Sur In Blue, le pianiste Andrew Armstrong nous invite à considérer la ‘’note bleue’’ non pas comme un concept exclusivement harmonique, ni réservé au seul jazz, mais plutôt comme une référence à des impressions plus ou moins fugaces, teintées de mélancolie, de nostalgie ou parfois même d’agitation. C’est ainsi que son très beau programme enregistré sous étiquette Rubicon nous invite au voyage, à travers les évocations personnelles de compositeurs comme Aaron Jay Kernis, George Gershwin, Julia Perry, William Grant Still et lui-même.
Before Sleep and Dreams de Kernis est une merveilleuse découverte. Dans un langage beaucoup plus sophistiqué et envoûtant que celui du néoclassicisme contemporain (Einaudi, Streliski, etc.) Kernis évoque l’heure magique du bordage des petits enfants, un lieu temporel d’une grande intimité et qui tisse des liens pouvant durer toute une vie. Un moment précieux et indispensable entre le parent et l’enfant. En cinq mouvements, Before Sleep and Dreams tisse une toile onirique faite de tendresse, de sourires bienveillants enveloppés de mélancolie. Tous les parents dignent de ce nom partageront totalement les sentiments exprimés dans cette très belle suite.
She Fell for a Flyfisher, une compo d’Armstrong, entrelace des passages suggestifs d’un scénario inventé (celui d’un pêcheur sur les côtes de l’Alaska) avec quelques dessins impressionnistes d’intériorité émotionnelle. Rien de nouveau sous le soleil, mais ça demeure fort agréable.
Un Prélude miniature de moins de deux minutes de Julia Perry prend racine dans le Sud étatsunien alors que les Three Visions de William Grant Still (un compositeur encore bien trop peu joué) réussissent à créer un canevas de lumière ‘’entre chien et loup’’ chamoiré très debussyste. Summerland et Radiant Pinnacle sont particulièrement mémorables.
Les Trois Préludes de Gershwin, ainsi que la Rhapsody in Blue (le 12 février 2024 sera le centenaire de la pièce) étaient presque incontournables pour ce type de programme. Armstrong en possède efficacement les codes et les inflexions, entre jazz, romantisme et impressionnisme.