« La chair est triste, hélas! et j’ai lu tous les livres » écrivit un jour Stéphane Mallarmé. Alors pourquoi ne pas transformer cette tristesse en « comptines pour adultes », a peut-être pensé Pierre Lapointe qui, avec l’album Pour déjouer l’ennui paru en octobre 2019, venait boucler le triptyque amorcé en 2017 avec le superbe recueil La science du cœur.
En réécoutant cet album à la fois mature, parsemé d’aveux et dont l’orientation sexuelle de son auteur est non seulement assumée mais revendiquée (on en parle, car elle fait partie de la démarche artistique, voir le clip Le monarque des Indes), on se dit qu’il est loin le jeune Lapointe qui arborait sur scène un personnage plutôt hautain pour camoufler sa timidité.
C’était au début du présent millénaire alors qu’il présentait aux journalistes sa première maquette. Maquette sur laquelle se retrouvait d’ailleurs le titre Pointant le Nord, qui faisait penser à Jacques Brel. Prélude à une œuvre qui allait trouver sa place dans le cursus de la belle chanson française, pouvait-on subodorer dès lors.
La chose était désormais avérée et avec cet album, où il s’est entouré notamment des hexagonaux Albin de la Simone (réalisation) et Clara Luciani (en duo pour Qu’est-ce qu’on y peut?, qui rappelle Françoise Hardy), Lapointe s’est aussi associé à la fine fleur du Québec musical : le vétéran Daniel Bélanger, le trop méconnu Philippe B, le jeune loup fantasque Hubert Lenoir, le primé et prolifique Félix Dyotte (Chinatown, Monia Chokri, Évelyne Brochu) et d’autres.
Dépouillé sur le plan orchestral, empreint de vulnérabilité charnelle et enveloppé d’une douceur mélodique accrocheuse, Pour déjouer l’ennui demeure une œuvre fortement marquée par une personnalité singulière, intemporelle et, paradoxalement, avant-gardiste, à la manière d’une Barbara, par exemple.
Cet album, bien qu’il nous ramène aux sources, laisse toute la place à des textes concrets plutôt qu’à des juxtapositions surréalistes comme Lapointe aimait le faire, hier encore, et c’est tant mieux.
Bref, un coffret savoureux de comfort songs, comme le diront peut-être un jour les Français.