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Incontournable jazzman franco-québécois depuis les années 80, Prix Oscar-Peterson et donc consacré au sein de l’élite canadienne de la profession, le saxophoniste Yannick Rieu lance un nouvel album acoustique en formule quartette : dès ce week-end au Dièse Onze, la matière de Qui qu’en grogne prend forme sur scène, s’incarne à travers quatre complices en pleine interaction.
PAN M 360 voulait en savoir davantage sur ce qui, d’entrée de jeu, ressemble à un retour du tenorman (et sopranoman!) aux sources du jazz moderne. Et qui, tout compte fait, ne l’est pas vraiment…
Voyons voir avec le principal intéressé!
PAN M 360 : Il y plus ou moins une douzaine d’années, tu ramenais dans ta musique l’héritage du jazz-fusion, tu ne cesses de repasser les époques du jazz et autres musiques dont le répertoire classique. Ça reprend de plus belle avec Qui qu’en grogne!
YANNICK RIEU : Pour moi il est important de savoir d’où viennent les choses. Moi le premier, quand j’ai écouté mes premiers albums de Charlie Parker, John Coltrane, Wayne Shorter, Josef Zawinul, je voulais savoir d’où venaient ces musiques qui datent maintenant de 60 à 75 ans. Ça m’a toujours intéressé de savoir d’où proviennent les choses, et pas seulement en musique. Qui qu’en grogne est une expression qui vient du Moyen-Âge, c’était aussi le nom du bateau que mon père a construit et à bord duquel j’ai pu naviguer, avec lui, sur le Saguenay et le Saint-Laurent pendant toute mon enfance et ma jeunesse. « Qui qu’en grogne » signifie grosso modo fais ce que dois, peu importe ce qui arrive après.
PAN M 360 : Cette fois, qu’est-ce qui t’a mené à Qui qu’en grogne?
YANNICK RIEU : Cet album, c’est 45 ans de musique qui m’y ont mené, mais plus récemment, j’avais envie de retourner à une forme classique du jazz, soit le quartette acoustique : saxophone, piano, contrebasse, batterie. Mon expérience antérieure et mes autres projets impliquant l’électronique et les instruments électrifiés ont aussi influencé ce nouvel album. C’est que les choses ne sont pas coupées au couteau, tout ça se fond dans une proposition où les influences ne sont pas clairement identifiables. C’est d’ailleurs le signe des artistes des générations antérieures qui nous inspirent; on n’en identifie pas clairement les influences.
PAN M 360 : Comment, selon toi, peut-on éviter ce piège?
YANNICK RIEU : En s’inspirant d’abord des meilleurs exemples, comme la musique de Coltrane. Celle-ci était marquée par tout ce qu’il écoutait, bien au-delà du jazz moderne de l’époque où il son art s’imposait – musique indienne, musique orientale, etc. Or, son travail n’était pas un patchwork, on ne pouvait pas directement en déterminer les influences. Pour ma part, plusieurs musiques ont maturé au fond de moi. Les exprimer dans ma musique, c’est un jeu de cache-cache. Qu’on puisse discerner clairement mes influences serait pour moi un échec artistique.Quoi qu’il en soit, on n’est pas fait d’un seul bloc, mais plutôt de plusieurs couches, d’émotions qui font partie de moi. Ce nouvel album se veut donc un panorama de ce que j’ai entendu et échangé au cours de ma vie, mais adapté précisément à ce projet. En surface, Qui qu’en grogne peut paraître un retour en arrière parce que j’opte pour une instrumentation classique du jazz, mais il n’en est rien. Pour moi, c’est un autre pas en avant… ou de côté.
PAN M 360 : L’inspiration est un mystère à bien des égards, on en convient, mais le compositeur a quand même des éléments de motivation pour arriver à ses fins. Qu’en est-il dans ton cas?
YANNICK RIEU : Que motive un compositeur? Tout. Un son , une émotion , plein de choses. Dans cet album, certains morceaux écrits il y a 20-25 ans ont été réharmonisés et réarrangés, je pense entre autres à Porta di Cinese, que j’avais composée quand je vivais en Italie. Je ne savais pas pour qui ou pourquoi j’écrivais ça. Ce n’est pas le cas de Qui qu’en grogne, car je savais exactement pour qui je l’écrivais, c’est à-dire pour les artistes de ce quartette. Je savais qu’ils allaient apporter une couleur subtile à ces morceaux. Autrement, ce peut être extrêmement simple, anodin; je pianote sur l’un ou l’autre de mes clavier, je joue du saxophone, émerge alors une combinaison d’accords ou encore une suite mélodique de trois ou quatre son. Lorsque ça m’accroche, je prends des notes et me dis qu’il y a peut-être quelque chose à faire avec ça. Pourquoi mon cerveau sélectionne ceci et non cela? Je ne peux l’expliquer.
