En un siècle éminemment masculiniste, la réussite professionnelle et personnelle d’Élisabeth Jacquet de La Guerre, par ailleurs admirée et protégée de Louis XIV, est un exploit qu’il ne faut pas oublier. Un talent hors norme, une sorte de Mozart avant l’heure, féminin de surcroît, que l’on ne cesse de redécouvrir. L’ensemble Amarillis sous la direction de Héloïse Gaillard lui rend pleinement justice avec ces lectures vivantes et passionnantes de deux cantates et de deux pièces instrumentales.
Première femme à faire représenter une tragédie en musique à l’Académie royale en 1694, Élisabeth Jacquet de La Guerre composera beaucoup pour le clavecin (son instrument privilégié), mais fera également des incursions dans la musique pour petites formations ainsi que dans le domaine de la cantate. C’est sur la base du style des ‘’Goûts réunis’’ de François Couperin (mélange assumé, parfois mal vu, des styles français et italien de l’époque) qu’elle exercera ses talents en musique dramatique.
Il n’est pas anodin que les deux cantates mises au programme ici présentent deux personnages féminins forts. Judith relate l’épisode de la Bible où la jeune veuve, pour défendre sa ville, Béthulie, contre l’armée d’Holopherne, décide de se rendre chez ce dernier afin de le tuer pour délivrer son peuple, auquel elle présente triomphalement la tête du tyran. Un épisode qui inspiré nombre d’artistes. Le meurtre sanglant d’Holopherne et la tentation charnelle grâce à laquelle Judith enfirouapa le méchant du récit est élégamment traduire en musique, bien que dans toutes sortes de petites subtilités on puisse ressentir l’intensité des moments mis en scène par la partition.
Sémélé est quant à elle une figure tirée de la mythologie grecque. En relation avec le dieu Jupiter, Sémélé lui demande de se présenter à elle dans toute sa réelle splendeur divine, et non dans un déguisement humain. Jupiter l’avertit qu’aucun mortel ne peut survivre à ce genre de vision, mais devant l’insistance de la belle, ce dernier accède à la demande et Sémélé et, tel que prévu, celle-ci meurt sur le champ, foudroyée par la lumière divine. Tu le voulais? Tu l’as eu! Jacquet de La Guerre ose quelque fatras instrumental, avant-gardiste pour l’époque, pour décrire la scène. Audacieuse, certes, mais la compositrice savait y faire et surtout intégrer ses audaces dans un canevas tempéré qui a réussi à étonner les auditeurs de l’époque (dont le roi Louis XIV) sans les effrayer ou les choquer. Jacquet de La Guerre était non seulement talentueuse mais aussi remarquablement habile et ‘’diplomate’’ dans l’utilisation de son vaste et bouillonnant talent. Dans un siècle où il n’était pas possible de vivre de sa plume musicale sans l’assentiment d’un bienfaiteur, il fallait jouer de prudence. L’avantage avec cette géniale compositrice, c’est que cette retenue imposée ne s’est pas muée en paresse conformiste. Juste en éclats bien encadrés.
Jacquet de La Guerre a écrit au moins une douzaine de cantates dans le genre. Svp, donnez nous-en plus!