Heitor Villa-Lobos (1887-1959) demeure encore aujourd’hui un compositeur d’une grande renommée associée à très peu d’œuvres. C’est dommage car, au-delà des célèbres Choro no 1 pour guitare et Bachianas brasileiras no 5 pour soprano (mais joué par tous les instruments imaginables depuis), le brésilien a un catalogue impressionnant en quantité mais surtout aussi en très grande qualité. Symphonies, concertos, musique de chambre, vocale et solo pour divers instruments dont un ample dévouement pour le piano, sont pléthoriques. En vérité, Villa-Lobos est l’un des compositeurs les plus prolifiques du 20e siècle.
Cet album de belle et haute qualité jette une lumière bienvenue sur quelques pièces pour solo piano qui valent assurément une écoute attentionnée de votre part. Il y a de très beaux trésors ici, exprimés dans un langage qui va du romantisme chopinien inspiré du folklore à de riches complexités raveliennes et stravinskiennes, toutes écrites avec inspiration et originalité, des marques essentielles associées à ce compositeur.
Deux Choros démarrent le programme en beauté, avec des mélodies attachantes, puis on enchaîne rapidement avec un exercice d’impressionnisme coloristique fort réussi : l’étude Ondulando (ondulante, ou ondoyante), op.31 W82. Ravel en aurait été fier. On passe ensuite à dix extraits de la suite Cirandas W220 (qui en contient seize au total). Un cycle d’études qui se base plus souvent qu’autrement sur la musique populaire, mais qui élève le discours grâce à de nombreuses manières rappelant ici Debussy et ailleurs Stravinsky. Chaque perle musicale de ce cycle revêt un caractère différent, magnifié par une écriture à la limite de l’improvisation. Les titres sont irrésistiblement charmants : L’oeillet s’est fâché avec la rose, Piou-piou-piou, Quels jolis yeux, etc.
Deux séduisantes miniatures suivent, La caixinha de música quebrada W256 (La boîte à musique est cassée) et Nenê vai dormir W53 (Bébé va dormir). Elles résonnent exactement tel que vous pouvez les imaginer à partir des titres. On est enchanté.
New York Skyline Melody W407 fait office de transition moderniste vers le robuste morceau principal du programme : le spectaculaire Rudepoêma W184 (Poème sauvage), écrit pour Artur Rubinstein. Décrit aptement comme un ‘’Sacre du printemps dans la jungle’’, son écriture rythmique impitoyablement robuste et complexe, ses harmonies hésitant entre chromatisme et folklorisme et ses dimensions impressionnantes (environ une vingtaine de minutes) en font un monument exceptionnel du répertoire pianistique savant du 20e siècle. Un chef-d’œuvre, quoi. Dommage qu’on ne l’entende pas plus souvent.
Wilhem Latchoumia transmet les riches et complexes trames narratives avec énormément de conviction et de clarté. Surtout, il fait ressortir la poésie de cette musique, en particulier dans le Rudepoema. Si l’on compare d’ailleurs sa version avec celle de Marc-André Hamelin, un feu d’artifice d’énergie brûlante et nerveuse, celle de Latchoumia, qui prend deux bonnes minutes de plus que le Québécois, a la particularité d’illuminer les qualités poétiques et largement insoupçonnées de l’oeuvre. C’est un modus vivendi présent à travers tout l’album et qui, additionné à une excellente prise de son, rend ce Villa-Lobos do Brazil l’une des belles parutions classiques de cette année 2023.