PAN M 360: nos 100 meilleurs albums de 2023

· par Rédaction PAN M 360

Vingt de nos contributeurs et contributrices ont eu la tâche de choisir et de présenter succinctement 5 enregistrements, parmi leurs préférés de 2023. Les voici. Cette sélection de 100 albums est unique, voire très différente de tout ce que vous pouvez trouver sur le web ou dans les médias traditionnels.

Le seul ordre ici est l’ordre alphabétique de nos prénoms: Alain Brunet, Alexandre Villemaire, Ann Pill, CCJ Gabriel, Claude André, Elena Mandolini, Elsa Fortant, Frédéric Cardin, Guillaume Laberge, Jacob Langlois-Pelletier, Laurent Bellemare, Louise Jaunet, Lyle Hendricks, Michel Labrecque, Patrice Caron, Réjean Beaucage, Salima Bouaraour, Stephan Boissonneault, Théo Reinhardt, Varun Swarup.

Vous avez tout le temps des Fêtes pour découvrir cette sélection!

Et puis ce petit rappel:

PAN M 360 ne cote pas les albums. PAN M 360 refuse toute hiérarchie de styles musicaux. PAN M 360 explore le plus large spectre de la musique locale, nationale ou internationale. PAN M 360 n’est pas une plateforme générationnelle.

PAN M 360 valorise l’éclectisme extrême.

PAN M 360 est une famille d’une trentaine d’experts, humbles malgré leurs connaissances et surtout passionnés de musique, toutes cultures, toutes langues, tous âges, tous styles confondus. Nous sommes Kebs francos, Kebs anglos, Canadiens du ROC et des Premières Nations, Kebs venus d’Europe, d’Afrique, d’Asie méridionale ou d’Asie du Sud-Est. Et nous comptons diversifier davantage nos effectifs!

Excellente écoute !

Noname – Sundial (AWAL)
(hip-hop)

Autre pierre rutilante ciselée à Chicago, Sundial est le deuxième album studio de la très douée trentenaire américaine Noname, après Room 25 sorti en 2018 – sans oublier la mixtape Telefone en 2016. Eryn Allen Kane, Jay Electronica, Common, billy woods et Ayoni y participent. Une douzaine de beatmakers s’y consacrent, dont le brillant Saba. Subtils et évocateurs dans ses précédents opus, les mots de la poétesse et rappeuse sont cette fois plus cinglants, plus hyperréalistes, moins doux qu’amers. Capable d’explorer ses ambivalences et ses paradoxes (ce qui explique en partie un silence discographique de 5 ans), parfaitement consciente de tous les enjeux de sa vie d’artiste en Amérique, Noname maximise ses penchants poétiques et un engagement personnel visant le micro et le macro de l’existence humaine dans la Windy City. De solides trames groovy jazzy soul soutiennent le message, de très bons musiciens et un très bon échantillonnage font gracieusement s’envoler le flux.

(Alain Brunet)

BIG|BRAVE – Nature Morte (Thrill Jockey)
(post-metal, drone, ambient metal)

BIG|BRAVE, trio composé du guitariste et chanteur Robin Wattie, du guitariste Mathieu Ball et du batteur Tasy Hudson, signe l’un des plus puissants projets discographiques à venir à Montréal en 2023. Nature Morte est un album d’ambiances extrêmes : des incantations profondes survolées par des drones guitaristiques enclins aux saturations les plus violentes et aux martèlements les plus lourds, mais aussi des mélodies apaisées près des braises, au terme de l’éruption. L’approche est basée sur des trames robustes et minimalistes, très simples rythmiquement et harmoniquement.Toute la complexité se trouve dans les textures, dans ces coulées de lave et ces halos de feu. La voix de Robin Wattie est certes habitée par des esprits sauvages mais aussi par des esprits subtils qui en étoffent la perception. Les rapprochements avec Chelsea Wolfe et Kristin Hayter (Lingua Ignota) sont tentants, mais non, nous n’irons pas plus loin, Il y a d’espaces de liberté à conquérir sur ce territoire propice à une transe pesante de ce type, Big|Brave en fait la preuve éloquemment.

(Alain Brunet)



Planet Giza – Ready When You Are (Independent)
(hip-hop, soul/R&B)

Planet Giza atteint l’équilibre idéal entre beatmaking, flow et chant de qualité, arrangements uniques. Y pullulent les flashs pertinents sur l’existence, sur les relations intimes, sur le comportement des autres, sur la carrière qui décolle, le tout enrobé d’un humour brillant. Il y a beaucoup de ressources sur cette Planet Giza, il y a aussi ce swag, cette souplesse des meilleurs artistes hip-hop/R&B, il y a ces références aux meilleurs qui les ont précédés. On pense au meilleur boom bap des années 90, avec des inflexions jazzy ou latines, jusqu’aux plus récents de la côte ouest comme Kendrick ou Tyler, the Creator. Il y a cette approche R&B plus recherchée que tous les Daniel Ceasar et The Weeknd de la production canadienne. On ne s’étonne pas que ces artistes de grande qualité se soient associés à Mick Jenkins (Think Of Me), Kaytranada (Sometimes), Saba (WYD), Femdot (Northern Playalistic), entre autres invités de marque. C’est dire la crédibilité underground déjà acquise par cette formation montréalaise dont la longue émergence fait désormais partie du passé.

(Alain Brunet)

Andre 3000 – New Blue Sun (Epic Records)
(ambient, new-age, soul-jazz)

Quand j’ai appris qu’André Benjamin, le fameux André 3000 de l’excellent groupe Outkast, se mettait au new-age après une bien trop longue accalmie (17 ans !), j’ai fait la moue. Ah ouin ?! La montagne accouche d’une souris. Et j’ai tergiversé avant de découvrir ce probable mélange à soupe Lipton, prêt à diluer dans le bain flottant. J’y ai finalement plongé les orteils, et voici le verdict, un peu tardif. Cet album est certes ambient et planant, construit sur un minimum de variations harmoniques exécutées sur des synthétiseurs modulaires, assorties de percussions et de mélodies émanant d’une flûte de bois, patente à gosse taillée sur mesure pour le soliste. Mais … c’est crissement bon ! Ces compositions plairont à tous les amateurs de mantras musicaux, dont six sur dix ont une durée allant de 10 minutes 15 secondes à 17 minutes 11 secondes. Dans la lignée du jazz ambiant de Jon Hassell et des prières de saxophoniste du regretté Pharoah Sanders, on ne se lasse pas de méditer sur ces motifs d’inspiration soul-jazz, qui rappellent les maqams orientaux ou les ragas indiens destinés à purifier l’esprit.

(Alain Brunet)

Sofia Kourtesis – Madres (Ninja Tune)
(tech-house, latino, reggeaton, afro-péruvien)

DJ, productrice et songwriter, la Péruvienne (et berlinoise d’adoption) Sofia Kourtesis nous invite à prendre les lignes de Nazca et à monter à bord de son engin. Direction très haut ! Les plus exigeants du dancefloor la connaissent depuis un moment, et elle est même venue au Piknic Électronik à l’automne 2022, sans toutefois faire de vagues. La prochaine fois, ce sera bien différent. Fondements tech-house, saveurs krautrock, identité résolument latina, cumbia, reggaeton ou afro-péruvienne, sans oublier un joli clin d’œil psychédélique à Manu Chao (et son fameux hit Primavera) et une séduisante parenthèse ambient, voilà autant de poudres d’un puissant explosif pour toutes les activités nécessitant un botté du derrière. Le tube principal de l’album, Si Te Portas Bonito, est une bombe, un succès assuré dans toutes les fêtes et les road trips, et les 10 titres de cet excellent album ne présentent aucune faiblesse conceptuelle. On peut en déduire que cette brillante trentenaire a acquis une maturité artistique dans sa carrière de night-clubber pour ensuite construirece son à la fois pop et singulier.

(Alain Brunet)

Aho Ssan – Rhizomes (Other People)

(électroacoustique, hip hop Instrumental, expérimental, contemporain)

Cet album évoque la pensée rhizomatique des auteurs de l’essai du même nom, Gilles Deleuze et Félix Guattari, mais aussi de l’Antillais Édouard Glissant qui a développé le concept dans son œuvre littéraire. La pensée rhizomatique se réfère à une structure vivante en constante évolution, qui prend toutes les directions horizontales, et se trouve dépourvue de niveaux. Ce qui est tout à fait le cas dans ce brillant enregistrement. Des artistes de toutes origines ont été invités à participer, dont l’Américano-chilien Nicolas Jaar, vià qui sera apprécié bien au-delà des cercles de recherche fondamentale en musique. Aho Ssan est l’une des rares figures connues de l’électroacoustique à revendiquer une ascendence africaine, ce domaine précis étant encore occupé très majoritainement par des Occidentaux blancs. On ne s’étonnera pas que les recherches d’Aho Ssan nous mènent ailleurs. Sa culture hip-hop et sa culture électro sont distinctes, il s’empare sciemment d’éléments évocateurs pour les déconstruire et créer un nouveau territoire propice à l’électroacoustique. Et oui, Rhizomes on peut vaguement évoquer les travaux de Ben Frost, Arca, ou Oneothrix Point Never… mais qu’on ne s’y méprenne, nous sommes bel et bien dans le domaine d’Aho Ssan.

(Alain Brunet)

Thomas Adès: Dante (Nonesuch Records)
(classique moderne)

Pour son premier ballet, le compositeur britannique d’origine syrienne Thomas Adès a puisé son inspiration dans le récit de la Divine Comédie de Dante Alghieri. Voyage transcendantal, de la profondeur de l’Enfer au sommet du Paradis en passant par le Purgatoire, l’œuvre exposée en trois parties présente une allégorie complexe où Adès fait intervenir figures historiques, mythologiques et personnages de l’époque de Dante dans un matériau musical d’une grande richesse rappelant Liszt, Stravinsky, Ravel et même Bernstein. Après avoir traversé un paysage sonore cuivré au rythme effréné, les deux protagonistes que sont Dante et Virgil émergent de la Géhenne sur une île pour être accueillis par un hymne sépharade, préenregistré, qui les accompagnera dans leur ascension du Mont Purgatoire. Pièce fleuve, la troisième partie décrit le voyage cosmique  que Dante, accompagné cette fois de Béatrice Portinari, sa muse représentant la foi, entreprend vers l’Empyrée, le Paradis, à travers des strates musicales changeantes qui se concluent par l’apparition d’un chœur angélique.

(Alexandre Villemaire)

Arion Baroque Orchestra, Mathieu Lussier – Les soupers du Roy (ATMA Classique)
(classsique moderne / musique de film)

Dans une collaboration avec le Centre de musique baroque de Versailles, ce nouvel album d’Arion – qui reprend le programme de son concert éponyme nommé aux Prix Opus 2021-2022-, nous transporte dans les cours de Louis XIV et Louis XV, de Versailles à Fontainebleau dans le faste des festivités royales et de la musique qui accompagnait celles-ci. Sont à l’honneur Michel-Richard Delalande, André Cardinal Destouches François-Colin de Blamont, Jean-Philippe Rameau et François Francœur, de compositeurs ayant occupé diverses fonctions officielles à la cour de France avec un assemblage d’œuvres tirées de recueil de suite de danses, d’opéra-ballet ou de comédie-ballet de ceux-ci. Traits musicaux festifs, gaieté mondaine, airs apaisés et majestueux constituent le matériau musical que le surintendant de la musique chez Arion, Mathieu Lussier saisit et rend parfaitement avec tout l’esprit et la vivacité de l’époque en donnant le relief nécessaire à ce répertoire : un régal de fine cuisine musical, avec des airs qui restent collés à notre palet auditif et que l’on peut consommer sans modération.

(Alexandre Villemaire)

Marie-Nicole Lemieux, Orchestre Philharmonique de Monte Carlo, Kazuki Yamada – Berlioz·Saint-Saëns·Ravel (Erato)

(classique, chant lyrique, romantique)

Avec son nouvel album, la contralto québécoise Marie-Nicole Lemieux vient peindre, au pinacle de sa voix, parmi les plus belles toiles du répertoire vocal du romantisme français avec Les Nuits d’été d’Hector Berlioz, les Mélodies persanes de Camille Saint-Saëns et Shéhérazade de Maurice Ravel. Chaque cycle est un long récit poétique par lequel les compositeurs racontent la mélancolie, l’amour, le voyage et cet Autre à la fois imaginaire et lointain. L’exotisme musical qui y est présenté sous des angles d’expressions variés, principalement dans les cycles de Ravel et Saint-Saëns, côtoie la thématique de l’amour : à la fois jeune, incandescent et plein de tristesse des Nuits d’été de Berlioz. Les mélodies sont rendues avec intensité et nuances expressives par Lemieux, qui mord dans chaque univers poétique avec vigueur, sensibilité et excitation truculente. Le tout est soutenu de manière dynamique et intelligente par l’Orchestre de Monte-Carlo placé sous la direction du chef Kazuki Yamada.

(Alexandre Villemaire)

AVE: Australian Vocal Ensemble – Tumbling Like Stars (ABC Classic)
(classique/ contemporain)

Une pluie d’étoiles a dégringolé au pays du dessous. Projet porté et imaginé depuis longtemps par la soprano Katie Noonan, l’Australian Vocal Ensemble (AVÉ) présente quatre des plus fines voix de l’Australie avec en plus de Noonan, la mezzo-soprano Fiona Campbell, le ténor Andrew Goodwin et le baryton-basse Andrew O’Connor. Pour son premier album, l’ensemble met de l’avant compositeurs et compositrice natifs de l’État du Queensland dans un assemblage de pièces originales commandées mettant à l’honneur les textes du poète national australien David Malouf. Chacune des pièces ouvre une fenêtre vers des univers musicaux différents, ostensiblement tonals, mais plein de contrastes avec des traitements stylistiques variés où le texte et la mélodie ont chacun leur importance sans supplanter ou effacer l’autre. Seule exception stylistique au contenu de l’album, le choral de Bach Drum so lasst uns immerda (Cantate BWV 115) est néanmoins empreint de la marque unique d’AVÉ, soit en étant présenté à la fois dans la langue originale allemande, mais aussi dans une traduction dans trois langues aborigènes (Gubbi Gubbi, Gadigal et Noongar) : un geste qui n’est pas anodin et qui cadre avec le désir de faire rayonner la présence l’importance de premiers peuples dans la musique de l’Australie.

