Ceux qui connaissent déjà la musique de Weinberg vivent des années fastes et heureuses car les arrivages de nouveaux enregistrements de son très vaste catalogue se multiplient comme chanterelles au début de l’automne.
Cet égal et presque jumeau musical de Chostakovitch, longtemps resté dans l’ombre de son plus illustre compatriote, prend de plus en plus son envol et affirme son autonomie dans le plus large public, et ce avec raison. La musique de ce Polonais de naissance mais devenu soviétique après l’invasion nazie de son pays en 1939, est émotivement viscérale, musicalement loquace et discursivement très communicative, même si elle est souvent sombre. Comme celle de Chostakovitch, elle est le témoin direct de l’ère soviétique et de ses écartèlements socio-culturels et artistiques. Elle se veut à la fois savante et populaire, mais échoue plus souvent qu’autrement au devoir d’optimisme qui lui était dicté, transformant ce dernier en sarcasme incisif mais totalement lucide à propos de la société russe de son époque, soit le 20e siècle.
Mieczyslaw Weinberg a écrit 17 quatuors à cordes (en plus de 22 symphonies, des concertos, 7 opéras, des dizaines de pièces de musique de chambre, 65 trames sonores de films, et j’en passe – 500 œuvres au total!), et cet album du quatuor Arcadia est le deuxième d’une intégrale projetée de ce corpus. Les trois opus présentés offrent un regard panoramique de la carrière du compositeur.
Le premier (l’opus 2, donc une oeuvre de jeunesse adolescente mais révisé une quarantaine d’années plus tard) est exceptionnel en ce sens que, bien qu’il soit en partie encore ancré dans le modernisme atonal schoenbergien, il laisse voir, particulièrement dans le 3e et dernier mouvement, toute la personnalité à venir de l’artiste. Les deux premiers mouvements sont faits de lignes sombres et soutenues, entre lesquelles apparaissent ici et là, furtivement, quelques échos futurs de l’énergie pulsative qui sera typique de son style mature. Celle-ci éclate de façon on ne peut plus explicite dans le mouvement ultime, qui transporte l’auditeur dans un monde urgent, nerveux et bien plus direct et populaire (quoique férocement grinçant) que l’univers cérébral de la Seconde école de Vienne (Schoenberg, Webern).
Le quatuor no 7 (opus 59) est le plus émotivement incandescent des trois de l’album. On y trouve une force sensorielle et atmosphérique puissante, soutenue par deux impressionnants adagios encadrant un allegretto pudique et réservé. Le contraste favorise l’impression d’ardeur passionnelle des adagios.
Le quatuor no 11 (opus 89) est tout à fait différent : actif, fébrile, léger, ses textures sont épurées et le mouvement final se termine sur un pas sautillant qui s’éteint soudainement, comme inachevé. Curieux et fascinant.
Le premier numéro de cette intégrale était une grande réussite. Celui-ci l’est tout autant. On ne peut qu’être impatient d’attendre les prochains volumes.