Pays : Suisse Label : Aparté Genres et styles : musique contemporaine / musique de la Renaissance Année : 2024

Thélème/Sting – All we get is life

· par Frédéric Cardin

C’est une juxtaposition étonnante et inattendue, quoique logique en fin de compte, que nous propose l’ensemble Thélème. All we get is life est une rencontre entre les musique de John Dowland et de John Cage, à cinq siècles d’écart. Le fil qui unit ces deux musiques majeures? Le désir de créer un rapport de proximité entre l’interprète et la composition (voire le compositeur lui-même) et la grande économie de moyens employés.  

Les pièces de Dowland choisies ici étaient destinées à être lues et jouées par des artistes réunis en cercle, échangeant leurs portions pour une communion globale de l’ordre de l’intimité. Et puis les textes eux-mêmes, tissés à partir de milliers de possibilités qu’offrent les relations amoureuses ou les considérations sur la mort, suggèrent une nécessaire communion égalitaire, car nous en sommes tous affectés, à un moment ou un autre.

Pour deux voix (ténor-baryton) et luth, les joyaux de Dowland sont magnifiés par une concentration et une dévotion au ressenti fondamental des sujets et des lignes harmoniques par Thélème, ensemble suisse d’exception consacré aux musiques anciennes. 

Les pièces de Cage proviennent de son corpus de Song Books, pour voix solo et instrumentation plus ou moins précise. Cage laisse ouverte aussi la possibilité d’utiliser ‘’the popular hi-fi manner’’ pour créer des effets originaux. Ici, dans certains cas, est convoqué le fameux autotune (que Cage n’a pas connu), abusé par les artistes pop, les meilleurs comme, surtout, les plus mauvais. La preuve qu’un gadget technique sur-utilisé par une industrie tout sauf créative peut devenir un véhicule artistique valable dans les mains de véritables artisans. Car c’est le cas dans cet album. Jetez une oreille à Solo for Voice No. 91 (Song Books), qu’on dirait sorti d’un improbable album expérimental de Daft Punk, dénué de sa base rythmique. 

Au-delà de cette considération technologique, il y a la valeur intrinsèque des compositions de Cage, ce moderne parmi les plus originaux qui soient. Au même titre que l’auteur et poète Francis Ponge, qui dénudait jusqu’à l’os l’écriture littéraire dans une quête du signifiant primordial, du mot qui pourra remplacer tous les autres, rendus inutiles par le verbiage moderne, Cage lui aussi dévêt l’espace musical et sonore, rend la voix, les textes, et ses propres directives compositionnelles les plus réduites possibles afin, un, d’atteindre une pureté expressive essentielle et, deux, laisser les interprètes participer aussi pleinement que lui à la création d’une expérience relationnelle unique entre la musique, ses acteurs et ses auditeurs. Ainsi : ‘’Au lieu d’être un architecte solitaire organisant les sons selon une forme destinée à ne plus varier, le compositeur devient en effet l’instigateur d’un événement auquel il convie ses semblables’’.

Par exemple, Cage indique sur une partition certaines notes assorties à des intervalles de temps dans le cadre desquels elles peuvent être jouées selon une durée librement décidée par l’interprète. Thélème ne se prive pas de cette autonomie pour créer des panoramas très intimes dont l’économie sonore et la texture harmonique rappellent leurs partenaires 500 ans plus âgés. 

Même s’il prend une place énorme sur la pochette, l’Anglais Sting est présent pour une seule pièce, une revisite fort originale de Shape of My Heart. Loin d’être une relecture linéaire, pastichée d’effets ‘’Renaissance’’, la célèbre chanson (un chef-d’oeuvre mélodique et poétique) prend des atours, oui, anciens, dans les harmonies, mais s’en éloigne aussi pour se rapprocher de Cage et complète sa réécriture avec des effets de synthétiseurs 80s tout à fait étonnants. La rencontre devient, en tant que dernière plage de l’album, une sorte de résumé de l’esthétique globale du programme. Sting est présent à la voix, toujours belle malgré ses 73 ans bien sonnés. Il faut dire qu’il a toujours eu l’intelligence de prendre soin de son instrument et de ne jamais le forcer. 

Le résultat total est frappant de beauté, soit pleine et entière, soit étrange et insondable. All we get is life est l’un des albums les plus inventifs que vous aurez entendus depuis longtemps. 

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