(Alexandre Villemaire)

Francis Choinière, Orchestre FILMharmonique

Phonèmes La musique de François Dompierre

(GFN Classiques)

(classique moderne)

C’est une forme d’hommage à la musique de notre cinéma et à l’un de ces compositeurs les plus emblématiques, François Dompierre, que le jeune chef d’orchestre Francis Choinière et l’Orchestre FILMharmonique gravent sur disque. Dans un survol du répertoire filmographique de Dompierre, le maestro et son excellent orchestre nous offrent un projet sous forme de rencontre intergénérationnelle « qui ne peut que nous enrichir » selon le compositeur presque octogénaire qui signe ici sept pièces contemplatives. On se laisse aisément porter par le doux et lyrique thème mélancolique de mon amie Max (1994), l’élégie pour cordes aérienne et lumineuse tirée des Portes tournantes (1988) et le dynamique tableau musical traversant l’univers de La Passion d’Augustine (2015) dernière production cinématographique québécoise pour laquelle Dompierre a composé la musique. Au-delà de la grande technicité, de la maîtrise des nuances et des lignes mélodiques exprimées par Choinière, il s’agit d’une diablement belle rencontre entre deux musiciens qui vibrent d’une belle musicalité.

(Alexandre Villemaire)

Jockstrap – I<3UQTINVU (Rough Trade)
(alternatif, expérimental, glitch)

Le nouvel album de Jockstrap, c’est 31 minutes de chaos débridé. L’album « remix » du duo électro-pop britannique est presque méconnaissable si on se réfère à son album de 2022 I Love You Jennifer B. Georgia Ellery est la chanteuse et responsable des cordes, Taylor Skye étant le producteur du groupe grossièrement nommé. Sur I<3UQTINVU, (I love you cutie I envy you), Taylor Skye a eu une année entière pour rendre un premier album aussi bizarre et distordu que possible – et il a pleinement profité de cette séquence. C’est presque un mauvais service à rendre que considérer cet album comme un album de remixes. L’album est un projet indépendant, en fait. C’est une petite chasse au trésor que d’essayer de découvrir l’origine de chaque morceau renommé et entièrement différent de l’original. A bien des égards, Skye s’est attaqué à ce qu’ils avaient créé avec I Love You Jennifer B sans craindre l’imperfection, créant une itération plus grinçante et plus brute de son chef-d’œuvre de pop orchestrale. Autrement, on a l’impression qu’un peu de recul aurait rendu l’album un peu plus cohérent.

(Ann Pill)


Duff Thompson – Shadow People (Mashed Potato Records)
(folk, garage, pop, rock n’roll)


Le deuxième album de Duff Thompson, Shadow People, s’étend de ses racines folk à un son plus garage tout en conservant l’intégrité du premier album. Sans souffrir des symptômes du blues d’un deuxième album, ce disque du label de Duff Thompson, Mashed Potato Records, s’appuie sur les bases de son album de 2020, Haywire. Les titres phares de l’album sont Just Like Me et Shapeshifte, mais les dix chansons se complètent à merveille. Steph Green, cofondateur de Mashed Potato, Kyle Taylor et Mat Davidson forment le groupe d’accompagnement qui comprend l’orgue à pompe, la pedal steel et la clarinette basse. L’authenticité et l’émotion sont toujours au rendez-vous, mais Shadow People est plus complexe et plus grinçant. Un chef-d’œuvre analogique.

(Ann Pill)

Nora Kelly Band – Rodeo Clown (Mint Records)

(punk, alt country)

Paru cette année chez Mint Records, le premier album complet de Nora Kelly Band, Rodeo Clown, est le mélange parfait d’honnêteté et de ridicule. Issu de l’ancien groupe punk Dishpit, l’album du Nora Kelly Band, basé à Montréal, se situe quelque part dans le domaine du country alternatif, sans pour autant en perdre l’allure punk. On y retrouve de magnifiques airs folkloriques comme Rosewell et Catch a Bone et des classiques accrocheurs de la musique country comme Mmm-Delicious et Rodeo Clown. Avec des paroles comme « I always tip my waiter, but I’ve never tipped a cow » et « I can rob a Dollarama, Never worked a plough », Horse Girl est de loin le morceau le plus amusant de ce délicieux album. Il commence de manière incroyablement forte, puis se calme sans pour autant vous perdre. Le changement de genre semble être à la recherche de l’authenticité et non contre elle.

(Ann Pill)

Kvelertak – Endling (Rise Records)
(Heavy Metal, Hard Rock)

Le cinquième album du groupe de rock norvégien Kvelertak est son album le plus énergique à ce jour. Même si vous n’avez aucune idée de ce qu’on y raconte, cet album donne à l’auditeur l’envie de danser et de courir très vite. Ça sonne comme quelque chose entre Andrew W K et Eagles of Death Metal. C’est l’album parfait pour les personnes qui pensent ne pas aimer le métal. C’est peut-être l’album le moins spécifique de Kvelertak à ce jour, mais c’est certainement le plus facile à écouter. Il s’inscrit dans la continuité de cette musique avec ses riffs habituels et son jeu de batterie classique mais un peu plus léger, ce qui n’est pas plus mal.

(Ann Pill)

Pink Tape – Lil Uzi Vert

Pink Tape – Lil Uzi Vert (Generation Now/ Atlantic)
(hip-hop, trap, rap rock)

Je n’ai jamais été le plus grand fan de Lil Uzi Vert, en dehors de ses quelques tubes et featuring impossibles à éviter sur les médias sociaux. Cela dit, Uzi m’a conquis avec Pink Tape. J’apprécie les artistes hip-hop ou les rappeurs qui sont prêts à repousser les limites du genre, à se mettre ainsi à l’épreuve sur le plan vocal et sonore, en particulier. Je sais qu’Uzi a toujours été à l’avant-garde de la créativité et du mélange des genres dans le hip-hop, mais cet album est un véritable fourre-tout. Il faut savoir que 10 000 producteurs ont contribué à Pink Tape, donc je ne vais pas mettre quelqu’un de l’avant. Mais dans l’ensemble, les rythmes, le mixage et le matriçage sont tous à la hauteur. Presque chaque chanson est une claque. La chanson Aye, avec Travis Scott, est beaucoup trop dure. Les couplets, l’accroche et l’échantillon de rythme sont tout simplement insensés. Il faut dire que Pink Tape a quelques bangers certifiés.

(CCJ Gabriel )

Nas – Magic 2 (Mass Appeal)
(hip-hop)

L’infaillible Nas a sorti son seizième album studio cet été, une bouffée d’air frais au genre hip-hop. Magic 2 s’est hissé à la dixième place du Billboard 200. Il s’agit de la suite de Magic et du cinquième album consécutif de Nas produit par Hit-Boy. Comme le veut la coutume chez Nas, les invitations sont très limitées : 50 Cent figure sur l’album principal et 21 Savage sur la piste bonus. La production de Magic 2 est cohérente tout au long de l’album et Nas a la rare capacité de rester à l’avant-garde, en rappant sur des rythmes modernes tout en restant fidèle à son style OG. C’est un exploit que la plupart des artistes de son époque tentent mais ne peuvent pas accomplir aussi bien que Nas. Les rythmes sont tous old school, cohérents d’un bout à l’autre de l’album. Ce projet a la stature d’une œuvre d’art, il est présenté comme un tout, contrairement à l’amas de genres différents et disparates que la plupart des artistes présentent comme du « rap » aujourd’hui.

(CCJ Gabriel)

Slowthai – Ugly (Method, Interscope)
(hip-hop, grime)

Ugly, acronyme de  » U Gotta Love Yourself « , n’est que le troisième album studio de Slowthai, et il tient ses promesses. Personnellement, c’était la première fois que j’écoutais slowthai, et maintenant je suis un fan qui recherche ses précédents travaux. UGLY voit slowthai ajouter des éléments punk rock à son son typiquement plus hip-hop, ce qui a été bien reçu par les fans et les critiques. La production, les vibrations uniques et infusées, les voix passionnées et émotionnelles, rien n’est mineur. Slowthai semble avoir maîtrisé la capacité de faire de la musique qui est très réelle et émotionnelle, mais qui reste légère et amusante. Bien que UGLY soit un effort audacieux et courageux, l’album est toujours clair et bien ancré dans la réalité. Chaque morceau est tellement brut et réel, et c’est comme si l’auditeur faisait partie du voyage de Slowthai, ce qui explique la connexion si profonde avec ses fans. 

(CCJ Gabriel)

Scaring The Hoes – JPEGMAFIA & Danny Brown (AWAL, Peggy)
(hip-hop alternatif, afro-életro, R&B/Soul)

Dès que vous faites jouer ce morceau, Lean Beef Patty frappe vos oreilles, et vous ne savez pas si vous avez accidentellement appuyé sur un bouton de votre clavier ou quelque chose comme ça, mais son caractère unique vous attire. Je n’aurais jamais pensé me trouver à hocher la tête avec des bruits de glitch et le son d’un tap fast forwarding, mais nous y sommes. JPEGMAFIA mérite des fleurs pour la production de l’ensemble de ce projet. Il a réussi à prendre des sons live obscurs et presque défectueux et à les associer à des instruments et à des voix d’une manière si attrayante. Le titre de l’album, Scaring the Hoes, est peut-être l’un des meilleurs beats que j’ai jamais entendus à vie, à un niveau fondamental. Parfois, tout au long de ce projet, il peut être difficile de comprendre ce que chaque emcee, et en particulier Danny Brown, dit sous les sons de craquements et de distorsion et d’autres effets cool, mais à aucun moment cela n’enlève quoi que ce soit à la musique. (CCJ Gabriel)

Travis Scott – UTOPIA (Cactus Jack, Epic)
(hip-hop, rap)

UTOPIA est, d’un point de vue sonore, le son unique de Travis Scott, ce qui signifie des tonnes de beat flips épiques en milieu de chanson, avec juste une pincée de hip-hop des années 2020. Un bon exemple de Travis sortant de sa zone de confort est la chanson Modern Jam avec Teezo Touchdown. Il s’agit d’une fusion amusante d’un morceau de dancehall à l’ancienne mélangé aux sons trippants et ondulants de Travis Scott. Un autre morceau qui mérite d’être souligné est K-POP, qui met en scène deux des plus grandes superstars du monde, Bad Bunny et The Weeknd. K-POP s’appuie sur les sonorités latines avec lesquelles beaucoup de DJ et d’artistes hip-hop jouent aujourd’hui, ce qui en fait un morceau parfait pour l’été. UTOPIA comprend également une tonne d’artistes connus et emblématiques comme 21 Savage, Young Thug, Kid Cudi, Westside Gunn, Future, SZA, Yung Lean, et même l’humoriste Dave Chappelle y fait une apparition. Enfin, le placement des chansons est parfait et UTOPIA se joue comme un véritable album d’un bout à l’autre. (CCJ Gabriel)

Benjamin Biolay – À l’auditorium – Romance Musique (Universal)
(chanson française, pop)


À la fois crooner et orfèvre pop, le Biolay en costard propose une reprise intéressante de It Was A Very Good Year de Sinatra, qui devient C’était une très bonne année, ainsi qu’une relecture fort réussie voire étonnante de Comment est ta peine, le grand tube de l’année 2020. Ce qui n’était pas gagné. Ouf! Assumé, le quinquagénaire distille une version exutoire de À l’origine ponctuée par une voix fiévreuse et colérique, tandis que La Superbe, qui avait déjà une dimension orchestrale, atteint son plein potentiel extatique. Le tout se conclut avec la crépusculaire La Route. Biolay demeure, dans la pure tradition gainsbourienne, un parolier de haut vol pourvu d’un sens du récit indéniable. Sous la direction du chef d’orchestre et compositeur belge Dirk Brossé, l’Orchestre symphonique national de Lyon et Biolay ont su trouver le ton juste pour marier la majestuosité symphonique à une œuvre qui portait déjà ces versions dans son ADN.

(Claude André)

Zaho de Sagazan – La symphonie des éclairs (Disparate, Virgin Records)
(indie pop, synthpop, chanson française)

Non satisfaite de nous avoir offert le meilleur album français de 2023, lequel sera sans doute consacré ainsi aux Victoires cette année, la jeune (23 ans) et charismatique Zaho de Sagazan a su imposer sa personnalité innovante grâce à une savoureuse juxtaposition de vieux sons des années 70 et 80 (synthés analogiques et modulaires), un ancrage textuel dans la grande chanson française style Brel ou Barbara et une diction exceptionnelle qui fait claquer les mots comme des fouets. Elle nous avait d’ailleurs procuré notre plus grand frisson chansonnier de l’année avec sa reprise toute en dentelle de Vienne, sur l’album Simplement Sheller consacré à l’œuvre de ce dernier. Quand la sublime et accrocheuse mélancolie côtoie la folie en guise d’antidote.

(Claude André)

Keith Kouna – Métastases (Duprince)
(rock, chanson française)


Déjà 10 ans que Keith Kouna a remporté le Prix de la chanson de la Socan pour sa pièce Batiscan. Et six ans que ce clochard céleste attendri ne nous avait pas offert de nouvel album avant Métastases. Son cinquième, paru en mars 2023. Qu’à cela ne tienne, l’ancien leader de la formation punk Les Goules propose sur ce projet, coréalisé par Alexandre Martel, une vingtaine de titres qui dégoupillent dans tous les sens les fragments de ses influences qui vont de Renaud aux Bérus en passant par Tom Waits, l’alterno nineties et… Renée Martel, à qui il dédie la très belle ballade country Aux Quatre vents. Voilà une œuvre décalée et inspirée où Ricet Barrier irait s’éclater avec Sid Vicious en causant de Henry Miller sous le rire tonitruant d’un Charles Trenet sur l’acide. Inspirant, détonant, déstabilisant, mais touchant.

