Lorsque débute An Echo, chanson qui ouvre l’album A Little Death, le rythme traînant, les notes de guitare égrenées et la voix à la fois souveraine et délicate de Samantha Crain évoquent Pauline Julien interprétant Suzanne. La narratrice nous ramène vite du Montréal de 1967 à l’Oklahoma d’aujourd’hui. Elle croit que Héra, fille de Cronos et sœur-femme de Zeus, jalouse et rancunière, lui a jeté un sort tandis qu’elle roule vers Topeka où est emprisonnée sa mère. Nous voilà au cœur du sixième album de la talentueuse Samantha Crain, son septième si l’on comptabilise le microalbum The Confiscation, lancé en 2007.
On a beau jouir de l’estime de ses collègues, des critiques et d’une foule de musicophiles, cela ne nous protège en rien des aléas de l’existence. Durant l’été 2017, alors que l’usage des mains de Samantha Crain était déjà mis à mal par le syndrome du tunnel carpien, une suite malencontreuse d’accidents vint aggraver cette maladie. Les conséquences furent dévastatrices pour l’auteure-compositrice-interprète. Puisque les maux physiologiques influent souvent sur la santé psychique, ce fut pour elle une petite mort, d’où le titre de l’album. À force d’exercices et grâce à son réseau de soutien de Norman, en Oklahoma, Samantha put lentement se remettre à la guitare – en se servant davantage d’accords ouverts –, à la composition et à l’écriture.
À tel point qu’aujourd’hui, elle nous présente un album dont les pièces ont été créées en trois mois, à sa table de cuisine. L’enregistrement eut lieu au studio Lunar Manor d’Oklahoma City au printemps de 2019. Un aréopage d’instrumentistes lui a prêté main forte, à coups subtils de saxo, de clarinette, de trompette, d’accordéon, de guitare pedal steel, ainsi que de synthés, de boucles et de programmation. Samantha a réalisé elle-même l’album, forte des enseignements du réputé John Vanderslice, qui fut longtemps son réalisateur attitré.
L’art de Samantha Crain s’ancre dans la terre de son peuple, les Choctaws. Il s’inspire autant de Woody Guthrie que de Radiohead. Sa palette stylistique est foisonnante, elle est champêtre et vindicative, lyrique et urbaine, elle s’étend de la ballade art-folk (An Echo) au grunge de chambre (Garden Dove), en passant par la country-pop acide (Pastime) et l’americana baroque (Holding to the Edge of Night). La musique de Samantha Crain ne contient que de bons nutriments, ceux dont l’âme du musicophile doit se nourrir.