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Cette volonté ferme de “tracasser l’impossible », de « chercher une matière première et ce qu’il y a derrière” , » de cultiver tes assises », « d’ébranler l’injustice », « de sillonner la lenteur » , bref de s’élever. Cet amour des mots nourri ad infinitum. Cette allégeance indéfectible à l’américanité folk. Cette curiosité des musiques exploratoires. Cette rigueur. Cet acharnement.
Cette profondeur toujours souhaitée et jamais atteinte, voilà qui peut résumer le parcours de Benoit Pinette depuis la sortie d’un premier EP homonyme en 2009.
À partir de là, Tire le Coyote a toujours œuvré dans l’humilité et la rigueur malgré un succès évident, atteint des sommets avec la sortie récente de l’opus Au premier tour de l’évidence, dont le répertoire est le plat principal d’un nouveau cycle de concerts sous la bannière Tire le Coyote, amorcé début mars.
Aux premiers jours du premier tour, ce jeudi au Théâtre Maisonneuve, 20h, PAN M 360 vous offre une interview de fond avec un Benoit Pinette au sommet de son art et de sa pertinence.
PAN M 360 : Au premier tour de l’évidence a été créé en bonne partie à Saint-Élie-de-Caxton, où tu as élu domicile, non?
BENOIT PINETTE : En fait, je vis à temps partiel à Québec et à Saint-Élie-de-Caxton. Je m’y suis acheté une maison, de là ma collaboration avec Jeannot Bournival qui y a son studio et donc l’enregistrement réalisé chez lui. J’adore cette région qui n’a pas connu cette montée fulgurante des chalets, et c’est pour moi un bel entre-deux Québec-Montréal.
PAN M 360 : La progression de Tire le Coyote est claire et nette avec cet album et ce nouveau cycle de concerts qui s’amorce.
BENOIT PINETTE : On souhaite toujours s’améliorer. L’objectif de la chose est de se surpasser, se botter le derrière. Je n’ai pas de grande ambition de performance. J’aime me mettre au service de la proposition créatrice comme tu le dis. Il n’y a pas d’autres décisions qui sont prises autres que le résultat, la proposition de l’album. Tout est mis là-dessus.
PAN M 360 : C’est le résultat qui compte, et le travail génère l’inspiration.
BENOIT PINETTE : J’en suis convaincu et c’est justement le côté littéraire qui m’amène à la constater : on apprend à écrire en écrivant, ce n’est pas en attendant l’inspiration. L’auteur Robert Lalonde, avec qui j’ai écrit Nous brûlons jusqu’aux os, nous le dirait : je peux écrire 30 pages et mon livre va commencer à la 34e.
PAN M 360 : Je comprends bien ton approche car ton évolution littéraire me rappelle mes envie d’élévation littéraire, avec des bons coups et d’autres beurrés un peu épais, ce qui se produit de moins en moins lorsque notre écriture évolue. De plus en plus sobre, moins chargée, des effets bien ménagés.
BENOIT PINETTE : On s’attarde trop à la partie littéraire d’une chanson, on parle plutôt de musique alors que le texte pas aussi important.
PAN M 360 : Dans ton cas, le texte est au moins aussi important, c’est clair! La musique a beaucoup évolué, mais le texte y demeure très important.
BENOIT PINETTE : En tout cas, j’essaie! D’ailleurs, pour cet album, j’ai écrit tous les textes avant d’y apposer la première note de musique. C’est la première fois que je faisais ça de cette manière, j’avais ce souci et cette conscience que les mots devaient vivre seul. Que ça se tienne avant même que je place la musique. Souvent quand on le fait ensemble on va rester beaucoup accroché à la mélodie et à l’aspect musical. À partir du moment où ça coule bien, tu vas arrêter de te poser des questions sur le texte, tu te dis que tu ne changeras rien parce que ça coule bien… et ça fait en sorte que tu perds de ton pouvoir d’analyse à cause de la musique. Et donc j’ai eu la volonté de me plonger d’abord dans le texte afin qu’il vive seul.
PAN M 360 : Robert Lalonde a été pour toi une inspiration, notamment parce que son œuvre est un mélange signifiant de lumière et de pénombre. On retrouve effectivement ce mélange dans tes chansons, on y ressent une vibration dramatique, inquiète, parfois presque tragique, mais on y reçoit aussi de la lumière.
BENOIT PINETTE : Oui. Il y a toujours ce regard existentialiste. Les grandes questions qui n’ont pas de réponse, je me fais quand même un devoir de plonger dans ce questionnement, d’essayer de comprendre, de poser des réflexions et ça m’amène à comprendre davantage ce que je fais. Je n’ai pas ce rapport léger au quotidien, j’ai une grande difficulté à être léger et particulièrement quand j’écris. C’est là que l’existentialisme prend le dessus et s’exprime.