(Claude André)

Mickey 3D – Nous étions des humains (Parlophone)
(rock, chanson française)

Plus de deux décennies se sont écoulées, entrecoupées d’albums et de séparations/retrouvailles, avant que la formation de la Loire nous revienne plutôt en forme avec Nous étions des humains en 2023. Un septième album où l’on retrouve toujours le côté un peu « vexé de l’intérieur ». Si la facture ne semble pas tant changer sur le plan musical, bien qu’elle soit plus pop que jadis, comme Émilie dansait et son côté bricolé dans une chambre avec des bidules de fortune, la plume de Mickaël Furnon a conservé son goût de bonbon doux-amer et sa ludique lucidité second degré (Les réseaux social). On ne s’étonnera pas que le band a fait sa promo avec un autre titre décalé et légèrement provocateur : N’achetez pas mon disque, qui pose un regard critique sur l’air du temps. Voilà un album des plus satisfaisant pour les connaisseurs et une fenêtre sur le cynisme ludique et accrocheur pour les autres.

(Claude André)

The Rolling Stones – Hackney Diamonds (Polydor Records)
(blues, rock, rock n’roll)

« Je préférerais être mort plutôt que de chanter Satisfaction à 45 ans », aurait déclaré Mick Jagger trentenaire. Près de 50 ans plus tard, le légendaire chanteur qui a pavé la voie à Jim Morrison, Bruce Springsteen ou Iggy Pop revient en force pour un 31e album, en compagnie du flibustier de la six cordes Keith Richards et du fidèle Ronnie Wood à la basse, tandis que le fantôme de Charlie Watts assure la métronomie sur deux pièces. Bien qu’on n’atteigne pas le sommet de Exile on Main St., voilà sans doute un des albums les plus cohérents et typiquement stoniens depuis Some Girls (1978). Bref, les papys du rock, qui ont notamment invité Lady Gaga, Paul McCartney, Elton John et Stevie Wonder, sont encore capables de kicker des culs! Juste pour l’espoir qu’ils nous donnent face au temps qui rétrécit, cela est immense. Imaginez en plus quand la musique est exaltante…

(Claude Andre)

Les Barocudas – Basata Parlare (ATMA Classique)
(classique, baroque)


Le trio Les Barocudas (Marie Nadeau-Tremblay, Tristan Best et Nathan Mondry, à qui se joignent plusieurs autres excellents musiciens baroques), a pour mission de proposer un répertoire baroque virtuose d’une manière renouvelée. Sur cet album consacré aux œuvres italiennes du XVIIe siècle figurent des œuvres de Castello Legrenzi, Grillo et plusieurs autres. Ces compositeurs étaient considérés comme innovants à l’époque, et on entend bien pourquoi. Les conventions musicales baroques sont bien présentes, mais l’interprétation de ces pièces est  un vent de fraîcheur. On s’amuse beaucoup en écoutant cet album, et on en découvre tout autant. Les pistes s’enchaînent harmonieusement et offrent une grande variété d’ambiances et de textures sonores. L’entièreté des œuvres proposées sont instrumentales, mais la flûte à bec et le violon dialoguent, chantent même, avec une grande virtuosité. On y retrouve également des improvisations complexes et virtuoses qui s’intègrent judicieusement au répertoire proposé. 

(Elena Mandolini)

Élisabeth Pion – Femmes de légende (ATMA Classique)
(classique moderne)

Pour son premier album, la pianiste Élisabeth Pion nous offre une sélection de pièces pour piano solo toute française… ou presque. Sur cet album, on retrouve de manière paritaire des compositions d’hommes et de femmes du tournant du XXe siècle français : Mel Bonis, Lili Boulanger, Claude Debussy et Henri Dutilleux. Pion s’autorise également une petite dérogation à sa contrainte temporelle et géographique en intégrant à la liste d’écoute une œuvre du compositeur britannique Thomas Adès ainsi qu’une de ses propres compositions. Le jeu d’Élisabeth Pion est sensible, profond et juste. Les pièces sélectionnées pour cet album sont complexes, troublantes parfois, et l’interprétation nuancée qu’en fait la jeune pianiste leur rend tout à fait justice. Le plaisir et la passion s’entendent assurément dans l’enregistrement. On y redécouvre avec bonheur des pièces bien connues du répertoire pour piano et on fait connaissance avec de nouvelles œuvres que l’on voudra écouter encore et encore.

(Elena Mandolini)

Thierry Larose – Sprint! (Bravo musique)
(chanson keb franco, folk-rock, indie pop)

Dans ce deuxième opus en carrière très attendu de l’auteur-compositeur-interprète québécois, on retrouve des chansons aux textes riches et aux mélodies mémorables. D’entrée de jeu, on entend tout le travail mis dans la rédaction des paroles : références à la littérature, à la peinture, à la culture pop et même à son précédent album, Cantalou. Chacune des dix pistes de l’album se présente comme une petite histoire mise en musique, dans lesquelles la poésie de Larose peut se déployer librement. Musicalement, on retrouve une belle diversité de styles, passant du folk rock à des pistes plus pop et des ballades acoustiques. L’équilibre entre les chansons est très bien réussi, des mélodies plus contemplatives y côtoient des pistes dansantes et énergiques. Cette variété prouve que Larose a plus d’une corde à son arc, et qu’il sait atteindre la cible à tout coup. Les nombreuses distinctions décernées à cet album cette année sont pleinement méritées.

(Elena Mandolini)

Hozier – Unreal Unearth (Columbia Records, Sony Music)
(indie folk, folk-rock, folk-pop)


Pour le troisième album de sa carrière, l’auteur-compositeur-interprète irlandais Hozier sort un peu des sonorités auxquelles il avait habitué ses fans auparavant. On retrouve ici une atmosphère plutôt rock, avec des lignes mélodiques plus puissantes et fortes à la guitare et surtout un usage marqué de la batterie. Cette transition vers une musique à des sonorités somme toute plus pop n’est pas une mauvaise chose, bien au contraire, elle est très réussie. Cette esthétique renouvelée côtoie tout de même des chansons qui ont fait la réputation de Hozier : des mélodies folk acoustiques, mélancoliques et troublantes, faisant référence aux traditions irlandaises, à des histoires tirées de la mythologie grecque et à de nombreuses œuvres littéraires. On retrouve la magnifique plume de Hozier et on se plaît à décoder le sens des paroles. Chaque chanson s’enchaîne judicieusement et on ne se lasse pas de les écouter encore et encore.

(Elena Mandolini)

Mustard Service – Variety Pack (ONErpm)
(rock n’roll, surf rock, indie pop)

Mustard Service est un groupe indie basé à Miami. Pour leur troisième album, paru plus tôt cette année, on nous propose un ensemble de chansons ludiques sur un concept très amusant : lors de leur sortie, chaque simple était illustré par une petite boîte de céréales de format individuel, d’où le titre Variety Pack. Les influences surf rock et indie qui ont fait la réputation du groupe sont de nouveau présentes sur cet album. On apprécie les lignes de basse dynamiques et toujours solides chez Mustard Service, et les harmonies vocales légères. Variety Pack est un alliage de chansons dansantes et de ballades, abordant les thèmes de longues soirées de fête, d’amour (parfois déçu), le tout avec énormément d’humour. Le titre de l’album illustre d’ailleurs très bien qu’il y en a pour tous les goûts. Et surtout, la qualité musicale et l’énergie sont constantes du début à la fin de cet opus.

(Elena Mandolini)⁹

CucaRafa – The Art Of Music (Independent)
(house, groove-techno)

Depuis quelques années, on assiste à un retour en force de la techno hardcore et néo-trance, qui inonde les soirées et les réseaux sociaux. En marge de ce mouvement, le hard groove, un style de techno populaire à la fin des années 1990, fait également son retour, mais de manière plus discrète. Parmi les artistes qui participent à ce renouveau, CucaRafa, un DJ et producteur portugais. Ses compositions ont tout pour plaire : des rythmes très énergiques, des éléments percussifs prononcés et puissants (dans lesquels il distille des influences latines), des lignes de basse funky et dynamiques qui ajoutent une couche de complexité au rythme et bien sûr, un groove inimitable ! Une rencontre parfaite entre le passé et le présent, propulsant le hard groove sur le devant de la scène. (Elsa Fortant)


Isabel Soto, MPHS – Nueva Era (NYXII)
(Electronic, Techno)

Productrices et DJs, Isabel Soto et MPHS amènent avec elles un vent de fraîcheur sur la scène techno montréalaise en (re)popularisant la techno hypnotique et mentale – déjà bien implantée dans certaines scènes locales de leurs pays d’origine, à savoir le Venezuela et la Colombie. Respectivement résidentes au sein des collectifs montréalais Arder et LaNorth, elles font bien plus que se croiser derrière les platines. Les deux compositrices ont effectivement allié leurs forces pour la production de Nueva Era, un EP partagé de quatre pistes sorti sur NYXII, Ie label fondé par Isabel Soto il y a un an ou presque. L’excellente combinaison de leurs styles propres rend f;luide l’écoute de l’enregistrement et lui donne énormément de cohérence. À travers leurs compositions, Isabel Soto et MPHS semblent dialoguer et nous raconter une histoire dont on espère avoir la suite un jour…

(Elsa Fortant)

Mndsgn – Snaxxx (Stones Throw Records)
(expérimental, électronique)

Au cœur du son de Mndsgn se trouve une approche méticuleuse de la production, marquée par des synthés oniriques, des rythmes complexes et un penchant pour la manipulation d’échantillons d’une manière à la fois nostalgique et innovante. Ses beats éthérés transportent les auditeurs⋅trices dans un royaume où le temps semble se plier et se remodeler. Son dernier album, Snaxxx, s’approche d’un album-concept : 16 pistes, toutes de moins de 3 minutes, s’enchaînent les unes aux autres et s’écoutent comme une poignée de snacks. Quelque chose de léger, plaisant et qu’on écoute volontiers à répétition. Savoureux !

(Elsa Fortant)


Rebecca Delle Piane – Keen-Edged (KEY Vinyl)
(techno)

Il y a trois ans, je vous parlais déjà de la maturité des productions de la « jeune pousse » Rebecca Delle Piane, 21 ans à l’époque. C’était à l’occasion de la sortie de son EP Lode (2020), sous Symbolism, le label du renommé Ben Sims. Une pandémie et trois ans plus tard, force est de constater que la productrice n’a cessé d’offrir une musique d’une très grande qualité, tant dans ses compositions que ces DJ sets ; que ce soit sur vinyle ou trois platines. Sans grande surprise, elle est aussi devenue la protégée du vétéran Freddy K, compatriote italien basé en Allemagne et fondateur du label KEY Vinyl. C’est donc sous cette étiquette qu’elle sort, sur galette noire, Keen-edged, un quatre pistes bien senti, qui explore des sonorités « horreuresque » et exprime un juste équilibre entre minimalisme et complexité. Mention spéciale au morceau d’ouverture, Creatures of the night, qui exploite une ambiguïté mélodique caractéristique de la techno hypnotique.

(Elsa Fortant)

JMSN – Soft Spot (White Room Records)
(R&B/Soul)

Ah JMSN ! Enraciné dans les riches traditions du R&B et de la soul, le style de JMSN transcende les frontières conventionnelles en incorporant des éléments électroniques et des techniques de production expérimentales. Christian Berishaj, né à Détroit, se distingue par un registre vocal impressionnant (ses aigus!) et des paroles introspectives. Ses compositions sont souvent imprégnées de mélancolie. Avec Whatever Makes U Happy (2017) et Velvet (2018), JMSN a exploré l’esthétique funk et rock. Son dernier album, d’aussi bonne qualité que les précédents, expérimente avec les codes du gospel, du blues ou du grassroot. JMSN défie toute catégorisation et le fait avec goût.

(Elsa Fortant)

Isabelle Faust – Solo (Harmonia Mundi)
(classique, baroque)

Si, à première vue, le répertoire pour violon solo sans accompagnement vous semble peu attrayant, ne vous laissez pas abuser par ce préjugé. La musique présentée ici est d’une beauté magistrale et riche en mélodies, en émotions nobles et poignantes. Si le chef-d’œuvre absolu du genre est le cycle des Sonates et Partitas BWV 1001-1006 de Bach, les trésors révélés par Isabelle Faust dans cet album, judicieusement nommé Solo, n’en sont pas moins méritants. Une Fantaisie de Matteis et une Sonate de Pisendel, que Bach n’aurait pas dédaigné avoir dans son propre catalogue, sont les temps forts de l’album en termes de découvertes. D’autres pièces, de Guillemain (élève de Jean-Marie Leclair) et de Vilsmayr, bien que plus légères, sont suffisamment riches de détails pour séduire les puristes les plus exigeants. Et puis, il y a ce monument exceptionnel, qui n’est surpassé que par Bach (et encore) : La Passacaille de Biber, tirée de son remarquable cycle de Sonates du Rosaire. Un seul instrument, tout simple, mais une telle magnificence. C’est fou, mais c’est ça la vraie grande musique.

