Les gens équilibrés nous ennuient, voilà la meilleure réplique que peuvent servir aux humains dits normaux tous les écorchés psychologiques de l’humanité. Tant bien que mal, ils se bricolent un monde parallèle pour ainsi survivre à ce qu’ils ressentent en permanence dans le monde réel. Voilà, du moins on l’imagine, le parcours de Fiona Apple, cas patent de déséquilibre existentiel et… de grande maîtrise acquise à travers l’art chansonnier. Comme l’indique son titre, Fetch the Bolt Cutters déboulonne et déjante. Tous les nœuds de l’âme sont exhibés sur l’étal de l’artiste, les sentiments profonds sont remodelés, astiqués, polis, transmutés en objets de beauté. Les enjeux criants de l’amour, du désir, de la perte, du conflit interpersonnel, de la solidarité intime, de la rage de vivre, de la fuite au féminin sont autant de thèmes ici déclinés sur treize chansons exceptionnelles. Les musiques ont été composées au piano, autour duquel Fiona Apple a juxtaposé un superbe embrouillamini de percussions, contrebasse, guitare et plus encore. Sur cette instrumentation acoustique bouillonne un torrent de bruits organisés, très majoritairement enregistrés dans l’environnement, rarement synthétiques. À la fois hirsutes et cohérents, souvent le fruit de l’improvisation libre, les ornements vocaux de l’interprète s’avèrent audacieux, profondément contemporains, hautement imaginatifs, aux antipodes de l’autocensure. En un quart de siècle, l’Américaine n’a pas dit beaucoup, fort probable qu’elle ne pouvait faire guère mieux, la vie lui étant trop lourde pour maintenir l’intensité nécessaire à la productivité créatrice. Heureusement pour ses fans et pour le monde de la chanson anglo-américaine en général, elle rentre parfois à l’atelier, y cisèle un collier de pierres précieuses pour ensuite nous le balancer à la figure. Huit ans après The Idler Wheel…, album au titre interminable que d’aucuns renoncent à recopier dans son intégralité, voilà donc la cinquième illustration de ses potentialités, de sa grâce, de ses états sismiques, de son pouvoir dévastateur.
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