La période de confinement imposée par la pandémie liée au coronavirus a été, pour plusieurs, un moment difficile mais propice à la réflexion et aux remises en question. Le pianiste jazz américain Gerald Clayton ne fait pas exception et Bells on Sand – son deuxième album en tant que leader pour Blue Note – est le fruit de profondes cogitations. En fait, ce disque se situe aux antipodes du sémillant Happening : Live at the Village Vanguard, que la célèbre étiquette publiait en 2020. Bells on Sands est une méditation sur le temps qui passe, sur les générations d’êtres humains qui se succèdent et ce que chacune d’entre elles lègue à la suivante.
Afin d’esquisser des réponses musicales à ces questions, Clayton a fait appel à des musiciens particulièrement significatifs pour lui. Tout d’abord, il a convoqué son paternel, John Clayton, contrebassiste réputé dans la communauté jazz. Il s’est aussi tourné vers une autre figure qui a été essentielle dans son développement artistique : l’immense ténorman Charles Lloyd, un mentor qu’il accompagne depuis une dizaine d’années. Derrière les tambours, on retrouve son vieux copain Justin Brown qui appartient à la même génération que lui. Puis, il s’est tourné vers la relève en requérant les services de la jeune chanteuse portugaise MARO, une artiste qui le fascine depuis qu’il a entendu son chant suave et émouvant.
Avec, entre les mains, un ensemble multigénérationnel aussi chevronné, le créateur nous a concocté un disque de jazz de chambre dont la splendeur apaise l’âme. Comme d’autres pianistes jazz avant lui – on pense à McCoy Tyner et Herbie Hancock –, Clayton s’est abreuvé à la musique des compositeurs dits classiques. C’est d’ailleurs sur ce terrain qu’on le retrouve dès la splendide Water’s Edge, première pièce au programme, grâce à son jeu impressionniste, à la grâce émanant des cordes de contrebasse que son père frotte avec un archet et au travail remarquable de Brown aux cymbales. Suivent deux fort belles interprétations d’œuvres du compositeur catalan Federico Mompou, qui continuent cette entrée en matière d’inspiration plus européenne. Ce n’est qu’au quatrième morceau que Clayton, seul au piano, retourne à ses racines jazz avec une des deux relectures qu’il propose du standard My Ideal.
Se succèdent par la suite une série de joyaux exécutés en solo, en duo ou en trio. Parmi toutes ces perles, celle qui brille avec le plus d’intensité est sans contredit la coltranienne Peace Invocation, rencontre au sommet entre le piano du leader et le saxophone de ce vieux maître toujours allumé qu’est Charles Lloyd. Il s’en dégage un calme apaisant qui, grâce à la profondeur du propos, élève cette musique bien au-delà des pâquerettes d’un jazz qui ne serait que bêtement décoratif. Gerald Clayton vient de signer-là un bien beau disque de jazz spirituel.