Captivante. C’est ainsi que je résumerais la musique de la compositrice Apolline Jesupret, l’une des voix les plus intéressantes de la jeune génération musicale européenne (elle est Belge). Jesupret est bien de son temps : elle construit des panoramas sonores avec des formes et des consonances tangibles, conçues avec une attention renouvelée pour un discours accessible et une prose dramatique compréhensible, tout en prenant soin d’intégrer dans ce cadre solide des fioritures héritées de la conception abstraite de l’avant-garde contemporaine de la seconde moitié du 20e siècle. La structure tonale chromatique est utilisée comme tremplin pour créer des tableaux d’une luminosité optimiste, mais souvent traversés de fluctuations chatoyantes. Les rythmes sont positifs et tendent vers la pulsation. Jesupret est ainsi une enfant du spectralisme français et du minimalisme états-unien (on pense à Michael Torke).
Elle franchit aussi les limites longtemps imposées par la dictature musicale rigoureuse de l’après-guerre (la Seconde Guerre mondiale, les enfants !). Les jingles de McDonald’s, Coca-Cola et Google sont convoqués avec une délicieuse ironie dans OK Gaïa, un jeu de mots avec « OK Google » qui nous rappelle que nous demandons de plus en plus à notre planète… Également : une réinterprétation décalée de la Valse à mille temps de Brel, où les musiciens accompagnateurs accélèrent diaboliquement tandis que la chanteuse (Sonia Lardy, soprano) reste à peu près stable. Une métaphore réussie de nos vies, dans lesquelles nous finissons parfois par nous sentir totalement dépassés par les événements, ou même par le rythme accéléré des nouvelles inventions censées nous faciliter la vie. La suite Efflorescence, six miniatures pour guitare, percussion et piano, nous invite à plonger dans un agréable jardin personnel, où six fleurs emblématiques (Ancolie, Glycine, Hellébore, Pivoine, Jasmin et Hibiscus) s’épanouissent au son d’interprètes aussi précis que sensibles. Et sous Mossoul est logiquement plus tourmenté, nous ramenant à la guerre en Irak, mais parvient à exprimer beaucoup d’humanité grâce au poème de Siham Djabbar, chanté en allemand. L’instrument de Jesupret, le piano, est bien servi par deux magnifiques partitions : Lueurs immergées (quel beau titre) pour piano seul et le concerto A Butterfly’s Dream, inspiré de la philosophie chinoise ancienne. Deux créations empreintes d’une magie envoûtante, de couleurs et de textures fantastiques.
Des performances remarquables des artistes et des ensembles impliqués : Nouvelles Musiques sous la direction de Jean-Paul Dessy, l’Ensemble Hopper sous la direction de François Deppe, la soprano Sonia Lardy et Apolline Jesupret elle-même au piano. Un album qui pose un nouveau jalon encourageant pour la musique belge contemporaine.