Toute musique d’un Batman se doit d’être à la fois sombre, belle, épique, brutale et raffinée. Elle doit faire de la noirceur quelque chose de beau et de sublime, imprégné de toutes les contradictions du personnage. Il combat les ténèbres en équilibre au bord d’un gouffre et risque à chaque instant d’y basculer. Batman est un funambule sur une très étroite ligne entre le Bien et le Mal. Dans le monde des super-héros, Batman est probablement le seul avec une aura aussi imprégnée de tragédie grecque/shakespearienne. C’est ce déséquilibre, à bien des égards le même qui nous habite tous, du moins de temps en temps et dans certaines circonstances, qui nous fascine et nous attire chez lui.
La musique de Michael Giacchino (Spider Man : No Way Home, Star Trek, Mission Impossible : Ghost Protocol) est expertement moulée sur cette richesse psychologique. La simplicité tonale et rythmique du thème principal, fort et obsédant, répété tel un leitmotiv wagnérien (un jour il devra y avoir un opéra sur Batman!) côtoient dissonances contemporaines, glissandos félins de cordes mystérieuses (Catwoman n’est pas très loin!) et éclats grinçants utilisés avec économie pour plus d’effets. Quelques courts instants de romantisme mélodique apportent de bienvenus apaisements, comme la lumière tamisée d’un refuge en pleine nuit froide et pluvieuse (la presque totalité de l’atmosphère du film, préparez-vous). Un thème élégiaque joué aux cuivres et repris tutti de façon parcimonieuse (il n’en est que plus efficace!) confirme le potentiel de grandeur et de noblesse de ce personnage déchiré qui n’a pas encore, du moins dans cet opus 1 de ce qui s’annonce comme une série, trouvé la part de lumière à laquelle s’accrocher pour rester au-dessus du gouffre dont je parlais plus haut. Dans cet opus remarquable de Giacchino, il y a en condensé ce que Elfman et Zimmer firent pour la légende, avec un indéniable supplément d’âme.
Le film ne peut être comparé à la trilogie Nolanienne. Il est comme une version alternative du Batman, assurément plus noire, plus glauque, encore plus intense au plan psychologique. Une version parallèle tout aussi fascinante et absorbante pour le spectateur. La musique de Giacchino exprime tout cela, mais elle va plus loin grâce aux rayons d’espoir qu’elle insère dans la psyché et le subconscient du Chevalier noir. Grâce à elle, si le héros ne sait pas encore qu’il est destiné à s’élever, nous, spectateurs et auditeurs merveilleusement séduits, le savons déjà. C’est la preuve de l’incroyable force d’une bonne musique de film. En bonus sur l’album : une Sonata in Darkness, synthèse rachmaninovienne pour piano des points forts de la trame sonore. Wow.
Une réussite!