notre économie puisse servir autant les entreprises, les travailleurs et la population canadienne que l’intérêt national.
La mondialisation aura bien servi la classe économique mais a aussi révélé des faiblesses rapidement exploitées par les plus gros joueurs du système. L’État a laissé faire, par opportunisme, ignorance ou intérêt, confortés par l’idée que l’ordre mondial le favorisait à certains niveaux. On le voit, cet ordre n’était pas aussi solide qu’on le croyait et les conséquences de ce laisser-faire se multiplient de jour en jour.
Pour certains, il est déjà trop tard et il vaudrait mieux se négocier une place dans le jeu à défaut de le mener. D’autres y croient encore mais leur nombre fond comme neige au soleil. Peu tentent de renverser la vapeur, l’ardeur des rouleaux-compresseurs semble impossible à stopper et sans une politique nationale robuste pour y faire face, nous devrons leur donner raison.
Il est désolant qu’une des initiatives les plus porteuses des dernières années en musique, la plateforme MUSIQC, financée par la SODEC (Québec) et Musicaction (Canada), apportent plus d’eau au moulin des grandes plateformes d’écoute en continu comme Spotify ou Apple, même si leurs politiques commerciales vont à l’encontre des intérêts de ces artistes et des entreprises qui les soutiennent afin d’être entendus. On se dit que dans la situation, vaut mieux ça que rien du tout.
Comme avec QUB, qui a raté une belle l’occasion de changer le paradigme actuel. Son exemple est malheureusement un signal pour les autres, si eux n’ont pas réussi…
On revient à un besoin d’initiatives nationales qui aborderont le côté commercial de la culture, avec un contrôle et un soutien sur tous les aspects qui entrent dans le processus, de l’artiste sur scène jusqu’à la billetterie, la distribution, la publicité, bref, penser à nourrir tout l’écosystème plutôt que de saupoudrer par secteur et laisser paître une frange non-négligeable de ce qui donne du sens à tout ça.
Le secteur privé n’a ni les mêmes intérêts ni les mêmes indicateurs de succès. La culture avec un grand C ne peut et ne doit pas être analysée selon ces indicateurs, sa singularité est son gage de succès face à la mondialisation, pas nécessairement au nombre d’écoutes, de « like » ou du nombre de fans. Qui aurait cru que Céline Dion pré-Incognito atteindrait de tels sommets, à part René Angelil? Il faut donner la chance de grandir, avec le temps nécessaire, plutôt que de s’attendre à des résultats à court terme.
L’industrie s’est graduellement étiolée et n’a plus le luxe de nourrir de tels espoirs. Il est temps que l’État assume son rôle et développe, par exemple, une plateforme d’écoute liée à Bibliothèque et Archives Nationales du Québec, avec des normes en phase avec les besoins des artistes et non les attentes des investisseurs. Parce qu’à la base de ce qui se passe aujourd’hui en culture et plus spécifiquement en musique, c’est des redevances qui ne sont pas à la hauteur de sa valeur, négociés en faveur d’une industrie qui nous appartient de moins en moins, à la merci d’un marché aux règles imposés sans égard des communautés, souvent réduites à quelques listes d’écoutes et un même. Faudrait également se négocier de meilleures redevances mais c’est une autre histoire.
Le Québec peut et doit mener ce chantier vital pour sa souveraineté culturelle et celle du Canada. On se le doit. Pour tout ce qui s’est fait et ce qui pourra se faire. Le salut ne viendra pas d’ailleurs. C’est entre nos mains.