Je ne vois absolument pas ce qui aurait pu mal tourner avec un line-up musical qui se lit comme une liste de certains des meilleurs musiciens montréalais de jazz, aussi parmi les meilleurs en Amérique, rien de moins : Lex French à la trompette (déjà, on est dans les hautes sphères), puis François Bourassa au piano (ai-je besoin d’en ajouter?), Morgan Moore à la contrebasse (le rêve) et Jim Doxas à la batterie (je suis mort et rendu au paradis).
Intuition confirmée : tout va bien, et mieux encore. In the World’s First Summer est un hommage assumé au deuxième quintette de Miles Davis, en particulier celui de Miles Smiles. Même en quatuor, on ne perd rien de l’esprit du quintette de Miles. L’énergie incandescente des morceaux les plus alertes, ou la poésie introspective des quelques ballades (splendide version de Bye Bye Blackbird), y sont magnifiées, concentrées et même sublimées d’une façon que seul un ensemble d’exception peut le faire.
La structure discursive polyphonique et polyrythmique est impeccable, parfaite, et 100% cohérente dans sa fusion collective d’individualités pourtant laissées entières.
Rien n’est moins qu’excellent sur l’album, mais j’ai quand même été particulièrement happé par quelques titres : Lullaby (Nana) de Manuel de Falla, dont la minutieuse construction transforme le thème enjôleur en sommet d’intensité extatique au son d’une trompette habitée, hallucinée, déchargeant son ivresse sur une pulsation inébranlable du piano, comme une marche hypnotique à l’échafaud, accompagnée par la section rythmique. Très puissant.
Que dire de Huancavelica, une compo originale où la batterie de Doxas apparaît tel un torero dansant et s’amusant avec l’animal à pistons de French. Le piano de Bourassa et la contrebasse de Moore, tels les »peones » de la corrida, participent à la chorégraphie qui se termine comme vous le voudrez bien (le taureau est-il sauf? Le torero a-t-il gagné?). Et puis, clou du programme, comme une bourrasque qui emporte tout sur son passage, une version incendiaire, et qui fera date, du traditionnel V’là l’bon vent. Dans une frénésie qui effleure le free jazz et qui manque de basculer dans l’anarchie à chaque seconde, le contrôle est néanmoins maintenu à bout de souffle par une cohésion d’ensemble qui force l’admiration. Le thème bien connu apparaît ici et là, comme un hymne sacré qui sert de bouée rassurante. Je dis rassurante mais, en vérité, le tourbillon de houle et d’embruns déchaînés est irrésistible. On s’y abandonne extatiquement au risque de s’y noyer. My God, un vrai chef-d’œuvre!
Oserais-je dire que ce quatuor est l’un des meilleurs (dans une liste très très réduite) actuellement en activité dans le monde du jazz nord-américain? Je pense que oui…
In the World’s First Summer est probablement l’album de l’année en jazz. À ne rater sous aucun prétexte.
Le quatuor de Lex French sera au Upstairs le 17 janvier 2025 pour jouer le répertoire de l’album. Retenez déjà la date.