Très intéressante découverte pour ceux et celles qui aiment tenir à jour leur connaissance de la scène musicale savante contemporaine canadienne : Parisa Sabet. D’origine iranienne, Sabet opère un dialogue interculturel fortement inspiré de sa culture natale, mais cherchant à sublimer l’aspect traditionnel pour amener ses œuvres à un niveau de transcendance civilisationnelle.
Qu’il s’agisse du grand poète médiéval Rumi (Dance in Your Blood), du kemancheh joué avec tellement de puissance émotive par le virtuose Keyhan Kalhor (Geyrani, qui rappelle aussi Ederlezi de Goran Bregovic écrit, pour le film Le temps des gitans de Kusturica), de l’histoire politique iranienne (Maku, qui évoque l’emprisonnement du Shah d’Iran en 1847), de la religion abrahamique Baha’i (The Seville Orange Tree) ou encore de violence sexuelle (A Cup Of Sin), Sabet démontre un éclectisme intellectuel qui n’a d’égale que son impressionnante qualité.
Musicalement, Sabet oscille entre deux pôles : l’un tonal (du moins dans sa compréhension non-occidentale) et l’autre moderniste, harmoniquement élargi et tâtant des techniques avant-gardistes lorsqu’il est question de l’utilisation de la voix. Ainsi, le programme s’amorce en douceur avec Shurangiz (pour flûte, clarinette, piano, violon et violoncelle), où l’auditeur est tenté par un romantisme exotico-cinématographique séduisant, puis se poursuit avec Dance In Your Blood (pour soprano et piano), qui débute dans le même esprit mais s’en éloigne graduellement pour devenir plus exigeant. The Seville Orange Tree danse et s’amuse en décrivant un site religieux où l’odeur envoûtante d’un oranger sert, peut-être, de parabole évoquant une humanité réunie autour du plaisir de partager le simple émerveillement d’un arôme intoxicant.
Maku est l’une des pièces qui pigent le plus dans la palette des techniques vocales contemporaines, telles qu’on pourrait les associer à Berio ou Ligeti. Malgré tout, la cohérence discursive de l’écriture de Sabet, soutenant à chaque instant une conception franche et directe de la dramaturgie musicale, rend ses opéras et poèmes chambristes miniatures immédiatement compréhensibles et accessibles,
A Cup Of Sin (à peine 17 minutes en trois mouvements) est assurément la pièce qui correspond le plus directement avec le concept d’opéra ‘’de poche’’. Pour soprano, clarinette, alto, piano, guitare électrique et violoncelle, il s’agit d’un commentaire grinçant sur une certaine masculinité modélisée et idéalisée, entre autre par la Religion, et qui s’avère pleine de déception. Le texte de l’autrice et Prix Nobel de littérature Simin Behbahani frappe fort :
Then, he will come to me,
intent on my oppression.
I will protest and scream against his horror.
And that ogre called man
will tame me with his insults.
As I gaze into his eyes
innocently and full of shame,
I will scold myself : you see,
how you spent a lifetime wishing for ‘’Adam’’.
Here you have what you asked for.
Je ne peux passer sous silence l’excellente performance des solistes, en particulier la soprano Jacqueline Woodley qui est totalement investie dans cette musique. Joshua Tamayo dirige le petit ensemble composé de Christina Petrowska Quilico au piano, Laurel Swinden à la flûte, Peter Stoll à la clarinette, Matthias McIntire au violon et à l’alto, Dobrochna Zubek au violoncelle et Robert Grieve à la guitare électrique.