(Frédéric Cardin)

Babe, Terror – Technojoyg (Independent)
(expérimental, électroacoustique, musique contemporaine, jazz contemporain)

Claudio Katz Szynkier, alias Babe, Terror, est un compositeur électro d’avant-garde basé à Sao Paulo. Un génie méconnu du grand public, mais une étoile brillante au firmament de la musique d’aujourd’hui. Pour preuve, son album Horizogon a reçu le titre d’un des meilleurs Global Albums de 2020 selon The Guardian, et le précédent, Fadechase Marathon  ;, a été nommé meilleur album électronique de 2018 par Bandcamp. Technojoyg est son opus le plus récent, à peine sorti du studio, et c’est probablement son meilleur à ce jour. C’est le plus foisonnant, le plus fragmenté (mais cohérent), le plus ancré dans la perspective de la musique du 21e siècle, avec sa stimulante fusion holistique de l’électro et du symphonique, du high et du low art, du sensoriel et de l’intellectuel.

(Frédéric Cardin)

Kronos Quartet/Ghost Train Orchestra – The Music of Moondog (Cantaloupe Music)
(expérimental, musique contmporaine, jazz contemporain, avant-rock)

Dans mon top 5 des compositeurs savants du XXe siècle les plus influents, issus de milieux et de genres « non conventionnels », il y a certainement Ennio Morricone, Frank Zappa et Moodog (alias Louis Hardin, ou vice-versa). Si les deux premiers ont atteint un certain degré de reconnaissance de la part de l’establishment contemporain, Moondog n’a pas encore été officialisé en tant que tel. Pourtant, ce créateur également aveugle, qui écrivait en braille des partitions verticales sur des feuilles de carton, incroyablement prolifique (plus de 400 œuvres), adulé par toute une faune musicale underground, reste méprisé par le monde académique. Une erreur monumentale. Ecoutez ce joyeux Songs and Symphoniques – The Music of Moondog du Ghost Train Orchestra assisté du très « légal » Kronos Quartet et vous serez conquis. A moins d’être irrémédiablement puriste et coincé, vous découvrirez et accepterez le fait que Moondog est un compositeur si inclassable, si vibrant de bonne humeur lumineuse, si simple et naïf dans sa sophistication discrète et séduisante, si farouchement authentique.

(Frédéric Cardin)

Ruiqi Wang – Subduing the Silence (Orchard of Pomegranates)
(jazz contemporain)

La nature de la musique du Montréalais d’origine chinoise étant ce qu’elle est, c’est-à-dire plus d’écriture contemporaine que de jazz purement improvisé, le squelette thématique, harmonique et même mélodique change peu, même si des espaces autonomes sont laissés ici et là. Un mélange réfléchi de quelques improvisations, de beaucoup d’écriture contemporaine, de chants traditionnels chinois et de références savantes à Ligeti, Pauline Oliveros ou Meredith Monk, voire Evans et Strayhorn, font de Subduing the Silence un premier opus impressionnant pour une artiste qui n’a qu’une vingtaine d’années. Le potentiel de développement est immense, et nous pourrions même penser que la jeune auteur-compositeur-interprète pourrait être une sorte de réponse chinoise à la Coréenne Youn Sun-Nah et à la Japonaise Hiromi (en termes d’avant-garde éclectique, voire de post-modernisme). Le temps nous le dira. Maintenant que ses études à McGill sont terminées, Ruiqi a entamé une formation en composition à l’Académie des arts de Berne, en Suisse. Il ne fait aucun doute qu’elle reviendra bientôt avec des œuvres encore plus explosives et accomplies. Et, bien sûr, nous espérons qu’elle reviendra ici pour partager ses nouvelles idées avec nous. (Frédéric Cardin)


Weinberg – Dawn – Symphonie No. 12 (CHANDOS)
(classique moderne)


La dette musicale de Mieczysław Weinberg à l’égard de Dmitri Chostakovitch est immense. Pour les mélomanes qui aiment le second, la musique du premier est incontournable. Même univers sonore, même plongée, le plus souvent, dans des élans dramatiques de caractère hyper romantique, mais habillés d’harmonies et de mélodies modernes propulsées par des rythmes volontaires et souvent criants d’action et d’intensité. Cet album témoigne avec force de l’attachement de Weinberg à cette esthétique, tout en démontrant la capacité du compositeur à transcender son maître spirituel. La Symphonie n° 12 Op. 114 In memoriam Dmitri Chostakovitch, comme son titre l’indique, est l’hommage de Weinberg à Chostakovich. Mais c’est aussi, ironiquement, l’une des symphonies – du moins jusqu’à ce stade de la carrière de Weinberg – dans laquelle il s’éloigne le plus du style de son mentor et ami. L’œuvre s’ouvre sur des harmonies grinçantes, qui se frottent les unes aux autres avec une certaine rudesse. Quelques passages aux bois rappellent les épisodes plus rêveurs de la 10e de Chostakovitch, puis l’orchestre devient tendu, nerveux et angoissé.

(Frédéric Cardin)



Tyler, The Creator – Call Me If You Get Lost: The Estate Sale (Columbia)
(rap, hip-hop)

Après une année 2022 plutôt calme pour Tyler, The Creator, l’artiste n’a pas attendu longtemps pour se faire remarquer en 2023, soit en sortant en mars dernier Call Me If You Get Lost: The Estate Sale, la version deluxe de son album à succès du même nom, sorti en 2021. The Estate Sale propose huit nouvelles sonorités, toutes aussi fraîches les unes que les autres et contribuant à renforcer l’œuvre initiale. Comme sur Call Me If You Get Lost, Tyler combine des ballades pop-rap avec d’autres sons plus agressifs, sans oublier les passages où il débite rime sur rime, le tout appuyé d’un instrumental soul et répétitif. Ces différents sons qui s’assemblent pour former un projet très cohérent, voilà un art que Tyler a maîtrisé au fil du temps. Merveilleusement, The Estate Sale clôt un chapitre.

(Guillaume Laberge)

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Daniel Caesar – Never Enough (Republic Records)
(R&B/soul)

Quatre ans après son dernier projet Case Study 01, Daniel Caesar revient en force en 2023 avec Never Enough sorti en avril. Son nouvel album est une amélioration sur tous les fronts de Case Study 01, notamment en termes d’écriture et de structure des chansons. Cet album contient sans équivoque les titres R&B les plus accrocheurs de 2023. La voix mielleuse et très maîtrisée du chanteur canadien mêlée à des mélodies plutôt douces donne naissance à des ballades mémorables qui ont tourné en boucle dans ma tête tout au long de l’année. L’une des grandes forces de Caesar est d’écrire des refrains captivants et sur Never Enough, ce talent est encore plus mis en avant, notamment sur les titres Always, Let Me Go et Homiesexual. Grâce à sa cohérence et à sa chaleur, Never Enough est sans aucun doute l’un des albums les plus marquants de cette année.

(Guillaume Laberge)


The Alchemist – Flying High (ALC)
(hip-hop, grime)

Le légendaire producteur The Alchemist a eu une année 2023 plutôt chargée, travaillant sur différents projets qui ont tous cartonné. En revanche, c’est son Flying High EP sorti fin juin qui se démarque. Accompagné d’une brochette de MCs que l’on peut comparer aux Avengers du rap underground que sont Earl Sweatshirt, Boldy James, MIKE et Larry June (pour ne citer qu’eux), le beatmaker californien facilite clairement la tâche de ses soldats en concoctant des morceaux qui se complètent très bien avec chacun. La production se démarque des autres projets sortis dans le genre cette année, notamment grâce à des échantillonnages assez aventureux et parfaitement dosés. On a même droit à un rare couplet de The Alchemist, qui rappe à la fin du dernier morceau Midnight Oil en utilisant une cadence qui ressemble à celle de son collègue de longue date Roc Marciano. Flying High s’avère un joyau, non seulement dans la scène rap underground américaine, mais aussi dans le vaste répertoire de The Alchemist.

(Guillaume Laberge)

Sufjan Stevens – Javelin (Asthmatic Kitty Records)
(indie folk, folk orchestral)

Sufjan Stevens nous a fait sourire, le plus souvent pleurer. Quelle que fut l’émotion, il a fait nous sentir vivants. Son dernier opus, Javelin, ne déroge pas à cela. Dédié par l’auteur à son regretté partenaire Evans Richardson, décédé en avril dernier, Javelin est d’emblée poignant. Écoute après écoute, ces dix chansons ne cessent d’être captivantes, pas une seule seconde de relâche. On y observe Stevens revenir à son folk orchestral et son songwriting à fleur de peau, accompagné d’instrumentations grandioses qui insufflent beaucoup de vie à ses chansons. On a également droit à des morceaux très touchants comme l’excellent Will Anybody Ever Love Me ?, l’étonnant Genuflecting Ghost et l’épique Shit Talk, ce dernier durant plus de huit minutes. Même plus de 20 ans après son premier album, Stevens continue de se renouveler avec Javelin, selon moi l’un des meilleurs albums de sa carrière.

(Guillaume Laberge)

billy woods, Kenny Segal – Maps (Backwoodz Studioz)

(hip-hop, rap)

Le rappeur new-yorkais billy woods, un habitué des listes de fin d’année, s’est associé au producteur californien Kenny Segal en 2023 pour proposer l’unique et surprenant Maps. Maps est une expérience singulière qui peut sembler difficile à décrypter à la première écoute, sa cadence particulière pouvant rebuter certains fans de hip-hop. Pourtant, lorsqu’on est habitué à sa façon de rapper, on réalise que sa capacité à voyager entre différents tempos est plus une force qu’une faiblesse. Segal l’a également compris, soit en lui proposant divers instrumentaux, certains plus expérimentaux, d’autres plus détendus, et auxquels Woods a très bien répondu. Segal prend l’approche assez excentrique de Woods et l’étend à différents extrêmes. Ce qui donne un projet ambitieux de réinventions, dont il est néanmoins facile de saisir les subtilités. Maps fait partie des meilleures sorties de cette année, à la fois grâce à sa polyvalence et sa complexité.

(Guillaume Laberge)

Greg BeaudinTiamat, Mon Amour  (Disques 7ième Ciel) 
(rap keb, hip-hop)

Greg Beaudin fait partie du paysage rap au Québec depuis déjà un bon moment, notamment en tant que membre du fameux groupe Dead Obies et de la Brown Family. En juin 2022, le rappeur a commencé son aventure solo avec Woah là!, une collaboration avec Eman. Pour son premier projet, « Snail Kid » s’est grandement inspiré de la mythologie; Tiamat, la déesse mésopotamienne des eaux primordiales est un thème central de l’album. Afin d’aboutir à un projet aussi assumé et cohérent, Beaudin a travaillé pendant près de cinq ans, et on le ressent avec la grande qualité des différents morceaux. Composé de 13 chansons, l’album slalome entre rap, jazz et R&B. Tiamat, mon amour jouit d’arrangements musicaux complexes et débordants de subtilités, un de ses points forts. Là où il excelle, c’est lorsqu’il s’échappe des codes du hip-hop et s’aventure hors des sentiers battus. Le morceau Pas toi encore avec Les Louanges en est l’exemple parfait et est l’un des meilleurs titres R&B québécois de l’année.

(Jacob Langlois-Pelletier)



Zach Bryan – Zach Bryan (Belting Bronco Records)

(americana, indie folk, folk-rock)

Un peu plus d’un an après avoir charmé des millions d’auditeurs avec American Heartbreak, Zach Bryan est revenu à la charge avec son album homonyme, une proposition davantage folk et rock. L’essence du country est toujours bien présente; on parle davantage d’une évolution musicale qu’un changement de cap. Guitare à la main, l’auteur-compositeur-interprète américain nous transporte dans un récit introspectif, en plein cœur de ses insécurités. Il se remémore d’ailleurs son passé dans les forces navales américaines en débutant Overtime, un des titres phares du projet, avec les premières notes de l’hymne national de son pays. Les textes de Bryan sont sincères et donnent l’impression d’écouter un ami de longue date. Dans ce projet, l’artiste de 27 ans peut compter sur l’apport de différents collaborateurs dont The Lumineers et Kacey Musgraves sur la nostalgique I Remember Everything. Zach Bryan y est tout simplement au sommet de son art.

(Jacob Langlois-Pelletier)

Jorja Smith – falling or flying (FAMM)

(afrobeats, soul/R&B, pop)

En avril dernier, la chanteuse britannique Jorja Smith avait piqué ma curiosité avec la sortie de Try Me, premier avant-goût de son album. Dès la première écoute, l’instrumentale orchestrale ainsi que les capacités vocales de celle qui s’est faite connaître du grand public aux côtés de Drake en 2017 m’ont impressionné et j’attendais avec impatience la sortie de falling or flying. Avec son nouvel album, l’auteure-compositrice-interprète n’a certainement pas déçu et a offert son récit le plus personnel à ce jour. À travers les 16 titres du projet, Smith réfléchit sur sa relation avec la gloire et son passé des dernières années. À plusieurs occasions, elle troque le R&B classique pour différents styles comme la house et la pop. Les changements rythmiques entre les morceaux lui permettent de briller sous différentes facettes, démontrant au passage son immense talent. On sent qu’un réel travail artistique a été effectué par l’artiste de 26 ans pour élargir ses horizons et donner vie à sa plus récente offrande.

(Jacob Langlois-Pelletier)


Hamza – Sincèrement (Just Woke Up)

(rap franco, hip-hop, trap, R&B)

Avec Sincèrement, Hamza a sans aucun doute consolidé sa place au sein de l’élite du rap francophone. Comme d’habitude, le rappeur belge débarque avec sa voix autotunée et son flow mielleux sur des productions majoritairement trap et R&B. Dans cet opus, le « SauceGod » renoue avec son personnage d’éternel lover, au grand plaisir de ses auditeurs. Hamza compte sur des invités de marque, notamment la vedette nigériane CKay et l’américain Offset. Les mélodies et les refrains sont accrocheurs, faisant oublier que les thèmes abordés y sont quelque peu redondants. La recette du Belge est gagnante et Sincèrement en est l’énième preuve.

