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Parmi les plus belles œuvres de la Renaissance, certaines rendent hommage à la Vierge Marie. Et pourquoi pas en faire un thème central au temps des Fêtes? The Tallis Scholars ont choisi cette avenue sacrée, un répertoire de la Renaissance assorti d’œuvres modernes et contemporaines traversées par le thème de la Vierge.
Fondé en 1973, l’ensemble vocal anglais est devenu au fil des décennies une référence absolue pour le répertoire de la musique ancienne. Le groupe a été formé en 1973 par Peter Phillips, alors organiste au St John’s College d’Oxford, de concert avec les membres de chorales de chapelles d’Oxford et de Cambridge afin d’ explorer la musique vocale de la Renaissance.
Amateur au départ, l’ensemble s’était progressivement professionnalisé , et ce jusqu’à remporter un prestigieux Gramophone Award en 1987. The Tallis Scholars atteindra donc le demi-siècle en 2023. Toujours à la barre de l’ensemble, Peter Phillips s’entretient avec PAN M 360, joint en tournée nord-américaine avant l’escale montréalaise ce mardi à la Salle Bourgie.
PAN M 360 : La sainte Vierge comme thème central d’un programme au temps des Fêtes, n’est-ce pas plutôt atypique?
PETER PHILLIPS : Je ne me sens pas obligé de faire de la musique de Noël pour le public. Je ne suis pas particulièrement intéressé par les chants de Noël ordinaires. Or, j’aime la très bonne écriture polyphonique pour le chant a cappella, plus précisément les versions modernes de ce répertoire de musique ancienne. Donc, ce que j’ai tendance à faire à cette période de l’année est de me concentrer sur la Vierge Marie comme le point central d’un programme de Noël comme celui-ci. Cela donne beaucoup de possibilités.
PAN M 360 : Et il y a des pièces modernes qui s’intègrent plutôt bien avec le thème de ce programme, de sorte que la pièce de Matthew Martin, Arvo Pärt ou Stravinsky.
PETER PHILLIPS : Oui cela s’adapte très bien. Virgencita, par exemple, est une œuvre d’Arvo Pârt inspirée de la Vierge de Guadalupe au Mexique, j’ai pensé qu’on pourrait l’inclure au programme. Surtout que le compositeur m’a demandé de la présenter.
PAN M 360 : Vous avez donc une relation directe avec Arvo Pärt, qui est un croyant fervent ?
PETER PHILLIPS : Oui, absolument. On m’a demandé de diriger son concert d’anniversaire cette année. Donc je le connais bien, nous sommes partenaires en quelque sorte.
PAN M 360 : Vit-il en Estonie?
PETER PHILLIPS : Exactement. Il avait dû s’exiler à Berlin maintenant il est de retour à la maison depuis un bon moment déjà. Il est assez vieux maintenant et assez frêle, en fait. Mais il est toujours le même homme inspirant.
PAN M 360 : Vous avez donc travaillé cette pièce avec lui à sa demande et après. A-t-il assisté à vos répétitions?
PETER PHILLIPS : Oui, il est venu et nous a conseillés, pas seulement pour cette pièce, en fait. Et il m’a expliqué, assis au piano, comment le, comment le chant devait être mis en valeur par les interprètes. Je pense qu’il m’a prodigué de merveilleux conseils.
PAN M 360 : Cette interprétation nous donnera l’occasion d’avoir un bref aperçu de l’évolution de cet ensemble après cinq décennies d’activités. La façon dont vous abordez le répertoire a-t-elle changé ?
PETER PHILLIPS : Dans un sens, ça n’a pas vraiment changé. Quand j’ai commencé, j’avais tout un monde sonore en tête. C’était une vision de la beauté. Et j’ai voulu recréer cette vision du son tout au long de ces années. Alors j’ai embauché des chanteurs qui pouvaient rendre compte de cette vision. C’est devenu de plus en plus facile, parce que les interprètes capables de le faire sont de plus en plus nombreux, plus aguerris et mieux informés qu’ils ne l’étaient il y a 50 ans. Mais je les encourage à faire la même chose que ce que je faisais à l’origine, ça n’a pas vraiment changé et, c’est ce que je fais en tant que chef d’orchestre est juste devenu plus minimaliste.
PAN M 360 : La longue expérience mène très souvent au minimalisme.
PETER PHILIPS : C’est vrai. C’est exactement ce qui m’est arrivé.
PAN M 360 : Comment a évolué le chant de la Renaissance en un demi-siècle de pratique?
PETER PHILLIPS : Quand nous avons commencé il y a 50 ans, il était très difficile de trouver des chanteurs prêts à chanter de cette. Ils n’étaient formés que d’une seule manière, c’est-à-dire pour chanter en tant que solistes, généralement à l’opéra. Leur style était totalement inadapté aux textures beaucoup plus intimes de la musique de la Renaissance et aussi au chant impliquant simultanément plusieurs personnes. Donc, nous avions dû former des gens pour qu’ils puissent le faire et ça a pris beaucoup de temps. Aujourd’hui le marché est vaste pour ces chanteurs. Ça marche très bien.
