J’ai déjà dit ailleurs sur ce site tout le bien que je pense de la musique d’Apolline Jesupret (lisez mon commentaire sur un album de Jesupret, un TOP 2024). Je réitère mon enthousiasme ici en vous parlant de ce nouvel album, Bleu ardent, qui présente des œuvres pour grand orchestre ainsi que pour piano et violon solo. C’est rare qu’un.e compositeur.trice aussi jeune reçoive la confiance de deux enregistrements de haut niveau dans un délai de moins d’une année. La preuve que Jesupret est réellement une voix qui porte et que le public souhaite entendre (message aux orchestres montréalais, OSM et OM : écoutez ça et amenez-nous sa musique, voire elle avec, à la Maison symphonique!).
Deux œuvres pour orchestre ouvrent et ferment l’album, dont une concertante, Ardeurs intimes, un concerto pour violon et cordes dans lequel la tonalité centrale généralement respectée est néanmoins parcourue de glissandi microtonaux qui contribuent bellement à l’atmosphère scintillante de la musique. Interprétation vibrante de la soliste Maya Levy et de l’ensemble Musiques Nouvelle dirigé par Jean-Paul Dessy. Voici une œuvre miroitante qui séduit et stimule l’esprit. Le tableau symphonique intitulé Bleue me rappelle l’esthétique états-unienne d’un Michael Torke, qui a également tenté de canaliser la synesthésie entre les couleurs visibles et sonores avec des pièces comme Ecstatic Orange et Bright Blue Music. Comme Torke, Jesupret utilise l’orchestre de manière très agréablement cinématographique, ancré dans une tonalité solide sur laquelle elle applique toute une panoplie de coloris et d’effets inspirés de l’impressionnisme, du spectralisme et du néo-romantisme. L’effet est spectaculaire, somptueux et lumineux, et porté par un orchestre (l’Orchestra national belge dirigé par Jac Van Steen) qui luit avec splendeur.
Deux pièces de chambre assurent l’intérim entre les deux œuvres orchestrales, une pour violon et une autre pour piano.
Dans l’air du soir, pour violon solo, est un clin d’œil super efficace au fameux prélude de Debussy Les sons et les parfums tournent dans l’air du soir. Prenant aux mots son illustre prédécesseur, la compositrice belge imagine des parfums précis et leur donne vie avec une très grande finesse et surtout une belle justesse de tempérament. Dans l’air du soir est donc une suite de sept mouvements très courts décrivant autant de parfums évocateurs : Tendre vanille, Conifère gelé, Poivre rose, Vapeurs d’iode, Ardbeg, Menthe poivrée, Encens de lumière. Imaginez des textures appropriées se mariant avec les bouquets olfactifs cités, et c’est probablement ce que vous ressentirez en écoutant la musique de Jesupret. Un autre bel exercice de synesthésie qui fonctionne au-delà de tout autre qu’il m’a été donné d’entendre jusqu’à date.
Suit un diptyque pour piano, tout aussi suggestif, dont les deux parties s’intitulent De Glace et De Lave. De grands élans ondoyants entrecoupés de pointillements délicats construisent des panoramas texturaux séduisants. Dans la mémoire, s’impriment alors les souvenirs d’un voyage imaginaire sensible et emballant.
Apolline Jesupret possède le rare talent de transformer les sons en poésie visuelle, sensorielle et même spirituelle, sans jamais oublier de rendre l’expérience musicale à la fois nourrissante, exigeante et purement délicieuse.