PAN M 360 : En fait, tu poses de grandes questions à travers des scènes quotidiennes de vie privée.
BENOIT PINETTE : Oui, j’aime à la fois entrer dans l’émotivité d’un personnage ou d’un peuple et aller plus loin dans la réflexion. Parfois, ça peut être hermétique au niveau des images et du rendu, je me fais un constant devoir de pousser cette réflexion plus loin. Je n’ai jamais été contre la possibilité d’en beurrer épais à certains moments.
PAN M 360 : Reste que les nouveaux textes sont généralement plus émondés. Mieux on écrit, mieux on ménage ses effets.
BENOIT PINETTE : Oui, je suis d’accord. Par conséquent, c’est plus littéraire. C’est sûr qu’au départ, il y avait cette volonté de puncher à tout pris alors que maintenant j’ai envie de quelque chose qui coule mieux, qui serve une réflexion. Mais je ne me faisais pas une obligation de surprendre avec des formules choc comme je l’ai fait par le passé.
PAN N 360 : Néanmoins, on en trouve encore des savoureuses comme « nous allons diminuer nos portions de bullshit » !
BENOIT PINETTE : Ça en prend un peu quand même ! (rires) C’est ben beau être littéraire, mais on reste québécois .
PAN M 360 : Prenons un exemple, sur le propos récent et sa démarche poétique.
BENOIT PINETTE : Ben c’est sûr que ces chansons ont été créées dans un environnement plus plus serein et plus calme, soit à la campagne. C’est aussi très difficile d’écrire avec une plus grande légèreté mais en gardant tout autant de profondeur. Sillonner la lenteur, c’est un peu ça finalement. Ça a été difficile d’y parvenir après l’apaisement de ma vie, car j’ai dû trouver comment faire pour éviter que ça sonne cul-cul, comment trouver un positionnement valable dans cet état plus léger. Le refrain est finalement arrivé : « Il me faut sillonner la lenteur pour me rendre au bout de moi. » C’est simple comme phrase mais ça voulait tout dire, c’est-à-dire revenir à cet état de connexion en mettant de côté les stimuli extérieurs et les attentes, les pressions sociales et celles de la production.
PAN M 360 : Cet état était souhaité, faut-il comprendre?
BENOIT PINETTE : Sillonner la lenteur découle d’un besoin à la fin de la dernière tournée de Désherbage, de m’éloigner de la chanson. J’avais besoin de retrouver ce plaisir, ce besoin de produire… et quelque chose ne rimait pas avec mon état habituel. J’avais l’impression de ne plus savoir après quoi je courais. Là, t’as quelques défis dans ta carrière, tu es content mais pas tant que ça, il n’y a rien qui ne s’apaise en toi. L’arrivée à la campagne et aussi le calme imposé par la pandémie se sont imposés dans le processus de création. J’ai laissé ce sentiment d’urgence, j’ai fait fi des attentes, je voulais juste écrire des chansons et m’améliorer.
PAN M 360 : Et pour s’améliorer faut aussi éviter d’être prisonnier de son propre public, souvent enclin à l’immobilisme. Il faut toujours secouer le public et souhaiter son élévation.
BENOIT PINETTE : Exact. À ce titre, Nick Cave disait pertinemment qu’à chaque album qu’un artiste crée, il y en a qui vont te suivre et d’autres qui vont te quitter. Tout ce que tu peux faire, c’est remercier celles et ceux qui partent pour avoir été à tes côtés pendant une phase de ton parcours. Mais… secouer ton public et le pousser plus loin à travers ton œuvre, c’est aussi aimer son public.
PAN M 360 : Cet état de lenteur dont tu fait mention se trouve ailleurs.
BENOIT PINETTE : Dans Je me dis, entre autres et partout ailleurs comme dans la chanson impliquant Joséphine Bacon, Mes yeux affichent complet. Cet état m’a conduit à me sortir de moi dans cet album qui en est un d’observation et de contemplation et où la nature est omniprésente. C’est ce que j’avais dans ma fenêtre, les séances d’écriture et d’enregistrement ont été entrecoupées de promenades en forêt. Je me suis retrouvé seul une semaine sur deux puisque j’ai la garde partagée de mes deux enfants depuis ma séparation, juste avant la pandémie.
PAN M 360 : Cette plénitude se trouve aussi dans la musique, n’est-ce pas?
BENOIT PINETTE : Oui. Les claviers illustrent cette contemplation, ce rapport à la nature et au sacré qu’on perd dans les sociétés modernes. Pour moi, il y avait quelque chose de très méditatif dans les musiques envoûtantes et enveloppantes auxquelles contribuent les claviers. Ça rend différentes les chansons habituellement folk, plus traditionnelles. Quand tout espérait demain, c’est un peu une ode à l’enfance, ça revient encore à cette impression que, quand j’observe les enfants se promener dans le bois et démontrer leur capacité d’être dans la contemplation sans trop s’en faire avec le reste.