(Jacob Langlois-Pelletier)

Dodheimsgard – Black Medium Current (Peaceville Records)

(metal, black metal, doom metal)

Après un A Umbra Omega complètement déjanté et tordu, Dødheimsgard sort de l’ombre avec un album d’une mélancolie inédite. Ça fait maintenant quatre albums que le mouton noir du black métal norvégien lance à exactement huit années d’intervalle, dans une séquence calendaire quasi prophétique! Alors qu’on aurait pu s’attendre à un assaut de riffs dissonants et de blast beats vertigineux, on a plutôt affaire dès les premières notes à des passages mélodiques beaucoup plus traditionnels pour le genre. Plus tard, l’album se livre toutefois à un exercice stylistique hautement décomplexé, passant du funk des années 1980 au doom metal. Les synthétiseurs sont utilisés à profusion, tout comme la voix claire de Vicotnik. C’est dans la décontenance que l’auditeur est plongé tout au long de Black Medium Current. Les compositions y sont sculptées dans les moindres détails. Moins extrême que par le passé, Dødheimsgard continue néanmoins à déjouer les attentes et à élargir l’étendue de sa vision unique.

(Laurent Bellemare)


Miserere Luminis – Ordalie (Independent)

(metal franco, black metal)

Quatorze ans après leur premier effort collectif, les musiciens de Gris et Sombres Forêts unissent à nouveau leurs forces et lancent un album qui leur fait se démarquer des autres acteurs de la scène black métal québécoise. Ordalie offre des arrangements sophistiqués, un jeu instrumental subtil et technique, mais surtout, cette atmosphère de désolation qui avait charmé l’auditoire en 2009. Il faut applaudir l’exécution en général, le dynamisme du jeu de batterie étant un élément clé qui colore l’album sur toute sa longueur. Très peu de choix rythmiques semblent délibérément empruntés au canon du black métal, ce qui a pour effet rafraîchissant de subvertir les sections les plus pesantes avec une attaque percussive plus nuancée que brutale. On reconnaît fort bien le son de Miserere Luminis. Il s’agit d’une musique vulnérable, introspective et  rigoureusement construite, loin du black métal orienté sur le pur assaut auditif ou la noirceur occultiste. L’attente en aura amplement valu la peine.

(Laurent Bellemare)

Afterbirth – In But Not Of (Willowtip Records)

(metal, death metal)

Du death metal expérimental d’une autre planète, mais tout de même enregistré live dans un studio équipé vintage. Voilà ce qu’Afterbirth propose avec In But Not Of, son troisième album. Dans In But Not Of, on apprécie l’expression du désir d’expérimentation qui fait rage dans la scène death metal moderne, un sous-genre musical où les limites techniques sont constamment repoussées.Toutefois, ce sont des vieux de la vieille qui sont derrière les amplificateurs et les percussions. Ce langage musical qu’ils ont construit le leur provient du milieu des années 1990, alors que les Suffocation, Internal Bleeding et Pyrexia de ce monde étaient en train de définir ce qui allait devenir le brutal death metal. Il y a toutefois un côté progressif indéniable à cet album, dont la composition est fort ambitieuse et la texture pas toujours agressive, non sans rappeler le son feutré des classiques du prog.

(Laurent Bellemare

Raja Kirik – Phantasmagoria of Jathilan

(EDM, indonésien, élecronique, expérimental)

D’emblée, s’imaginer un mélange entre EDM hypertendu, sonorités instrumentales nouvelles et influences traditionnelles sud-est asiatiques ne relève pas de l’intuition, le duo indonésien Raja Kirik étudie néanmoins la question, habilement d’ailleurs, sur son dernier opus Phantasmagoria of Jathilan.  L’album entier fait référence au Jathilan, une danse rituelle hindoue bouddhique jadis pratiquée à Java pour se protéger des oppresseurs. Cette influence est d’autant plus affirmée qu’on y retrouve la voix envoûtante de Silir Wangi, dont le contour mélodique rappelle instantanément l’archipel indonésien. Sur une trame électronique presque toujours dynamisée par une pulsation rapide, les sons étranges des instruments de Pribadi, faits à partir de matières recyclées, martèlent et enrichissent le rythme. Les pièces, assez longues, se développent comme des rituels de transe ponctué de voix humaine, d’échantillons variés et d’explosions rythmiques à la drum’n’bass. Capté sur le vif, une proposition musicale hautement originale émerge de cet enregistrement.  

(Laurent Bellemare)

Sarah Pagé – Voda (Backward Music)

(expérimental, contemporain)

Fruit d’une collaboration avec la chorégraphe russe Nika Stein en 2014, Sarah Pagé actualise cette exploration sonore autour de l’eau à près de dix ans d’écart avec la production originelle. Proposant un univers riche et expansif, Voda fait quasiment oublier que sa compositrice est d’abord harpiste. Effectivement, les cordes pincées y sont augmentées de traitements électroniques, mais également de passages aux cordes frottées et de diverses percussions hydriques, telles un waterphone et des bols d’eau. Durant près d’une heure, l’album traverse plusieurs moments d’apesanteur rythmique, où la parcimonie des notes et leur “panoramisation” dans l’espace stéréophonique créent une atmosphère à la fois mystérieuse et apaisante. Après avoir traversé tout un arc musical, on peut finalement apprécier pleinement les références à l’eau, car c’est effectivement en vagues d’intensité que Sarah Pagé a structuré Voda

(Laurent Bellemare)

Holy Tongue – Deliverance and Spiritual Warfare  (Amidah Records)

(jazz, dub, post punk, techno, expérimental)

Issu de la  » Caverne  » du groupe dance-punk Liquid Liquid pendant une montée paranoïaque de Kundalini du groupe post-punk 23 Skidoo, Holy Tongue est un projet studio constitué en 2018, issu de la scène avant-gardiste londonienne. Après une trilogie d’EPs acclamés par la critique, Deliverance and Spiritual Warfare réunit la batteure et percussionniste recherchée Valentina Magaletti (Nicolas Jaar, The Oscillation, Tomaga, Vanishing Twin), le chaman techno Al Wootton (Deadboy) et le bassiste japonais Susumu Mukai (Vanishing Twin), avec des performances d’invités spéciaux du légendaire Steve Beresford au piano préparé, d’Abraham Parker et de David Wootton aux cuivres. Construits autour de leur appréciation des improvisations cathartiques et des expériences du label On-U Sounds (Dub Syndicate, African Head Charge), les morceaux célèbrent le croisement des genres. Ça va de la marche catholique andalouse au dub obscur en passant par le jazz, le post-punk, les percussions mystiques ou la techno. Ce premier album est l’œuvre la plus élaborée du groupe et témoigne de son ambition de développer des approches novatrices pour ainsi relever les défis que pose la malédiction. Construire des partenariats solides aide vraiment à combattre la menace.

(Louise Jaunet)


Föllakzoid – V (Sacred Bones Records)

(électronique, IDM, expérimental, avant-rock)

Dérivé du mot allemand Feuerzeug, Föllakzoid a formulé une sorte de réponse à l’intuition des groupes kosmische des années 70 et des artistes de la scène trance des raves berlinoises des années 90 (The Visions of Shiva, Cosmic Baby). Contrairement aux précédents albums enregistrés en une seule prise, le dernier a été réalisé en un mois à partir de plus de 70 enregistrements distincts de guitares, de basses, de batteries, de synthétiseurs et de voix. Sans aucune restriction ni ligne directrice, le producteur Atom™, qui n’était pas présent au moment de l’enregistrement, a ensuite réorganisé le tout en quatre séquences. Le résultat de cette exploration sonore collaborative recrée le voyage transcendantal d’un jeune aventurier à la recherche d’un royaume surnaturel, soit en tentant d’en retracer les moments énigmatiques de perceptions dissoutes, moments où la vision d’une particule de matière noire a altéré leur imagination. Approche futuriste de la transmutation intérieure, V se veut une expérience minimaliste unique qui raconte l’histoire complexe d’une énergie cosmique qui habite le corps humain. « Nous sommes le rêve de la machine et au fur et à mesure que la technologie biologique se développe, cette distinction ne s’appliquera plus », écrit Domingæ. Kraftwerk avait vu juste à l’époque. « Wir sind die Roboter ».

(Louise Jaunet)

Trees Speak – Mind Maze (Soul Jazz)

(expérimental, jazz, psychédélique, avant-rock)

Trees Speak est un duo basé à Tucson, en Arizona, composé de Daniel Martin Diaz et Damian Diaz. Le son est caractérisé par une combinaison d’art surréaliste, de rythmes motorisés krautrock, d’attitude angulaire post-punk new-yorkaise, de bandes sonores de films d’espionnage des années 1960, de psychédélisme, de jazz et de synthétiseurs des années 1970. Le nom Trees Speak reflète un intérêt marqué pour ce concept de l’utilisation des technologies afin de stocker des informations et des données dans les arbres et les plantes, avec l’idée que les arbres communiquent collectivement. Comme tous leurs précédents albums, Mind Maze est influencé par les paysages désertiques, créant un son unique, captivant, expérimental et innovant. Pour bien comprendre ce nouvel album, aménagez dans votre esprit un labyrinthe brumeux de miroirs déformants, rempli par l’excitation d’un film noir dans lequel la victime, le meurtrier et le détective sont une seule et même personne mais ne se connaissent pas. Si chacun dit exactement le contraire, c’est qu’il a raison. On pourrait dire qu’il s’agit d’un paradoxe… Et c’est exactement ce dont parle Trees Speak, car il n’y a pas de réalisation plus classique du surréalisme que cet ensemble constitué d’une machine et d’un être humain qui se tient devant.

(Louise Jaunet)

N NAO – L’eau et les r​ê​ves (Mothland)

(chanson keb franco, expérimental, pop orchestrale, avant-pop)

Depuis la parution de L’eau et les rêves au printemps dernier, N NAO a pu bénéficier d’une véritable reconnaissance du public et de l’industrie grâce à ses performances ritualisées, envoûtantes, voire mystiques, allant même jusqu’à se faire une place sur la prestigieuse Longue Liste du Prix Polaris. À travers un rituel artistique et symbolique qui se produit naturellement depuis des millions d’années, l’album s’imbrique dans un ambitieux ouvrage transdisciplinaire et collaboratif, dont le sujet se dévoile progressivement écoute après écoute, à travers sa recherche documentaire sur l’eau douce. Mêlant à la fois rythme krautrock, spontanéité free jazz, improvisation folk psychédélique, chaînes d’effets dream pop et enregistrements extérieurs pris sur le vif, l’ensemble de l’album, d’une authenticité rare, invite à se perdre en haut d’une montagne durant un songe, pour naître à soi-même à côté d’une source d’eau douce qui rend la vie plus perméable aux changements inconscients. A partir des mélodies subconscientes composées à la guitare, une douce vulnérabilité se fait sentir dans sa voix et révèle les pensées intimes d’une lueur précieuse tombée dans l’eau. Quand on prend le risque de se rencontrer, on découvre que l’amour est ce qui transcende la mort. (Louise Jaunet)

Ivan The Tolerable – Under Magnetic Mountain (Library of The Occult)

(avant-pop, avant-rock, jazz contemporain, psychédélique, électro)

Avec plus de 24 heures de musique produite au cours des dix dernières années, Oli Heffernan est peut-être l’un des artistes les plus prolifiques et un secret les mieux gardés de la région du Yorkshire. Pour cet alchimiste agité, impatient et autodidacte, qui admet faire de la musique pour ne pas devenir fou (tout en ne se souvenant même pas de la moitié de ses sorties), la quantité est étonnamment égale à la qualité et son 47e album est là pour le prouver. De Opening Bell à Closing Bell, Heffernan crée un kaléidoscope sonore palpitant et magnétique de free jazz, qui nous plonge au plus profond de son kosmische royaume. Chaque écoute vous fera apprécier de plus en plus ce jam psychédélique, jusqu’à ce que vous ne puissiez plus vous empêcher de vous faire jouer en boucle ce voyage de 37 minutes. Essayez de découvrir les enseignements cachés du cosmonaute afrofuturiste Sun Ra, du roman antitotalitaire Darkness at Noon ou de l’héroïne méconnue de la musique électronique Delia Derbyshire. Ces références font de cet album un « enregistrement éducatif du laboratoire sonore Ivan the Tolerable » et mettent en lumière le concept mystérieux de l’échange d’idées à travers les quatre dimensions de l’espace-temps. Si les grands leaders meurent, les bonnes idées, elles, ne meurent pas.

(Louise Jaunet)

Puma Blue – Holy Waters (Blue Flowers Music)

(avant-pop, punk jazz)

L’album de Puma Blue, Holy Waters, porte bien son nom. Le projet s’agite et tourbillonne, une brume crépusculaire de bleu nuit et de brouillard épais et sédatif qui nous entraîne toujours plus profondément dans un monde sonore d’une beauté dévastatrice. Tantôt anesthésiant et paisible, tantôt frénétique et féroce, Holy Waters marque un tout nouveau chapitre dans l’évolution des sensibilités esthétiques de Jacob Allen. La poésie est reine sur Holy Waters, avec une imagerie obsédante et des métaphores florissantes qui offrent de nouvelles perspectives à chaque écoute. Allen couvre ici un vaste champ thématique, bien qu’une grande partie soit centrée sur le chagrin, le deuil et les tours et détours déchiquetés d’un amour sans espoir et sans limite. Vaste et expansif, le nouvel album offre une sensation distincte et nouvelle, qui nous montre les véritables possibilités de Puma Blue. Non seulement ces possibilités en tant que musicien, mais aussi en tant que commissaire de goût et de style à travers de multiples supports visuels, écrits et sonores.

