Virée classique : Émerger avec 5ilience

Entrevue réalisée par Alexandre Villemaire

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Le 25 novembre 2022 à La Sala Rossa,  un nouvel ensemble de musique de chambre est né dans la constellation musicale du Québec : 5ilience – prononcé « silience »,  est le premier quintette à anches de la province. Initié par le saxophoniste Thomas Gauthier-Lang, l’ensemble compte parmi ses membres fondateurs Léanne Téran-Paul (hautbois), Mariane Pellerin (clarinette), Gwénaëlle Ratouit (clarinette basse) et Maxime Hargous (basson). Ces cinq jeunes artistes émergents, formés dans les classes du Conservatoire et de l’Université de Montréal « [marchent] dans les traces du tout premier quintette à anches, l’ensemble Calefax, né en 1985, en se dédiant à l’élargissement du répertoire existant du quintette à anches par le développement de nouvelles œuvres de compositeurs·trices émergent·e·s et établi·e·s. » Après seulement quelques mois, le timbre particulier de cette formation peu commune a pu se faire entendre au Festival de Lanaudière et résonnera maintenant dans le cadre de la dixième édition de La Virée classique.

PAN M 360 a pu s’entretenir avec deux des membres de l’ensemble, soit Thomas Gauthier-Lang, son directeur artistique, et Mariane Pellerin pour discuter de la naissance du projet et de son jeune parcours.

PAN M 360 : Bonjour à vous deux! Merci de prendre le temps de nous parler. J’aimerais commencer en demandant à Thomas comment 5ilience est né et à Mariane, comment en êtes-vous arrivé à travailler ensemble sur ce projet d’ensemble avec les autres?

Thomas Gauthier-Lang : Le projet de 5ilience, pour moi, a germé pendant la pandémie. Je venais de finir ma maîtrise et de revenir de France où j’y avais terminé ma deuxième année. La pandémie a vraiment été pour moi un point d’arrêt pour penser à quel genre de musique je voulais faire et avec qui. En tant que saxophoniste versé en musique contemporaine, je m’étais surtout spécialisé dans la musique solo, donc pendant la pandémie, ce qui me manquait beaucoup, c’était le contact humain, le contact avec les gens. À un moment donné, je surfais sur le web et j’ai trouvé de l’information sur le premier quintette à anches, l’ensemble Calefax. Je connaissais un peu le saxophoniste et après avoir plongé dans cette musique et l’avoir exploré, j’ai vraiment découvert un genre différent et une musique qui me parlait beaucoup : une musique qui a toujours un « edge », qui fait poser des questions et devant laquelle on ne peut pas rester indifférent et qui est ancrée dans la musique de création. Lorsqu’il a fallu concrétiser l’idée, j’ai commencé à en parler à des musiciens et des musiciennes que j’aimais bien comme Mariane, que j’ai eu la chance de rencontrer au Domaine Forget un été qui m’a été présenté par une amie qu’elle et moi on a en commun. 

Mariane Pellerin : On ne faisait même pas le même stage au Domaine en plus! On s’était parlé un petit peu, mais pas tant que ça. Je venais juste de finir ma maîtrise cet été-là et je me disais « Je vais penser à mon futur plus tard », et « on dit oui à tout » donc, cette proposition-là est parfaitement bien tombée. Ce que j’aime particulièrement dans la musique, c’est faire de la musique de chambre. Jouer en orchestre, c’est l’fun, c’est bien beau, mais tu as vraiment moins de possibilités d’être toi-même et de participer et de changer quelque chose dans ce que tu fais. Je savais que je voulais faire plus de musique de chambre, mais je ne savais pas trop comment et quand Thomas est venu me parler du projet, il avait un plan déjà assez précis de ce qu’il voulait faire. Je connaissais déjà Léanne pour avoir fait mon Conservatoire avec elle et Gwen d’un contexte non musical. On s’entendait bien alors je me suis dit « Let’s go »!

Thomas Gauthier-Lang : On n’avait jamais fait de la musique ensemble, mais au niveau humain, il y avait comme un lâcher-prise, un laisser-aller où les choses étaient vraiment naturelles. 

PAN M 360 : La question qui tue : que signifie le mot « silience »?