PAN M 360 : L’évolution de ta musique est aussi un fait marquant : effets de bourdon, musiques ambient, usage des synthétiseurs analogiques, voilà autant de signes de cette évolution dans un contexte chansonnier. On devine que tu écoutes beaucoup d’artistes de cette mouvance.
BENOIT PINETTE : Je pense notamment à Grouper, Nils Frahm, Flore Laurentienne…
PAN M 360 : Il y a donc un mélange intéressant de folk et d’électro.
BENOIT PINETTE : J’aime les nappes de son, c’est céleste, j’aime bien le new-age et l’ambient.
PAN M 360 : Il faut pousser ça encore plus loin! Tu pourrais accomplir ici ce que Fleet Foxes a fait aux États-Unis et dans la chanson anglophone en général.
BENOIT PINETTE : Oui absolument, j’adore Fleet Foxes. Les harmonies vocales, les arrangements, l’instrumentation, c’est vraiment super. Je suis aussi fan de Kevin Morby , Big Thief, Bill Callahan, Bonnie Prince Billy, et de cette génération montante de l’americana. De mon côté, j’ai tellement d’idées en tête depuis que j’ai fait cet album, j’ai l’impression que ça me donne un nouveau souffle alors que l’album Désherbage était la fin d’un cycle. Et Jeannot Bournival a été un acolyte hallucinant à ce titre, dans l’orchestration . Il est un vrai pro de l’arrangement. En même temps, je maintiens un rapport à la tradition folk, j’ai toujours cet amour profond pour cette façon de faire des chansons, j’y reste fidèle. Mais il ne faut pas rester accroché aux vieilles façons de faire et pousser plus loin cette tradition. Ça reste une quête d’équilibre entre tradition et innovation.
PAN M 360 : Peut-on faire la liste du personnel?
BENOIT PINETTE : Shampoing, mon acolyte depuis toujours, revient aux guitares, un peu moins présent mais toujours là, tout en douceur. David Carbonneau y joue la trompette, Marc-André Larocque la batterie, Marc-André Landry à la basse, un des meilleurs accompagnateurs au Québec. Un chœur de six femmes (Chloé Lacasse, Geneviève Toupin, Stéphanie Bédard, Amyilie, Julie Hamelin et Audrey-Michèle Simard) s’est aussi joint à nous. Et je ne compte pas la participation de la magnifique Katie Moore. Sinon Jeannot et moi avons joué le reste des instruments, claviers, guitares, etc.
PAN M 360 : Et comment transpose-t-on tout ça en concert?
BENOIT PINETTE : Je voulais absolument me rapprocher le plus possible de la bulle que j’ai voulu créer en studio, alors la présence d’harmonies vocales et de synthétiseurs se devaient d’être au cœur de ce nouveau spectacle. A l’image du disque, c’est donc un spectacle qui s’éloigne un peu plus de l’aspect rock du folk rock de Désherbage pour faire place à quelque chose de plus enveloppant, l’accent étant davantage mis sur les couches sonores ambiantes et bien sûr, sur les mots.
PAN M 360 : Le personnel de l’album a-t-il changé sur scène?
BENOIT PINETTE : Bien que le quatuor de base reste le même (moi à l’acoustique, Shampoing à l’électrique, Marc-André Landry à la basse et Jean-Philippe Simard à la batterie), l’instrumentation prend de l’ampleur avec l’arrivée de deux recrues féminines dans le band, soit Ariane Vaillancourt aux claviers et Audrey-Michèle Simard aux chœur et arrangements vocaux.
PAN M 360 : Les chansons des albums précédents ont-elles été réarrangées dans l’esprit d’Au premier tour de l’évidence?
BENOIT PINETTE : Effectivement nous avons fait quelques changements dans l’interprétation des plus vieilles chansons afin qu’elles se marient bien au nouveau matériel. Rien pour les dénaturer, seulement quelques petites touches seulement qui ramènent au son d’Au premier tour de l’évidence.
PAN M 360 : Quelle est l’approche côté scénographie, éclairage et mise en scène?
BENOIT PINETTE : J’ai toujours approché le spectacle de manière très spontanée et instinctive. Mais pour la première fois de ma carrière, je souhaitais une proposition plus étoffée, mieux travaillée, tout en restant sobre. J’ai donc confié la mise en scène à Émilie Perreault et l’éclairage à Jean-Francois Couture. À l’aide d’un jeu de lumière plus élaboré, d’un décor rappelant le contexte naturel dans lequel l’album a été conçu et d’interventions mieux placées, on amène le spectateur à plonger dans ce qui mène à la création de ces nouvelles chansons.
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