(Lyle Hendriks)

Slow Pulp — Yard (ANTI)

(alt-rock, indie rock, folk rock, shoegaze)

Alors que Slow Pulp a toujours offert un alt-rock déchirant et lourd qui vous prépare à pleurer ou à détruire la place, un nouveau parfum doux enveloppe les rebords déchiquetés de ce quatuor originaire du Wisconsin sur Yard. L’attrait de Slow Pulp réside dans l’incroyable crudité et la vulnérabilité de la chanteuse Emily Massey. Sa technique vocale parfaitement imparfaite n’est rien de moins que magistrale, brisant avec raffinement sa voix en tandem serré avec des paroles si profondément personnelles qu’on se sent presque gêné de les absorber. Avec des solos d’harmonica endeuillés, de la guitare slide, certains des synthés les plus imperceptibles mais terriblement nécessaires que j’ai jamais entendus, cet album s’étend et flirte avec des idées de folk et de country à l’ancienne, comme si nous grandissions et apprenions à aimer la collection de disques de notre père. Qui plus est, le pied reste fermement planté dans les sons shoegaze sulfureux qui rendent Slow Pulp si irrésistible, et font de Yard l’un de mes albums de l’année.

(Lyle Hendriks)

King Krule — Space Heavy (Matador Records)

(jazz, post punk, avant-folk, avant-pop)

Peu d’artistes indie-alternatifs peuvent aujourd’hui dire qu’ils ont grandi en même temps que leur public comme l’a fait King Krule. Chaque fois qu’il se réinvente – du paysage de rêve semi-ambiant et scintillant de The Ooz (2017) à l’expérimentation à la fois rauque et stupéfiante de Man Alive ! (2020) – nous découvrons une autre facette des capacités incroyablement polyvalentes d’Archie Marshall. Sur Space Heavy, nous écoutons un King Krule plus âgé et plus sage. Si vous avez déjà eu l’impression d’être le même adolescent en colère dans un corps d’adulte, vous vous identifierez immédiatement à cette série de morceaux vifs et viscéraux. Chaque chanson de cet album bénéficie de l’expertise que nous attendons de King Krule, tissant ensemble d’innombrables fils sonores d’échantillonnage, d’instrumentation et de voix pour former des tapisseries incroyablement somptueuses qui nous attirent, les mains liées et le cœur ouvert. La splendeur délavée se déchaîne sur Space Heavy – une toile complexe de joie et de désespoir, si amoureusement enchevêtrée que l’on se retrouve avec le meilleur travail de King Krule à ce jour.

(Lyle Hendriks)

100 gecs — 10,000 gecs (Atlantic, Dogshow Records)

(avant-pop, synthpop, indie rock)

Pour ceux qui connaissent déjà la voie du gec, certaines parties de 10 000 gecs se perçoivent comme une évolution naturelle pour le duo. Il y a Dumbest Girl Alive, avec ses lignes de basse éclatées associées à des guitares emo, inspirées du punk, et à un chant classiquement angoissé. Hollywood Baby est une autre amélioration de la formule originale de 100 gecs – un riff de guitare qui fait mal aux oreilles, combiné à des paroles pleurnichardes qui rappellent The All-American Rejects. Juste au moment où l’on pense avoir pris le dessus, le son mystérieux et changeant de 100 gecs se dérobe sous la forme de Frog on the Floor. Une progression d’accords enfantine, d’inspiration semi-ska, un refrain vocal à la limite de l’anti-production, l’utilisation gratuite de samples de ribbiting… tout est réuni pour nous punir de notre arrogance… ou plutôt notre orgueil de penser que nous pourrions jamais comprendre les choix esthétiques de 100 gecs. Non content de surfer sur la vague hyperpop qu’il a lui-même créée, 100 gecs se lancé une fois de plus dans l’inconnu, l’impopulaire et l’inhabituel.

(Lyle Hendriks)

Mac Wetha – Mac Wetha & Friends 2 (Dirty Hit)

(avant-folk, post-punk, soul/R&B, hip-hop)

Cet album tient parfaitement la promesse de son titre : des amis se réunissent et s’amusent simplement à faire de la musique. Mais ce n’est pas qu’un bain de soleil avec les potes. Le premier titre, Play Pretend (ft. spill tab), commence par un doux riff de guitare et une voix rêveuse, mais on est soudain bousculé par un rythme lourd de batterie et une guitare électrique qui donnent vie à la chanson, avant de la doubler à nouveau dans un crescendo garage-punk plein d’émotion. L’album passe à la vitesse supérieure, comme une machine frénétique qui se met à tourner sous nos yeux. Des jams décontractés pour les jours d’été. Des grooves endiablés qui respirent le sexe et l’intimité. Du post-punk sombre, futuriste et synthétisé. Mac Wetha nous offre des idées fraîches, des textures irrésistibles et la dualité conflictuelle de la joie et de la peur qui pèse sur chaque jeune dans le monde d’aujourd’hui.

(Lyle Hendriks)


Paul Simon – Seven Psalms (Owls Records)

(folk, pop orchestrale)

Paul Simon est un des auteurs-compositeurs américains les plus marquants de sa génération. Après le grand succès de Simon &Garfunkel, sa carrière solo a exploré des tas de genres musicaux, notamment sud-africains, tout en creusant un univers poétique intime, brillant, très particulier. Seven Psalms est son quinzième opus et son dernier. C’est Paul Simon lui-même qui l’a dit. C’est un terminus remarquable, comme la grande majorité des albums précédents. Paul Simon est ici dénudé: sa voix, ses guitares acoustiques, ses accompagnements de quelques cloches et claviers discrets, mais inventifs. On croit entendre un peu de flûte, de vibraphone, de cordes. Sa femme, la chanteuse Edie Brickell, apparaît à deux reprises, ainsi qu’une chorale britannique Voces8. Ce disque est une méditation sur la vie et la mort, qui s’en vient. À quatre-vingt-deux ans, Paul Simon parle de la « grande migration », de pardon, d’amour et de « piste des volcans ». « Personne ne meurt de trop d’amour », affirme cet homme qui a vécu beaucoup de périodes sombres malgré son grand succès populaire.  Paul Simon est toujours un formidable guitariste, sa voix se porte plutôt bien. On touche au folk, au blues et au jazz. Ces sept psaumes ne font en fait qu’une seule pièce de trente-trois minutes. Magnifique. Méditative. Touchante. Merci, maestro. J’aurais presque envie que vous reveniez sur votre décision, pour écouter un autre album.

(Michel Labrecque)

Širom – The Liquified Throne of Simplicity (Tak:til)

(avant-folk, expérimental, est-européen)

Une confession: ce disque est paru à la fin de 2022, mais a été vraiment découvert en 2023. Un trio slovène complètement hors-normes, qui m’a marqué durant toute l’année. Une musique alt-folk complètement originale. The Liquified Throne of Simplicity est le quatrième album de Sirom, formé d’Ana Kravanja, Iztok Koren et Sao Kutin, tous issus de la scène alternative de la Slovénie, la Suisse d’Europe de l’Est. Un voyage complexe qui vous emmène de l’Europe Centrale aux Balkans, en passant par l’Afrique, Bali ou le Moyen-Orient. Parfois, on croirait entendre du Jon Hassell ou la viole écorchée de John Cale du Velvet Underground. Mais ce ne sont que des instruments acoustiques, dont le son est transformé par des « résonateurs acoustiques ». Le groupe invente même certains instruments, en plus d’utiliser autant le banjo que le luth, la lyre, l’ocarina, le guembri et une multitude d’autres. Il y a aussi la jolie voix d’Ana Kravanja. J’ai été stupéfié et emballé par ce groupe, qui nous offre des pièces longues et complexes, mais touchantes. Ce disque aurait été inspiré par de longues ballades dans la campagne et les montagnes slovènes lors de la pandémie. Sirom est très inspirant.

(Michel Labrecque)

This Is The Kit – Careful Of Your Keepers (Rough Trade)

(avant-pop, indie pop, jazz, folk)

J’ai découvert This Is The Kit en 2017, avec Moonshine Freeze, son quatrième album. Depuis, This Is The Kit s’est toujours retrouvé dans mes listes personnelles des vingt meilleurs albums annuels, que j’envoie à mes amis, lorsque les albums suivants sont sortis. J’ai également écouté les trois précédents avec bonheur. This is The Kit est avant tout le groupe de la Britannique Kate Stables, qui vit à Paris, joue de la mandoline et chante d’une voix cristalline et convaincante. C’est le sixième album du groupe art-folk, antifolk, pop, folk, jazz folk. Choisissez votre étiquette. Les autres musiciens sont Rozi Plain (voix basse) qui a elle-même une carrière solo à suivre, Neil Smith (guitare), Jamie Whitby-Coles (batterie). S’y ajoute une section de cuivres et quelques effets électro discrets. C’est tout. Mais c’est une alchimie sonore impeccable. Kate Staples s’amuse à changer de producteur à chaque album. John Parish, le producteur de PJ Harvey, s’est chargé du premier, Aaron Dressner de The National du troisième. Cette fois, c’est Gruff Rhys, leader du groupe iconoclaste Super Furry Animals, qui interprète avec brio Careful Of Your Keepers.

(Michel Labrecque)

Lucas Santanna – O Paraiso (No Format!)

(MPB, bossa nova, jazz, avant-pop)

Le Brésilien Lucas Santtana poursuit sa route musicale distinctive avec son neuvième album, O Paraiso. Ce disque est, à mon avis, son meilleur. « Nous voulons le paradis sur terre », clame le musicien, écologiste dans l’âme, qui prévient l’homme d’affaires Elon Musk que l’avenir réside sur notre planète, et non pas dans l’espace. Tout ceci baigne dans un folk tropical, apaisant, sophistiqué, à écouter sous un ciel étoilé ou devant un feu de foyer. Ou dans un bain.O Paraiso est le premier opus de Lucas Santanna enregistré en France, avec un groupe d’excellents musiciens français. Il y a même une pièce chantée en français, Biosphère, qui demande aux hommes d’affaires cupides, «qui sont les sauvages, qui sont les civilisés? » Les arrangements sont soignés et ils mettent en évidence une formidable section de vents, qui ajoutent de la profondeur à la musique. On y trouve aussi une magnifique relecture de The Fool on the Hill des Beatles, avec des accents bossa nova et jazzistiques. Meilleur que l’original? Pas forcément, mais certainement différent. Je crois que Sir Paul McCartney et Sir George Martin en seraient ravis.

(Michel Labrecque)

Dominique Fils-Aimé – Our Roots Run Deep (Ensoul Records)

(pop, soul, R&B, jazz)

Our Roots Run Deep est le quatrième album de la prolifique chanteuse et compositrice afro-montréalaise. C’est également le premier opus d’une trilogie, qui suit la première trilogie, formée des disque Nameless (2018), Stay Tuned (2019)et Three Little Words (2021). Dominique Fils-Aimé adore défier l’industrie musicale actuelle, basée sur l’instantanéité. C’est compliqué, mais ça lui plaît beaucoup. Dominique adore les chiffres. Alors que la première trilogie s’intéressait aux racines afro-américane, cette seconde trilogie s’attardera davantage à ses racines personnelles. Ce premier tome est très convaincant. C’est un véritable travail d’orfèvre. Avec une instrumentation assez simple (contrebasse, percussions, trompette, claviers), mais subtile, Dominique Fils-Aimé multiplie les partitions vocales, les harmonies, presqu’à l’infini, en collaboration avec son réalisateur, Jacques Roy.  Des voix percussives, des voix angéliques, des voix douloureuses, des voix évanescentes, qui se répondent, qui se contredisent, qui se fondent et se reproduisent. Il y’a quelque chose qui rappelle Jacob Collier, le jeune prodige britannique ami de Herbie Hancock et Quincy Jones, dans la recherche des harmonies vocales parfaites. Vous aurez compris: c’est un compliment.

(Michel Labrecque)

Population II – Électrons Libres du Québec (Bonsound)
(avant rock, prog, keb franco)

2e album et c’est encore wah! Même plus, plus ramassé tout en étant encore plus “fuckin’ space” !. Meilleur band du Québec en ce moment? Peut-être.

(Patrice Caron)

Primal Horde – Blood River (Independent)
(sludge métal)

Petite entorse, parue fin 2022 et découverte en 2023. Death Sludge Métal qui ramasse tout sur son passage, en grattant le roc avec une herse de couteaux forgés avec les dents de Satan. C’est guttural, sanguinolent et très divertissant.

(Patrice Caron)

Seum – Double Double (Electric Spark Records & Riff Merchant Records)

(stoner rock, punk, metal)

Stoner rock/punk/métal pas classique, un peu croche, un peu sale et l’attitude qui faut pour qu’on ne les classe pas d’emblée dans “ah non pas un autre band stoner”.

(Patrice Caron)

Enfants Sauvages – Arythmie (Self-Released)

(punk hardcore, keb franco)

L’incarnation pure de ce que doit être un band de rock’n’roll, Enfants Sauvages offrent ici une seconde salve de coups de poing dans la face et qui font du bien. Avec une frontwoman qui donne l’impression qu’Amy des Sniffers est tranquille, un des meilleurs guitaristes du genre et une section rythmique accotée dans le tapis. La combinaison est parfaite et donne foi en l’avenir du rock ‘n’roll.

(Patrice Caron)


Luger – Revelation of the Sacred Skull (Heavy Psych Sound Records)

(hard rock, stoner rock, metal)

Pigeant un peu partout dans les racines du hard-rock et du métal, Luger joue avec les clichés du genre pour les réinterpréter avec un humour sans pousser trop la note de la blague. L’amour de cette musique est évidente et celle-ci est fait avec sérieux, tout en se prenant pas trop au sérieux. Make rock ‘n’roll fun again.