Thomas Gauthier-Lang : Ha ha, c’était une grosse réflexion qui s’est étalée sur un an. On se pose des questions derrière le nom ; un nom, c’est une image, mais je pense que c’est aussi une philosophie. Des fois, c’est ni un ni l’autre, mais pour moi, dans l’idée de faire réfléchir, le nom était important. « Silience » est un mot qui vient d’un dictionnaire de néologisme, le Dictionnary of Obscure Sorrows de John Kœnig.  Il s’intéresse à trouver et à créer des mots nouveaux pour exprimer des sentiments et émotions abstraits plutôt que de les résumer avec des phrases. « Silience », c’est l’amalgame entre « brillance » et « silence ». Pour lui, ça renvoie à l’art qui est autour de nous, mais dont on ne se rend qu’il est là et qu’il existe, sauf si on prend le temps de s’arrêter et d’y porter attention.

PAN M 360 : Donc, c’est l’état d’esprit amenant à prendre conscience de l’invisible autour de nous.

Thomas Gauthier-Lang : Exactement!

PAN M 360 : Au niveau du répertoire, vous le mentionnez, il comprend énormément de musique de création. Est-ce que ce n’est que le répertoire de musique de création qui caractérise un quintette à anches étant donné sa formation peu commune? 

Thomas Gauthier-Lang : Non, la musique de création n’est pas le seul créneau. C’est surtout qu’au début de la création de Calefax, il n’y en avait pas de répertoire. Les musiciens de cet ensemble faisaient beaucoup d’arrangements. Ils se sont vite rendu compte de leurs intérêts communs pour la musique baroque, la musique médiévale, etc. Maintenant, ces arrangements ils les publient donc, il existe plusieurs arrangements de ces musiques, notamment pour la musique médiévale l’instrumentation n’était même pas déterminée, donc ça permet d’aller jouer avec les différents types de timbre des instruments modernes que nous avons. Autre exemple, le mois dernier nous avons joué au Festival de Lanaudière, un arrangement fait par un des musiciens de Calefax de la Chaconne de la deuxième partita de Bach basée sur l’arrangement de Bussoni pour piano. Ça s’inscrit dans la même direction d’une longue tradition d’arrangement.

Par ailleurs, cet ensemble en particulier, ouvre un appel d’œuvres pour des compositeurs et des compositrices pour proposer des œuvres. Ces œuvres-là, ils vont les jouer en concert et tout ce qui va ressortir de ces appels est accessible par la suite à tous les quintettes à anches. Donc, ils ont vraiment une mission de médiation et de partage du répertoire. Ça influence aussi ce qui s’est fait aux États-Unis comme Akropolis, qui est un quintette à anches super populaire qui publie aussi leurs propres trucs et qui partage leur musique. Ce ne sont pas des cellules qui ne communiquent pas ensemble; le réseau des quintettes à anches du monde se parle et interagit.

PAN M 360 : Votre existence formelle est quand même assez récente en termes d’ensemble et vous avez participé au Festival de Lanaudière, qui est un des plus importants festivals de musique en extérieur en Amérique du Nord et maintenant vous participé à la Virée classique, qui est un autre gros événement de diffusion musicale. Pour une jeune formation et de jeunes musiciens pour qui j’imagine pour certains d’entre vous constituent vos premiers pas dans le milieu professionnel, qu’est-ce que ça fait de pouvoir participer à des événements de cette ampleur?

Mariane Pellerin : C’est vraiment agréable. Il y a un aspect où on peut s’autoriser à imaginer des choses. Que ce soit des stages internationaux ou des grands projets où entre nous on se serait dit : « On pourrait faire ça plus tard », normalement je me serais dit « on verra ». Le fait de réaliser du concret, de réaliser des projets comme de ce type, ça nous amène à envisager nos idées ou nos futurs projets comme accessibles. Ça m’apporte de la sécurité et un certain espoir pour le futur.

Thomas Gauthier-Lang : Effectivement il y a quelque chose de très rassurant dans le fait de penser à un projet de son côté, de penser à un projet avec des gens pour le lancer dans l’univers et qu’ensuite l’univers le voit et le reçoive. Ce qui m’a le plus touché quand on se fait inviter dans des événements comme ça, c’est qu’ils comprennent c’est quoi 5ilience et ils comprennent qu’est-ce que 5illience fait aussi au monde qui nous entendent. J’ai toujours eu confiance en la nature du projet, mais je ne me serais jamais attendu qu’après huit mois d’existence, nous soyons invités dans ces deux festivals. Souvent après les concerts, il y a une fébrilité chez les gens. Ils n’ont jamais entendu quelque chose comme ça encore surtout si on considère que ces festivals c’est du répertoire plus classique.  Nous, on arrive avec une formation et des instruments qu’ils reconnaissent et connaissent, mais avec un langage un peu « croche » et différent. Ça les emmène ailleurs et un bon ailleurs, je pense. Lorsqu’on finit de jouer et qu’on voit physiquement qu’il y a quelque chose qui se passe chez le public, qu’on a réussi à faire vivre quelque chose pour quelqu’un, c’est le plus grand cadeau.

