Avec Harbour, Christine Jensen réunit pour un troisième album de compos pour son big band ses meilleurs amis et membres de la famille, montréalais et new yorkais. Après Treelines (2010) et Habitat (2013), Jensen continue son exploration des possibilités du grand orchestre de jazz, qu’elle maîtrise de mieux en mieux et pour lequel elle est en train de créer un corpus de calibre éminemment pérenne et international. Il y a bien entendu la maturité qui fait son effet. On entend la Montréalaise convoquer les multiples influences qui la guident, mais les marier, les entrelacer et les bonifier de ses propres inspirations afin d’obtenir un résultat foisonnant de dynamisme et de textures. La personnalité de Jensen se retrouve dans une sorte d’optimisme et de fluidité aisée qui traverse tout l’album, contrairement à d’autres ‘’modernes’’ qui laissent certains stéréotypes de modernité envahir leur démarche (grincements, cynisme, noirceur émotionnelle, sonorités abruptes et anguleuses). La musique de Jensen n’est jamais simple, mais elle est continuellement facile à aimer. C’est un merveilleux sentiment de confiance en la beauté du monde qui nous embrasse tout du long de l’écoute de Harbour, malgré les exigences attentives requises par son écriture.
Toutes ces constructions raffinées et complexes se déploient dans de grandes et belles lignes mélodico-harmoniques, et dans ces trames riches percolent des éléments savants comme quelques passages atonaux/impressionnistes magnifiquement colorés (Cascadian Fragments). Ailleurs (Swirlaround), Jensen fait plus rock, avec un beat lourd qui soutient de très beaux chorus de cuivres, un monologue de guitare électrique (excellent Steve Raegele) ou quelques jolies gouttelettes de piano (Gary Versace). Soeurette Ingrid apporte aussi quelques magnifiques épisodes de trompette, mais également d’électro suffisamment présente pour titiller gentiment l’oreille, et suffisamment discrète pour ne pas dénaturer la démarche essentielle du projet, celle d’un big band enraciné dans la tradition du genre. Oui, tout cela existait déjà dans les albums précédents. Mais on sent ici que la finition du produit, l’élégance et la cohérence des constructions, l’assurance de la direction artistique totale, l’organicité parfaitement intégrée de tous les détails, tout cela, donc, est porté à un niveau de maîtrise inégalé.
Treelines et Habitat étaient excellents. Harbour est tout simplement magistral.