Yegor Dyachkov et Jean Saulnier – Intégrale des sonates et variations pour violoncelle et piano : incarner et transmettre la musique de Beethoven

Entrevue réalisée par Alexandre Villemaire
Genres et styles : classique

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Après avor donné un aperçu fort convaincant du contenu de cet album en avril dernier[1], le duo composé du violoncelliste Yegor Dyachkov et du pianiste Jean Saulnier dévoile maintenant l’ensemble de leur projet : l’intégrale des sonates pour violoncelle de Beethoven. Professeurs à la Faculté de musique de l’Université de Montréal, les deux comparses évoluent ensemble depuis une vingtaine d’années, faisant connaître le répertoire de musique de chambre et séduisant le public par leur grande musicalité et leur écoute qualifiée de télépathique. Nous nous sommes entretenus avec Yegor Dyachkov à propos de la sortie de ce nouvel opus et de ce qu’il représente.


PAN M 360 : Vous avez dit que l’enregistrement des sonates marque une étape importante dans une carrière artistique parce qu’elles demandent une longue acclimatation aux œuvres et qu’il faut les avoir côtoyées sur une grande période. À partir de quand avez-vous senti que le moment était venu de les endisquer et de mettre votre couleur sur ces œuvres-là ?

Yegor Dyachkov : C’est certain que c’est un répertoire qui commande le respect, parce qu’il s’agit d’une fondation de ce qu’est le violoncelle en tant qu’instrument important. À son époque. Beethoven a fait preuve de beaucoup d’audace en le mettant sur le même pied d’égalité que le piano. Nous sentions depuis quelques années des affinités avec ce répertoire. Nous jouons ce répertoire depuis pratiquement le début de l’existence de notre duo en 1999. Nous étions prêt à communiquer de manière plus définitive notre point de vue sur celui-ci. Après, tout est une question de réunir les bonnes conditions : le temps, la salle, etc. Il y a bien sûr eu une petite pandémie qui est venue bouleverser les plans ainsi que l’épopée des pianos à la Faculté de musique de l’Université de Montréal[1].

PAN M 360 : En regardant votre discographie, vous avez endisqué en 2003 les sonates de Brahms, bien avant d’entreprendre ce projet de Beethoven. Est-ce à dire qu’elles sont plus « faciles » ou qu’elles n’ont pas la même identité musicale que celles de Beethoven ?

Yegor Dyachkov : Ce n’est pas tant qu’elles sont plus faciles, mais elles sont moins nombreuses. C’était quelque chose qui était plus facile à manier en tant que projet sur un seul disque. C’est vrai aussi que Beethoven demande un certain mûrissement, ne serait-ce que par le style du compositeur qui a beaucoup évolué entre la première sonate et les variations, qui sont des œuvres de jeunesse, et la sonate op. 102 où il parle de choses plus significatives qui transcendent le caractère des sonates précédentes avec une densité et une richesse du propos qui leur est diamétralement différente. On est devant quelque chose de quasiment éternel. Ça demande de l’humilité et de la maturité, mais aussi que les conventions du style soient tellement bien intégrées, chez chaque musicien, pour que l’on soit libéré du discours normatif afin d’évoluer dans un espace libre et imaginatif.

PAN M 360 : C’est là où vous et votre collègue Jean Saulnier vous rejoignez et c’est ce qui vous caractérise : vous avez tous les deux cette même vision d’intégrer le discours musical et de le transmettre n’est-ce pas ?

Yegor Dyachkov : Oui absolument. Jean et moi c’est une histoire de collaboration professionnelle, mais aussi une histoire d’amitié de longue date. Ce n’est pas très courant d’avoir ce lien qui non seulement demeure fort, mais évolue au fil du temps. Il y a beaucoup d’expérimentation, beaucoup de travail, mais aussi beaucoup de plaisir partagé. Il y a aussi toute cette question d’adaptation de jouer sur des instruments modernes. Notre approche est influencée par des années de recherche sur les pratiques historiques, donc ici, comment traduire cela sur un violoncelle ancien, mais assemblé de manière moderne et un piano Steinway de Hambourg. 


PAN M 360 : Qui a eu l’idée d’intégrer les Variations dans le discours musical et le récit de l’album ?

Yegor Dyachkov : Nous aurions effectivement pu nous contenter des sonates, mais je crois que de plus en plus, ces variations viennent à être considérées comme des œuvres qui ne sont pas mineures, même si elles sont souvent présentées comme des « entremets » entre les plats principaux.  Jean et moi avons toujours considéré qu’il s’agissait de petits bijoux. C’est certain que cela fait pencher la balance de l’album vers un Beethoven plus jeune, d’autant plus que nous intégrons aussi la Sonate pour cor op. 17 dans un arrangement pour violoncelle fait par Beethoven. Ces variations, avec leurs multitudes de changements de caractère et de différentes atmosphères, sont une expérience en soi extrêmement intéressante où la mobilité du discours doit être encore plus grande que dans des œuvres plus structurées, construites selon le modèle de la forme sonate, par exemple. On réalise que ce sont des œuvres qui n’ont rien d’anodin, même si elles ont probablement été écrites sans grande prétention de la part du compositeur. Elles proposent un visage de Beethoven que l’on connaît moins. Les visions qu’il amène des airs de Mozart et de Haendel sont tellement contrastées et imaginatives.

PAN M 360 : Pour vous, les rôles d’interprète et de pédagogue sont indissociables. Qu’est-ce qui a changé selon vous dans la vision et l’identité musicale aujourd’hui ?

Yegor Dyachkov : C’est un vaste sujet. Ce qu’on peut remarquer, dans l’air du temps, c’est que les choses se passent plus vite.  Nous n’avons pas la même manière d’écouter qu’il y a 50 ans. On cherche peut-être aujourd’hui à exprimer des choses de manière plus palpable en moins de temps. Non pas parce que nous sommes à l’ère d’Instagram, mais parce que le monde tel qu’il est aujourd’hui demande que l’attention soit captée par un discours qui est à la fois ancré dans des assises solides sur la perception d’un tout, mais qui aussi s’exprime de manière sincère en l’espace de quelques notes. Il y a un équilibre assez difficile à atteindre entre ce désir d’exprimer quelque chose en un bref moment et quelque chose qui évolue dans le temps et qui mérite de se déployer sur la durée de toute une œuvre. Il faut trouver un point d’équilibre entre la fraîcheur et la sincérité de l’expression tout en étant suffisamment diligent pour communiquer les messages les plus profonds.


[1] https://www.ledevoir.com/culture/musique/524153/les-pianos-maudits-de-l-universite-de-montreal

[1] https://panm360.com/records/j-saulnier-et-y-dyachkov-beethoven-sonates-et-variations-pour-violoncelle-et-piano-vol-1/

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