PAN M 360 : Peut-on avoir un aperçu du répertoire que vous allez interpréter pour la Virée?

Thomas Gauthier-Lang : On dresse un portrait de l’histoire du quintette à anches de comment s’est construit la composition autour de celui-ci à travers les années jusqu’à aujourd’hui. Il va y avoir une création de Simon Bourget (Danses galactiques), Refraction, du compositeur américain David Biedenbender, qui est comme une pièce phare du répertoire, des créations d’ensembles importants, comme Splinter de Marc Mellits, Four Letter Word de Robbie McCarthy en plus de nos propres créations. On va vraiment un peu partout. C’est un programme festif, actif, véloce, à la fois léger, mais aussi contemporain. On a bien hâte de voir comment les gens vont réagir!

PAN M 360 : Qu’est-ce qui vous attend dans les prochains mois comme projets avec 5ilience?

Thomas Gauthier-Lang : Dans les prochains mois, nous allons accueillir notre nouvelle bassoniste Alexandra Eastley qui va se joindre à nous officiellement parce que notre bassoniste actuel et membre fondateur Maxime retourne en Europe pour poursuivre des études. C’est Mary Chalk qui s’est jointe à nous pour le Festival de Lanaudière et qui sera avec nous aussi pour la Virée classique. Il y a deux albums sur lesquels on a joué qui sont à paraître et avec Code d’accès on a un concert à grand déploiement, pluridisciplinaires avec conception de l’espace et vidéo qui se prévoit pour le printemps 2024. Ça va être quelque chose. On cherche aussi à voyager à l’extérieur du Québec, suivre des formations, donner des concerts, etc.  Aussi, avec 4 autres artistes/ensembles, 5ilience a été choisi pour faire partie du Pôle de la Relève qui est un nouveau programme de mentorat offert par Le Vivier dans le but d’aider les jeunes artistes et ensemble à grandir et à se développer.  Je suis super content et curieux de voir ce qui va en sortir aussi.

PAN M 360 : En tant que plus récente et jeune formation à émerger dans le paysage de la musique de chambre au Québec, que diriez-vous à de jeunes musiciens qui terminent ou qui veulent se lancer là-dedans? 

Mariane Pellerin : Je trouve ça fou et difficile de répondre à ça parce que j’ai l’impression que moi-même je suis une jeune musicienne qui a besoin de conseils! Je dirais deux choses. Je le dis à la blague, mais des fois, je dis « fake it till you make it ». Des fois, on n’est pas sûr de ce qu’on fait, mais il faut avoir confiance, même si tu as vraiment l’impression que tu fais n’importe quoi. Ensuite, c’est resté soi-même, et croire à ce que tu crois et le suivre.  C’est faire confiance à son instinct.

Thomas Gauthier-Lang : J’aurais trois axes là-dessus, basé sur qu’est-ce que moi j’ai vécu, qu’est-ce qui me fait du bien et qu’est-ce que j’apprends aujourd’hui. Premièrement je dirais, observe avec qui tu « tripes » parce que c’est avec ce monde-là que tu vas vouloir faire de la musique. Pour moi, étudier en musique ou dans n’importe quel domaine d’art, c’est créer des connexions et se rendre compte avec qui on a du plaisir. Deuxièmement, pas pour être contradictoire avec Mariane, mais moi j’ai été beaucoup rassuré en arrêtant d’être quelqu’un que je ne suis pas. Je suis saxophoniste et pendant longtemps, je me suis dit : « Il faut que je fasse du blues, il faut que je fasse du bebop ». Pour autant que j’aime beaucoup cette musique-là, ce n’est pas le langage avec lequel je résonnais le plus. Quand j’ai arrêté de me dire que le monde s’attendait à ce que je fasse cela en tant que saxophoniste, j’ai trouvé énormément de satisfaction dans le genre de musique que je faisais. Finalement, si tu fais quelque chose que tu aimes, nécessairement, ça va attirer du monde. Il y a du monde qui va t’écouter. Fais quelque chose que toi tu aimes sans nécessairement plaire aux autres. Ça serait mes points. 

PAN M 360 : Merci beaucoup à vous deux! 

5ilience se produira en concert sur la Rue Sainte-Catherine le 18 août à 19h et le 19 août à 19h30. Pour plus d’information, consultez la programmation gratuite de la Virée classique ICI.

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