(Patrice Caron)

Hugo Blouin: Sport national (Multiple Chord Music / Believe)

(jazz contemporain, expérimental)

C ’est dans la voie ouverte par René Lussier dans Le trésor de la langue que s’est engagé le contrebassiste et compositeur Hugo Blouin en 2018 avec un projet pour le moins étonnant: Charbonneau ou les valeurs à’bonne place. Il utilisait alors des repiquages d’archives de la Commission Charbonneau, un défilé d’amnésiques dont les témoignages, aidés par le montage, deviennent de véritables poèmes dada. Le premier volume de l’œuvre a reçu le Lucien «Album jazz de l’année» lors du Gala Alternatif de la Musique Indépendante du Québec (GAMIQ, 2018) et l’Opus du «Concert jazz de l’année» lors de la remise des prix du Conseil québécois de la musiqueen 2019.Hugo Blouin récidive avec Sport national, qui, comme l’indique bien son titre, est consacré à documenter le monde fascinant du hockey, «de Maurice Richard à Marie-Philip Poulin». C’est drôle, virtuose et ça rend un bel hommage au travail de précurseur de Lussier.

(Réjean Beaucage)

Wadada Leo Smith and Orange Wave Electric: Fire Illuminations (Kabell Records)

(jazz contemporain)

C’est sur son propre label, Kabell Records, que le trompettiste Wadada Leo Smith lance Fire Illuminations et le soliste se place au milieu d’un ensemble très haut de gamme, similaire à celui qu’il avait sur l’album Najwa (2017) ; trois guitaristes (Nels Cline, Brandon Ross et Lamar Smith), deux bassistes (Bill Laswell et Melvin Gibbs), un percussionniste (Mauro Refosco), un batteur (Pheeroan akLaff) et le sound designer Hardedge. Seul Refosco, membre du groupe new-yorkais Forro in the Dark, est un nouveau venu aux côtés du trompettiste. Tout ce beau monde se retrouve sur deux morceaux, le plus long (près de 16 minutes chacun), et le meilleur : Ntozake qui ouvre l’album, et Tony Williams, un hommage (ce n’est pas le premier) que rend le trompettiste au légendaire batteur de Miles Davis (encore qu’on soit plus proche ici de l’époque On the Corner, ou Live-Evil, enregistrés avec Jack DeJohnette, que de Daughters of Kilimanjaro, enregistré avec Williams ). Ces deux morceaux avec l’ensemble sont groovy à souhait, heavy (merci M. Laswell) et constituent de superbes véhicules pour les solos des trois guitaristes et de Smith.

(Réjean Beaucage)

Joseph Branciforte & Theo Bleckmann: LP2 (Greyfade)

(expérimental, contemporain, ambient, électroacoustique)


Le chanteur Theo Bleckmann, qui a notamment fait partie des collaborateurs de Meredith Monk, et le musicien Joseph Branciforte, qui a produit des enregistrements de Marc Ribot ou du JACK Quartet, ont sorti LP1 en 2019 ; voici la suite (le premier morceau du disque était aussi le  » soundcheck  » de cette première collaboration).  On est dans le délicat, et il n’est pas toujours évident de déterminer ce qui est de la voix ou de l’électronique. Au-delà de l’enregistrement d’improvisations, le duo s’est cette fois-ci autorisé à manipuler le matériel enregistré, ce qui donne lieu à un univers sonore plus dense, rempli de glitchs, et à des compositions plus complexes, plus élaborées. Certains morceaux sont de simples boucles d’à peine une minute, qui apportent un peu d’air entre les paysages évoqués par les morceaux plus longs. Très réussi.

(Réjean Beaucage)

David Therrien Brongo: Confluence (Ravello Records)

(musique contemporaine)

C’est en mai 2023 que le percussionniste David Therrien Brongo a donné son récital de doctorat à l’École de musique Schulich. Il y interprétait Laisser surgir (2022) de Patrick Giguère et les Cinq chants pour percussion (1980) de Claude Vivier. Dans les deux cas, il s’agit d’œuvres pour instruments métalliques. Dans le cas de Giguère, divers gongs sont frappés en mode méditatif, sans rien appuyer, laissant les résonances s’entrecroiser. Chez Vivier, l’inspiration est balinaise, comme les instruments (le percussionniste a d’ailleurs acheté les instruments originaux à David Kent, qui a créé la pièce à Toronto en 1982). Au programme s’ajoute une pièce de Pierre Béluse, pionnier de la percussion dans notre pays. Sa pièce Espace (1988) explore également les couleurs changeantes du métal. Enfin, Trakadie (1970) pour percussions et sons fixés, de Micheline Coulombe Saint-Marcoux. C’est la première œuvre du genre écrite au Québec, et c’est aussi une grande réussite ; un univers sonore foisonnant.

(Réjean Beaucage)

Lina Allemano: Canons (Lumo Records)

(jazz contemporain, musique contemporaine)


Un seizième album pour la prolifique trompettiste canadienne, et sur sa propre étiquette, qui célèbre ses 20 ans. Entre composition et improvisation, Allemano déconstruit le concept du canon, en solo (superbe 3 Trumpet Canon), à deux, à trois ou à quatre. Certaines pièces incorporent l’électronique avec bonheur dans des structures qui peuvent devenir assez abstraites (voir les quatre pièces de son projet BLOOP, un duo avec le bidouilleur Mike Smith). On trouve la violoncelliste Peggy Lee sur Bobby’s Canon, un trio presque bucolique où la trompettiste rejoint également le clarinettiste Brodie West, un complice de longue date. Un programme varié, qui trouve un bel équilibre entre des plages d’exploration et des respirations mélodiques, comme dans Twinkle Tones, avec le guitariste Tim Posgate, le contrebassiste Rob Clutton et Ryan Driver au synthétiseur analogique. Finalement, ça peut servir de carte de visite et vous donner envie d’aller explorer son catalogue.

(Réjean Beaucage)

Peder Mannerfelt – The Benefits of Living in a Hole (Peder Mannerfelt Prod.)

(techno)

Le producteur le plus prolifique de la techno contemporaine sort -encore- un nouvel album sur le label londonien haut de gamme Voam. Peder Mannerfelt oscille sur des compositions où les sons sont déstructurés, décomposés, passés et repassés sous des filtres et autres effets, sans jamais perdre le fil de les associer à des rythmes rapides et syncopés. Les oreilles averties entendront parfaitement le travail en profondeur et la finesse aiguisée de chaque modulation sonore pour obtenir ces 4 titres exceptionnels. Des artistes comme Pariah, Blawan et Rhyw développent une approche intellectualisante de l’électro-techno pour la pousser au-delà de ses limites et la faire exceller en tant que musique de composition réfléchie et de qualité. Peder Mannerfelt et Voam sont des valeurs sûres !

(Salima Bouaraour)

Sami Galbi – Dakchi Hani (Les Disques Bongo Joe)
(Electro / Synth / Châabi / Raï)

Raï, chaâbi, électro bassy, synthétiseur analogique, touche de guitare sous effets et darija : le titre Dakchi Hani de Sami Galbi est un coup de cœur sans commune mesure. Inspiré par la musique populaire nord-africaine, cet artiste suisse-marocain module à l’envi un style percutant et efficace. En effet, son titre est accrocheur, frais, joyeux et festif. Et pourtant, il aborde un thème tragique : la rupture amoureuse. Entre la bass music britannique et le hip hop américain, son chant en dialecte arabe populaire réussit à remettre au goût du jour des styles de musique arabe traditionnelle comme le chaâbi des années 1940.

(Salima Bouaraour)

Faravaz – Mullah (Independent)
(pop iranienne, électro, hip-hop)

Woman. Life. Freedom. Femme. Vie. Liberté. De Téhéran à Berlin, Faravaz, artiste queer indépendante, féministe et activiste, met son art au service de la lutte contre l’oppression des femmes en Iran. Connue en Allemagne pour être plutôt une chanteuse de jazz club et une performeuse de théâtre, elle livre ici un titre electro clash. En moins de 3 minutes, Faravaz défie les mollahs, comme il a rarement été pensable de le faire. À travers son chanté phrasé, à mi-chemin entre le hip hop et la pop, elle scande des paroles ultra provocatrices pour défier plus que jamais cette autorité religieuse qui réprime le peuple iranien depuis des décennies. Son vidéo clip, exposant des corps queer, dénonce toutes les violences faites à ses pairs: l’oppression, la peine de mort, la misogynie et le contrôle absolu des corps ainsi que de la sexualité, tant dans la sphère privée que publique. La simplicité musicale est équilibrée par la force des images et les propos tenus: Mollah de Faravaz est un symbole extrêmement fort qui en fait un titre d’exception. Les paroles en anglais sont traduites à travers les sous-titres en farsi afin que le message circule parmi les principaux concernés.

(Salima Bouaraour)

Sho Madjozi – Chalé (Epic Records)
(South-African Rap, Afro-Electro)

Maya Christinah Xichavo Wegerif, connue sous le surnom de Sho Madjozi, est une artiste pluridisciplinaire au talent explosif ! Dans ses textes, chorégraphies et clips, elle met en avant la culture Tsonga, liée aux peuples situés entre le sud du Mozambique et le nord de l’Afrique du Sud.Son catalogue musical, riche et varié, ainsi que sa notoriété, lui permettent de tourner régulièrement en Afrique mais aussi en Europe ou en Amérique du Nord. Ici, elle fait rage avec son titre Chalé. Le producteur Tboy Daflame a concocté, une fois de plus (incroyable succès du titre John Cena en 2019), une bombe à succès. Une rythmique entraînante mêlant percussions sud-africaines et sonorités rondes électro-bassy où Sho Madjozi pose sa voix enivrante. Son flow, rapide et incisif, est tout simplement exceptionnel. Son style unique et son énergie pétillante font de Chalé un pur joyau.

(Salima Bouaraour)

Enes Cinpolat – Geliyo Geliyo
(électro / oriental, folk turc)

Geliyo Geliyo est un condensé parfaitement orchestré de folklore turc avec une touche électro synth orientalisante. Enes Cinpolat est, peut-être, un parfait inconnu pour le monde
occidental, mais une véritable égérie en Anatolie et ses environs. Il sillonne la Turquie pour performer dans des fêtes de village, des mariages, des repas de groupe etc. À l’instar du
fameux syrien, Omar Souleyman qui faisait de même, Enes Cinpolat voit son clip se propulser à presque 2 millions de vues en moins d’un mois!

(Salima Bouaraour)

Atsuko Chiba – Water It Feels Like It’s Growing (Mothland)

(avant-rock, krautrock, prog, expérimental)

Tout comme un voyage frénétique sous influences psychotropes, sur Water, It Feels Like It’s Growing, juste au moment où vous pensez comprendre la forme d’une chanson, elle se divise soudainement en un tourbillon bourdonnant et hypnotique. Atsuko Chiba offre un trille de guitare obsédant ou un éclat de synthé à mi-chemin d’un morceau comme Seeds avant d’éclater dans un interlude orchestral avec une section de violons et de violoncelles. Le troisième album complet du groupe montréalais de rock prog expérimental est une concoction d’ingrédients inattendus, révélant une nouvelle mélodie ou un rythme caché à chaque écoute. C’est un cercle vicieux qui offre peu de répit, mais Atsuko Chiba réussit à faire en sorte que l’assaut semble vivant et plein de possibilités.  

(Stephan Boissonneault)

TEKE::TEKE – Hagata (Kill Rock Stars)

(avant-rock, rock psychédélique, J-Pop, surf rock, expérimental)

L’hydre japonaise psych-rock à sept têtes de Montréal a reconquis son statut sonore unique avec Hagata. Le deuxième album contient des éléments de folk japonais, de surf rock brésilien et un tourbillon d’autres influences psychédéliques, entraînant l’auditeur dans une tempête chaotique. Il est impossible de parler des « meilleurs » moments de Hagata car il y en a tellement : les cuivres apaisants sur Onaji Heya, le duel de guitares rythmique acoustique et électrique sur Me No Haya, la nature fantasque de Doppelganger, les flûtes hypnotiques sur Yurei Zanmai (une chanson qui se transforme brièvement en l’un des morceaux les plus lourds que nous ayons entendus de toute l’année). Aucun autre groupe n’a le son de TEKE::TEKE, point barre.

(Stephan Boissonneault)

Yves Tumor – Praise a Lord Who Chews But Which Does Not Consume; (Or Simply, Hot Between Worlds) (Warp Records)

(post-punk, indie rock, shoegaze, électro)


La cadence brumeuse du chanteur Sean Bowie (Yves Tumor) est parfois un peu Bloc Party ou Gorillaz, mais c’est l’instrumentation changeante de Praise a Lord qui retient l’attention. Le son d’Yves Tumor est une masse mouvante, une étoile sombre qui s’effondre et qui saute des sons de lignes de basse proto-punk à l’univers hip hop actuel, en passant par l’univers obscur des guitares shoegaze aux tonalités mineures de My Bloody Valentine. Bien que les morceaux plus lents soient toujours bons et intéressants, ils baissent en intensité, mais peut-être à dessein, car il ne s’agit que de deux morceaux sur les 12. Et puis Ebony Eye éclate avec sa phrase d’orgue/synthé et son refrain disco orchestral sombre – facilement l’une des meilleures clôtures d’album que j’ai entendues de mémoire récente. Cet album sera difficile à suivre, mais je ne doute pas qu’Yves Tumor sera heureux de le faire.  

(Stephan Boissonneault)

John Cale – Mercy (Double Six)

(ambient, avant-pop, hip-hop, soul pop)

A 81 ans, John Cale est toujours capable de se surprendre et de surprendre ses auditeurs, et Mercy, son 17ème album, est peut-être l’un de ses albums les plus expérimentaux et hallucinogènes à ce jour. Personne ne s’attendait à un nouvel album de l’ancien du Velvet Underground, mais celui-ci tient toutes ses promesses. Il est tantôt chatoyant, tantôt mouillé de peinture aux teintes néon, tantôt une masse crépusculaire qui touche au rock gothique, au hip hop et à toutes les formes du mot « art ». Sur Mercy, John Cale, en tant que compositeur fou, collabore également avec certains des artistes les plus récents qui l’ont remercié pour leurs sons changeants : Sylvan Esso, Weyes Blood, Laurel Halo et Fat White Family. Comparé à la carrière de Cale et à d’autres albums d’artistes expérimentaux, Mercy continuera à briller comme une étoile lointaine. Espérons que ce ne soit pas son Blackstar, mais s’il décide de se retirer, Mercy serait un départ fantastique.

