Pourquoi aimons-nous tant les séries policières sinon pour cette sensation de danger, de menace qui plane et la tension qui en résulte. C’est sans doute pour cette même impression de danger, que tout peut arriver, les plus âpres débordements comme la douceur et la tendresse les plus chavirantes, que j’apprécie le free jazz. Pour cette intensité serrée comme un poing, cette rage rentrée prête à éclater à tout moment, pour cette tension qui maintient les musiciens sur la brêche. Et lorsque cette violence s’épanche, c’est autant son déclenchement que le relâchement de la tension qui rend le tout si jubilatoire, avec quelque chose de libérateur en plus.
Il y a un peu de cette mécanique qui entre en jeu dans le splendide second album du sextet de la Suédoise Anna Högberg. Dommage que la saxo ténor Malin Wättring ait quitté la formation depuis le lancement du premier en 2016, cette dernière était alors entièrement féminine, ce qui lui donnait un tranchant tout particulier. Mais avec l’arrivée du trompettiste, Niklas Barnö, qui a notamment fait partie du Fire! Orchestra de Mats Gustaffson, auquel madame Högberg a également participé, le sextet y a gagné au change, et a élargi sa palette.
L’entrée de jeu est un brin brutale : un furieuse salve de saxo alto de la leader nous accueille, suivie par une fanfare chaotique à souhait et ça se termine sur un thème rappelant Albert Ayler. Tjuv, la plus longue pièce dont le thème rappelle Mingus, permet au band de célébrer autant ses racines que les personnalités distinctes qui le composent et les cuivres qui rugissent ont du soul à revendre. Dans les passages les plus free, on sent une pureté, une profondeur, une fougue drôlement habitées, au point qu’on se dit que c’est quand même étonnant que des Blancs – des Scandinaves par-dessus le marché! – arrivent à si bien perpétuer ce legs pourtant bien black.
Et quand la dernière pièce prend fin, on a vite envie de recommencer. Attention! exerce un pouvoir grisant qui peut créer une dépendance.