PAN M 360 : Aviez-vous une idée de ce qui s’était passé il y a 500 ans, point de vue vocal? Comment pouvait-on rester fidèle à ce style vocal puisqu’il n’existe (évidemment) aucun enregistrement pour en témoigner?
PETER PHILLIPS : Vous avez absolument raison. Je n’ai jamais prétendu que notre son soit authentique. On a lu les partitions de l’époque et on a essayé de la chanter d’une manière qui soit super adaptée aux consignes des partitions. Mais nous ne pouvons aucunement prétendre que nous sachions que c’est comme ça que ça sonnait à l’époque. Alors nous avons dû l’inventer d’une certaine manière.
PAN M 360 : Quant au personnel actuel des chanteurs, est-ce le même noyau depuis longtemps ?
PETER PHILLIPS : Ils étaient plus âgés que moi quand nous avons commencé en 1973. Nous avons fait environ 25 ans avec sensiblement les mêmes personnes. Puis j’ai commencé à observer que leurs voix vieillissaient et je les ai alors remplacés par des jeunes. Aujourd’hui, le groupe est beaucoup plus jeune que moi.
PAN M 360 : On peut néanmoins parler d’une évolution lente et sûre.
PETER PHILLIPS : Notre style est bien connu. Grâce à tous nos enregistrements, les chanteurs ont pu l’intégrer en les écoutant. Aujourd’hui je n’ai pas vraiment besoin de leur dire quoi faire parce qu’ils savent.
PAN M 360 : On peut comprendre, vous formez une véritable institution, la référence est très claire. Et ce programme en est une très bonne illustration. À la différence des débuts, toutefois, on constate que la musique contemporaine ou moderne s’accorde très bien avec la musique ancienne.
PETER PHILLIPS : Si vous pouvez chanter de la musique ancienne comme celle de Palestrina, vous avez réussi une sorte d’examen parfait pour bien saisir la musique de la Renaissance. Vous avez toutes les techniques de base dont vous avez besoin. Si vous pouvez jouer toutes ces gammes et ces arpèges de façon très précise, clairement dans le temps, alors vous pouvez aussi jouer de façon brutale, vous pouvez aussi jouer des musiques beaucoup plus récentes.
PAN M 360 : Pouvons-nous commenter l’aspect musique ancienne de ce programme?
PETER PHILLIPS : Selon moi, ils représentent des angles différents de leur époque mais ce ce sont tous grands compositeurs de la Renaissance. À commencer par Lassus, pas si célèbre mais un merveilleux compositeur. Josquin des Prés est mort en 1521, nous avons commémoré ce 500e anniversaire l’an dernier, nous lui avons fait une place spéciale dans nos exécutions. Quant à Virgo Prudentissima est un motet très excitant pour nous de Heinrich Isaac qui fait appel à la Vierge pour protéger l’empereur Maximilien Ier et le Saint-Empire romain germanique. Enfin, les motets Maria Magdalene et Ave virgo sanctissima ont été composés par Francisco Guerrero, alors reconnu comme celui ayant le plus écrit pour la Vierge. Son Ave virgo sanctissima fut considéré comme un modèle par tant de musiciens.
PAN M 360 : Et si nous passons à la musique de notre temps, outre Arvo Pârt il y a Stravinsky.
PETER PHILLIPS : Exilé à Berlin, il avait commencé à composer de courtes pièces pour chœur sans accompagnement basées sur des textes en latin tirés des rites orthodoxes. Je ne peux affirmer qu’il était un croyant fervent et… ce n’est pas si important car on aime cette musique. Il est toujours très intéressant de se référer à des textes sacrés. De toute façon, que l’on y croie ou non, cela fait toujours partie de notre culture et de notre patrimoine.
PAN M 360 : Et vous êtes probablement un collègue de Matthew Martin!
PETER PHILLIPS : Il l’est, en effet! Il est un très bon compositeur, ses musiques sont parmi les meilleures que nous faisons. Et il a juste mentionné un jour qu’il a avait écrit une variation sur la Vierge sainte, ce motet Sanctissima.
PAN M 360 : Généralement, la réponse du public à ce type de répertoire est excellente, car la voix n’est pas travaillée à la manière du 19e siècle et donc se rapproche des voix « naturelles » de la musique populaire.
PETER PHILLIPS : Remarquez qu’au 19e siècle, le public appréciait beaucoup ces voix travaillées du chant lyrique. Puis quand nous avons commencé dans les années 60 et 70 nous avions l’air d’étudiants qui ne chantaient pas encore correctement. Aujourd’hui, il y a une grande expertise, une expertise généralisée aujourd’hui.
PAN M 360 : En témoignent les Tallis Scholars qui vous gardent jeune et en santé !
PETER PHILLIPS : Nous avons donné 86 concerts cette année. C’est beaucoup. Et nous serons très occupés en 2023, année de notre 50e anniversaire ? Nous allons parcourir le monde, nous allons revisiter notre répertoire, nous pourrons même compter sur un film documentaire à notre endroit. Et oui la musique garde jeune et en bonne santé, je suis absolument d’accord!
THE TALLIS SCHOLARS SE PRODUISENT MARDI 13 DÉCEMBRE, 19H30, SALLE BOURGIE. INFOS ET BILLETS ICI