(Stephan Boissonneault)

Slowdive – everything is alive (Dead Oceans)

(shoegaze)

Bien que le groupe se soit séparé à deux reprises et qu’il ait pris beaucoup de temps entre chaque album, Slowdive sait exactement ce qu’il doit offrir à ses fans – un son shoegaze tentaculaire qu’il est en partie responsable d’avoir popularisé. Mais personne ne le fait vraiment aussi bien que Slowdive. Quand ils sont à fond, rien d’autre n’a d’importance. Les harmonies vocales entre Neil Halstead et Rachel Goswell sont nostalgiques et plus que magnifiques. Par moments, tout est vivant, sonne comme quelque chose de l’époque de Souvlaki ou Pygmalion du groupe, mais est si expansif et multicouche qu’il ressemble à un morceau de pure alchimie. Un pas en avant par rapport à l’album éponyme sorti il y a six ans, everything is alive est un pur feu expérimental qui a été heureusement enregistré.  

(Stephan Boissonneault)

Caroline Polachek – Desire, I Want To Turn Into You

(électro pop, avant-pop, indie pop)

Caroline Polachek est peut-être l’artiste pop la plus surprenante des dernières années. Son album Desire, I Want To Turn Into You a mis un peu de temps à s’ouvrir à moi. Lors de ma première écoute à sa sortie en février, je n’y ai pas vu ce que je souhaitais…mais je regardais mal. Quand j’y suis revenu, j’ai découvert mon album préféré de l’année. L’autrice-compositrice-interprète et productrice états-unienne manie la pop d’une manière calculée et résolument moderne. Avec une précision d’alchimiste, elle y instille couleurs, textures, goûts, odeurs et auras. Le rendu est une expérience sensorielle qui déborde de tous bords tous côtés. Chaque chanson est différente, un monde en soi avec ses images et ses symboles. Polachek avance dans un sillon de moins en moins niché de l’indie, et elle a tout d’une pop star: la voix, le mystère, la théâtralité, l’ambition… En plus d’avoir la poésie! C’est vibrant, c’est coloré, c’est régénérateur. Et ça regorge. Chaque fois que j’y retourne, je remarque, je découvre quelque chose. Ça vaut le coup.

(Théo Reinhardt)


Laurel Halo – Atlas (Awe)

(électro, ambient, jazz, expérimental, contemporain)

Laurel Anne Chartow, alias Laurel Halo, effectue un saut dans le vide avec cet album, et heureusement, elle atterrit en force. Il s’agit d’un assemblage de dix morceaux ambient complètement enveloppants, façonnés à partir d’éléments orchestraux et de manigances électroniques. Halo, multi-instrumentiste, fait équipe avec plusieurs invités pour créer quelque chose qui semble provenir des fonds marins. Atlas est un nuage mystifiant d’atmosphère, un océan merveilleux et magique qui nous convoque vers ses profondeurs révélatrices. Y sont combinées les vagues et courants de l’ambient, du minimalisme, du jazz, et du classique. Le résultat est une composition en apesanteur, d’une beauté délicate, ravissante. En écoutant, mon esprit est toujours mené vers l’image d’une méduse: la paix, l’aspect extraterrestre, le mouvement ondulatoire. Atlas est une composition qui respire à un rythme similaire. Un son opaque, enveloppant, mais détaillé jusque dans l’infime. C’est une nappe qui émerveille, qui s’adapte à la profondeur de notre écoute. Plongez-y!

(Théo Reinhardt)


OZmotic & Fennesz – Senzatempo (Touch Music)

(expérimental, contemporain, bruitisme, drone, ambient, électro)

Senzatempo voit le duo multidisciplinaire italien OZmotic se mêler à l’emblématique compositeur électronique et guitariste autrichien Christian Fennesz. Ensemble, ils cherchent à « donner une forme musicale à un calme surréel, mais aussi à des états émotionnels magmatiques et incertains ». Outre cet objectif assurément atteint, l’album possède une signature tout à fait singulière. De manière récurrente, un éboulement de hautes et basses fréquences, aux extrémités de notre gamme, passe sur le reste de la composition, comme une herbe roulante dans un western. Il s’installe par-dessus les océans sonores, les nuages aux bordures claires, et opère dans cette zone grise entre l’organique et le synthétique. Tout l’album, en fait, se déploie sur cette tension. Des élans de grichage, des bruits d’oiseaux, des vents chauds et des vagues se frottent un moment et s’harmonisent un autre. Pendant ce temps, nous rêvons, nous revenons, et nous rêvons encore, au milieu de ce paysage qui capte nos sensibilités, conscientes ou non.

(Théo Reinhardt)


Jessie Ware – That! Feels Good! (EMI)

(pop, soul/R&B, disco funk)

Jessie Ware est cette chanteuse R&B anglaise, apparue dans les années 2010 et devenue réelle pop star depuis son album de 2020 What’s Your Pleasure. Cette année, elle continue sa lancée pop centrée sur le plaisir et la libération avec That! Feels Good! Dansant, chantant et d’allure encore plus grande que l’album précédent, That! Feels Good!, comme le titre l’indique, est là pour vous faire du bien. J’ai un faible pour la pop bien réalisée, intelligente, et qui ne montre aucun signe de paresse. Pour ça, cet album frappe en plein dans le mille. Jessie Ware est à la tête d’une fête qui dure 40 minutes et où se mêlent extase, sensualité, émancipation et tendresse, et d’où on ne peut sortir sans être charmé. Cet album sait nous parler, et sait nous faire revenir. Pas surprenant qu’il se soit rendu dans la liste courte du prestigieux Mercury Prize.

(Théo Reinhardt)


Arielle Soucy – Il n’y a rien que je ne suis pas (Bonbonbon)

(keb franco, chanson, indie folk, indie pop)


La Montréalaise Arielle Soucy, autrice-compositrice-interprète émergente, n’a pas manqué son coup. Sur Il n’y a rien que je ne suis pas, elle nous ouvre les portes vers un sanctuaire folk légèrement fantasque, où le réel devient paradoxal. On y retrouve un mélange de sérieux et de merveilleux, un peu d’amitié dans une oreille et de l’amour dans l’autre. Le talent le plus impressionnant d’Arielle Soucy est probablement celui de si bien colorier en dépassant les lignes. Elle déniche des compositions nouvelles, chante des mélodies en escalier, écrit des phrases qui ne s’insèrent pas tout à fait dans leur case rythmique. L’effet est parfois étourdissant de magie. Les thèmes de l’album se penchent sur les contradictions de la réalité, sur les paradoxes de l’identité, et tentent de rendre grandes les petites choses. Entre les tuiles du plancher, les fleurs sur le chemin, le petit chat à nos pieds, les draps qui collent, cet album magnétique use de sa force et nous attire gentiment.

(Théo Reinhardt)

Corinne Bailey Rae – Black Rainbows (Thirty Tigers)

(avant-pop, jazz, soul/R&B)

Black Rainbows  marque une étape audacieuse pour cette autrice-compositrice-interprète britannique déjà accomplie. Au fond, il s’agit d’une œuvre tentaculaire d’art-pop rebelle, marquée par un savoir-faire diligent et un esprit aventureux. Rae assemble une courte-pointe de sons provenant d’un vaste paysage couvrant le rock, le jazz, la pop et différents styles électroniques. De chaque morceau se dégage un esprit rebelle tangible, défiant les normes et invitant les auditeurs à se joindre à Rae pour remettre en question l’ordre établi. Avec Black Rainbows, Rae semble adopter une méthode de travail qui rappelle celle d’artistes comme Björk et Thom Yorke, traitant le studio à la fois comme un instrument et comme une extension de sa propre voix. Si l’album ne présente pas d’éléments révolutionnaires, il exprime un sentiment de libération, profondément façonné par l’expérience vécue de Rae en tant que femme noire. Parfois, les comparaisons avec Thundercat et Flying Lotus semblent appropriées, tandis que d’autres moments évoquent des parallèles avec Joni Mitchell et Sonic Youth. Cette œuvre curieuse et magistrale devrait au moins vous titiller l’esprit.

(Varun Swarup)

Brad Mehldau – Your Mother Should Know (Nonesuch)

(jazz contemporain)

Brad Mehldau s’attaque ici au répertoire intemporel des Beatles,  Your Mother Should Know : Brad Mehldau Plays the Beatles. Grâce à son aisance musicale inégalée et à sa profonde maîtrise du piano, ce répertoire bien-aimé est traité par Mehldau, chaque tube des Beatles servant de base à des excursions qui font vibrer l’âme. Cet album témoigne de la maturité de Mehldau en tant que pianiste. Ce pianiste de jazz réputé et auréolé de prix, aujourd’hui âgé de 50 ans, aborde ici le répertoire avec la grâce d’un maître, en s’efforçant d’honorer le matériau d’origine tout en s’appropriant les chansons. Mehldau choisit une sélection variée dans le vaste répertoire des Beatles, bien qu’il semble manifester une inclination pour la plupart de leurs œuvres postérieures à l’ère Rubber Soul, et les imprègne de sa signature jazz, blues, gospel et saveurs baroques. Your Mother Should Know n’est pas seulement un témoignage du talent musical remarquable de Mehldau, mais aussi une célébration de l’héritage durable des Beatles. Il rappelle la profonde influence du groupe sur la musique populaire et met en évidence l’attrait durable de leurs chansons, tous genres et toutes générations confondus. L’interprétation de Mehldau insuffle une nouvelle vie à ces airs classiques, les rendant accessibles aux amateurs de jazz comme aux fans des Beatles.

(Varun Swarup)

Pedro Martins – Rádio Mistério (Heartcore)

(MPB, jazz, prog, psychédélique, avant-pop)

Avec Rádio Mistério, le virtuose brésilien augmente sa portée avec un recueil passionnant et personnel de chansons d’excellente facture jazz-pop-prog. Se penchant davantage sur le rôle d’auteur-compositeur-interprète, Martins parvient à un son qui lui est propre tout en rendant hommage aux influences rock et pop autant qu’aux maîtres du jazz du passé. Le spectre de Clube da Esquina plane dans le mélange d’harmonies jazz, de rythmes brésiliens et de mélodies beatlesques de Martins, bien qu’il soit maintenant imprégné de touches contemporaines de hip-hop, de jazz moderne, etc. Sa voix est chaleureuse et habitée, ce qui ajoute une touche intime et personnelle à la musique. Les paroles en portugais brésilien abordent les thèmes de l’introspection, de l’amour et des mystères de la vie. Les éléments de production sont en parfaite adéquation avec l’esthétique lo-fi des années 80. Les chansons couvrent également un vaste terrain, avec une liste d’écoute soigneusement sélectionnée qui s’enorgueillit de quelques excellentes performances d’invités. Il est clair que Martins a fait quelque chose de spécial ici, un travail qui est complexe mais accessible, il faut espérer qu’il continue dans cette direction.

(Varun Swarup)

Tristan Leslay – Nobody’s Might Ship (indépendant)
(avant-pop, jazz, psychédélique)

Nobody’s Might Ship est le premier album de ce jeune multi-instrumentiste hyper talentueux de Montréal. Soucieux d’entretenir la flamme du rock progressif à la Harmonium et à la Gentle Giant, Tristan a créé un document unique et fascinant qui regorge d’expérimentations en studio, d’accords non conventionnels, de signatures temporelles bizarres et d’harmonies vocales microtonales étendues à l’égal de Jacob Collier lui-même.Et pourtant, malgré ses nombreuses complexités, c’est finalement un voyage amusant à la découverte de soi, rempli de moments psychédéliques et d’une véritable virtuosité, Tristan utilisant sa guitare principale autant que sa propre voix. Cet enregistrement devrait vous laisser perplexe de la meilleure des façons, et au fur et à mesure des écoutes, les chansons commencent à prendre sens et à se déployer comme les pétales d’une fleur. Un début très prometteur pour ce jeune artiste qui a non seulement écrit et enregistré la plupart des morceaux lui-même, mais qui l’a également autoproduit. Alors faites-vous plaisir et montez à bord du Nobody’s Might Ship.

(Varun Swarup)

Oracle Sisters – Hydranism (22TWENTY)

(indie folk, indie pop, folk orchestral, psych folk, synthpop)

Le trio parisien composé de Lewis Lazar, Christopher Willatt et Julia Johansen produit un son indie folk teinté de sépia, à la fois nostalgique, fantaisiste, poignant et ludique. On pourrait tout aussi bien les appeler Wes Anderson- le groupe ! Il est certain que leur premier album,  Hydranism, donne l’impression de pénétrer dans l’un des paysages cinématographiques d’Anderson. Et la meilleure partie d’Oracle Sisters, c’est que la substance est là pour correspondre au style. Puisant dans le jazz des cafés des années 1950, le psychédélisme baroque des années 1960, les ballades folk des années 1970 et la synth-pop rêveuse des années 1980, leur musique incarne une riche intemporalité qui ne donne pas l’impression d’être stagnante. Leurs arrangements sont imprégnés de tons chauds et analogiques, au cœur desquels se trouvent des guitares acoustiques, une basse, un piano droit empoussiéré, une batterie au son sec et un magnétophone – ce qui confère une touche d’authenticité aux compositions. Il est agréable d’entendre chaque membre du groupe se partager les tâches vocales. Quant à Christopher, qui semble chanter la plupart du temps, il a une voix à la Dylan bien adaptée à ce style. Chacune des onze chansons coule de source, créant une narration homogène qui ressemble à une collection de mini vignettes musicales, chacune avec sa propre personnalité. Pour les fans d’Oracle Sisters, cette sortie était très attendue, et le groupe s’est montré à la hauteur avec assurance , légèreté et modestie.

(Varun Swarup)



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