Suivre les aventures sur disques de Josh Tillman a quelque chose de fascinant. Surtout depuis qu’il a cessé d’endisquer sous son nom et qu’il a créé son double plus grand que nature : l’arrogant Father John Misty. Cet ancien batteur des Fleet Foxes mettait alors au rancart l’indie folk tristounet de ses premières offrandes pour commencer à nous cuisiner de vitrioliques galettes de pop baroque ancrées dans le soft-rock des années soixante-dix. La dernière fois que nous avions eu de ses nouvelles, c’était à la parution de God’s Favorite Customer en 2018. Avec cet album intimiste créé alors que sa vie amoureuse battait de l’aile, Tillman laissait tomber le masque et mettait son cœur brisé à nu.
Qu’en est-il quatre ans plus tard? Eh bien, comme s’il voulait prendre le contrepied de son opus précédent, notre homme a cessé de se mettre en scène dans ses textes. Il a plutôt choisi de nous présenter des personnages fictifs, principalement des femmes, de nous raconter leurs amours, leurs heures de gloire et leur déchéance. Que ses fans qui appréciaient sa plume trempée dans la soude caustique se rassurent : même si le discours de l’auteur donne moins ouvertement dans la critique sociale que sur le très politisé Pure Comedy (2017), cette dimension de son travail est toujours présente, mais en filigrane. À cet égard, Tillman rejoint son modèle, Leonard Cohen, qui savait manier l’ironie comme pas un afin de nous faire voir toute la beauté, mais aussi toute la laideur, du monde dans lequel nous vivons.
C’est aussi du point de vue musical qu’il y a rupture entre Chloë and the Next 20th Century et l’album qui le précède dans la discographie de Father John Misty. En effet, la dimension soft-rock en a presque totalement été évacuée. Comme le titre du disque l’indique, son créateur a allègrement pigé dans tout ce que le siècle dernier a pu proposer comme formes de musique populaire. On y croise de la bossa-nova, du folk vintage (beau clin d’œil à Harry Nilsson), de la pop baroque enluminée au clavecin, de la ballade country et surtout de la chanson jazzy telle que celle qui a bercé l’âge d’or de Broadway et de Hollywood. Ce style sied à merveille au regard cynique de Tillman, qui s’est toujours fait un devoir de critiquer la société du spectacle made in USA.
Épaulé par de fidèles partenaires, soit Jonathan Wilson à la réalisation et Drew Erickson aux superbes arrangements (un travail d’orfèvre!), Josh Tillman démontre qu’il est un auteur-compositeur-interprète qui évolue dans une classe à part. Plus que n’importe quel autre de ses disques, Chloë and the Next 20th Century est une œuvre qu’on ne peut rattacher à quoi que ce soit de ce qui est en vogue en ce moment. Cet artiste volontairement polarisant depuis qu’il publie sous la bannière Father John Misty ne fera – une fois de plus – pas l’unanimité, mais on ne peut que s’incliner devant tant de talent et d’intelligence.