Dans notre critique de l’excellent A Separation of Being de JOYFULTALK, nous faisions référence à la passion de l’artiste canadien Jay Crocker – le cerveau derrière ce projet musical – pour le bricolage. Deux ans plus tard, Crocker nous revient avec Familiar Science et fait toujours usage de ses talents créatifs en rafistolant, cette fois-ci, les morceaux épars d’une musique qu’il a pris plaisir à déconstruire pendant son confinement pandémique : le jazz. Ce rabibochage de pistes préenregistrées par des jazzmen en action, Makaya McCraven en a récemment fait sa spécialité et a été proclamé sauveur de la note bleue par quelques observateurs. Des décennies plus tôt, Miles Davis et le réalisateur Teo Macero jetaient cependant les bases de cette approche avec les chefs-d’œuvre du genre qu’étaient In a Silent Way, Bitches Brew et On the Corner. Crocker nous livre maintenant sa version très personnelle de ce travail de reconstruction jazzistique.
Pour ce faire, l’artiste résidant depuis quelque temps en Nouvelle-Écosse est allé piger dans ses souvenirs et dans de vieux enregistrements qu’il avait lui-même réalisés alors qu’il jouait avec des musiciens jazz en Alberta. Les collages sonores qu’il a conçus ont des couleurs qui évoquent le jazz m-Base des années quatre-vingt, ainsi que les albums de la période funk d’Ornette Coleman tels Body Meta ou In All Languages. Toutefois, les choses ne s’arrêtent pas là puisque Crocker est un iconoclaste qui aime à s’aventurer en terrain musical inconnu, un guide un brin fêlé qui nous amène dans un tour du monde surréaliste, nous promenant des rives du Gange aux plaines de l’Afrique, comme sur la ravissante Blissed for a Minute, pendant laquelle une flûte guillerette serpente au son de percussions qu’on croirait issues des savanes.
L’atmosphère peut également changer du tout au tout sans prévenir sur Familiar Science. Alors que la somptueuse Ballad in 9 – un des moments forts du disque – rappelle les paradis de soie que peuvent tisser Thundercat et Flying Lotus, le rêve vire au cauchemar quelques minutes plus tard avec Hagiography et sa cacophonie oppressante dominée par le saxophone délirant du regretté Dan Meichel, ancien compagnon de scène de Crocker. Le passé jazz de ce dernier est d’ailleurs un des éléments clés de cet album puisque sa guitare a été mise à contribution, ce qui n’était pas arrivé depuis plusieurs années. Cela nous permet de prendre conscience du fait que notre bricoleur aux multiples facettes est également un guitariste jazz étonnamment doué. Décidément, nous ne sommes pas à bout de nos surprises avec cet artiste inclassable.