PAN M 360 : Que justifie le choix de ton personnel dans ce nouveau contexte, cette instrumentation spécifique?
YANNICK RIEU : L’instrumentation consiste à trouver quelque chose d’intéressant à dire dans un contexte de quartette acoustique. C’est directement relié au choix des musiciens, je pense à Gentiane MG (piano), Louis-Vincent Hamel (batterie) et Guy Boisvert (contrebasse). Ces choix ont été fait en fonction de mes écoutes sur leur travail respectif. Louis-Vincent n’est pas très connu comme compositeur, mais il a déjà enregistré un album et j’observe que ses compositions sont extrêmement intéressantes, intelligentes. Il est cultivé, nous parlons régulièrement de littérature, ce raffinement et cette culture se manifestent indirectement dans son jeu. J’aime vraiment son énergie. Également, j’aime beaucoup l’approche de Gentiane, ses propositions harmoniques me semblent très fraîches dans l’ensemble, mélange de tradition et de choses plus récentes au niveau du piano, j’aime aussi la qualité de son accompagnement.
PAN M 360 : Mais si tu essaies de circonscrire ce qui les caractérise, procèdes-tu à une analyse poussée de leur musique?
YANNICK RIEU : Je travaille à l’instinct de manière générale, j’essaie de ne pas trop être analytique. J’aime les couleurs de ces musiciens, leur attitude dans la musique et avec les gens. Je l’ai déjà dit en interview, je ne vois pas de différence fondamentale entre la musique et la vie de tous les jours. Quand je rencontre des gens dont je sens qu’il n’y a pas de partage entre leur vie musicale et leur vie extra-musicale, ça m’interpelle.
PAN M 360 : Pour le concert lancement, cependant, le quartette sera différemment constitué. Peux-tu nous parler des collègues du week-end?
YANNICK RIEU : Le contrebassiste Alex Leblanc est un autre jeune musicien que je trouve très intéressant, excellent musicien avec une écoute très fine. Le pianiste Jonathan Cayer qui lui est plus proche de ma génération et avec qui j’ai joué pour un projet consacré à Coltrane. J’avais trouvé son jeu très rond, très mature, usant d’une approche à la fois classique et moderne, multi-orientée, délicate par ailleurs. On ne le voit pas souvent jouer, il vit plutôt de l’audiovisuel.
PAN M 360 : Ce qui te fait le plus plaisir dans cet album?
YANNICK RIEU : C’est l’interaction entre nous. L’instrumentation acoustique n’est pas le moteur principal de la chose, on ne réinvente pas la roue mais c’est quand même nous, et c’est quand mêmec’est moi. C’est comme regarder un arbre: de loin, les feuilles ont l’air uniformes alors qu’elles sont toutes différentes lorsqu’on s’en approche. Alors? Qui qu’en grogne! Fais ce que dois, peu importe ce qu’il en adviendra. Je fais ce que je crois pertinent, ce que je ressens. Ce que les gens en penseront, que veux-tu que j’y fasse?
L’album Qui qu’en grogne est mis en ligne sur toutes les plateformes dès le 29 avril.
Dates et lieux de diffusion du Generation Quartet de Yannick Rieu, sur 20 jours :
29 avril : lancement au Dièse Onze, 4115A, rue Saint-Denis, Montréal
30 avril : lancement au Dièse Onze, 4115A, rue Saint-Denis, Montréal
7 mai : Café Morin, 42, rue Morin, Sainte -Adèle, QC
Les autres dates et lieux :
15-21 mai : résidence de création à Orford Musique, Orford, QC
17 juin : Dièse Onze, Montréal
1er juillet : Festival Québec Jazz en Juin, Québec
17-21 juillet : résidence de création à Orford Musique, Orford, QC
5 août : Festival Orford Musique 2022, Orford
24-30 octobre : résidence de création au Rocher de Palmer, Cenon, France
Novembre : tournée en Europe