Par les temps qui courent, être un artiste engagé aux États-Unis n’est certes pas une sinécure. Parlez-en au compositeur et beatmaker Damon Locks. L’automne dernier, alors qu’il enregistrait le deuxième album de son Black Monument Ensemble à Chicago, le pays était la proie d’une pandémie sans précédent et les tensions sociales mises à nues par le meurtre de George Floyd quelques mois plus tôt démontraient que la lutte pour les droits des Afro-Américains était loin d’être terminée. De plus, un président incendiaire flirtant avec une extrême-droite nauséabonde semblait prêt à toutes les bassesses afin d’être de nouveau porté au pouvoir. Ouf… Comment s’y prendre pour braquer son projecteur d’artiste militant vers toute cette noirceur tout en gardant foi en l’humanité? Comment réussir à être porteur de lumière alors que tout semble perdu?
Locks relève ce défi haut la main en conférant à sa musique une forme qui tient à la fois de ces deux pôles : le chaos et l’espoir. Les percussions jouées par Dana Hall et Arif Smith évoquent les ensembles brésiliens de batucada. Sur cette trame tumultueuse, Locks saupoudre divers échantillons sonores et des extraits narrés, choisis judicieusement. Le résultat rappelle les rythmiques implacables des représentants de l’âge d’or du hip-hop tel Public Enemy. Au-dessus de cette furieuse confusion s’élèvent les six voix de l’ensemble dont les chants d’inspiration soul et gospel ont de quoi redonner du cœur au ventre à celles et ceux que l’état actuel des choses peut démoraliser. Afin de bien ficeler des éléments pouvant sembler aussi disparates, Locks a fait appel à deux musiciens logeant, tout comme lui, à l’enseigne de l’excellent label International Anthem : la clarinettiste Angel Bat Dawid et le cornettiste Ben LaMar Gay qui ajoutent tous deux des touches de jazz bien sentis à l’ensemble. Le résultat final est percutant et pourrait servir de trame sonore aux prochaines manifestations de l’essentiel mouvement Black Lives Matter. En marche, compagnons!