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(Crédit photo : Diana Seifert)
Ce 4 septembre 2020, The Pineapple Thief lance Versions of the Truth sous étiquette Kscope, réalisé par le chanteur et guitariste Bruce Soord, le claviériste Steve Kitch, le bassiste Jon Sykes et le batteur Gavin Harrison. Les chansons sont traversées par le thème de la vérité en cette époque trouble où les faits alternatifs pullulent et supplantent quotidiennement les faits objectivement démontrables. Joint en Angleterre, Bruce Soord nous en cause.
PAN M 360 : La formation Pineapple Thief existe depuis 1999, moult fans de prog portent ce groupe en haute estime pour ses qualités chansonnières et la venue du superbatteur Gavin Harrison vers 2016. En 21 ans d’existence, le groupe britannique ne s’est produit qu’une seule fois à Montréal, soit au Théâtre Corona en novembre 2019, pourquoi donc ?
BRUCE SOORD : « Pendant des années, j’étais seul à créer les chansons et les albums du groupe. Au fil du temps, nous avons commencé à nous produire devant public. Pendant des années, The Pineapple Thief est resté plus ou moins confidentiel mais nos opérations ont pris un peu plus d’ampleur à chaque nouvelle sortie d’album. Les choses ont vraiment changé il y a quatre ans, lorsque le batteur Gavin Harrison (King Crimson, Porcupine Tree) s’est joint au groupe. Oui, la route a été longue, mais je ne m’en plains pas. »
PAN M 360 : L’impact de Gavin Harrison est donc considérable, comment voyez-vous son apport au sein du groupe ?
BS : « Quand Gavin a joint The Pineapple Thief, nous pensions que nous étions plutôt bons dans ce que nous faisions… puis nous avons réalisé qu’il fallait vraiment nous améliorer. Nous avons dû travailler très dur sur nos spectacles. J’ai cherché à améliorer ma voix, j’ai pris des cours de chant. Nous savions que nous avions une vraie chance de réussir et nous l’avons saisie. Quand nous avons fait notre première tournée avec Gavin, j’ai observé la réaction du public qui le regardait jouer. Il m’éclipsait complètement ! (rires) Par la suite, nous avons passé beaucoup de temps ensemble en tourner à échanger des idées.
« Maintenant, je connais Gavin Harrison en tant que personne et en tant qu’artiste, pas seulement Gavin Harrison le célèbre batteur blablabla. Nous avons une relation tout à fait naturelle maintenant. Sur scène, il est enjoué, il aime même me taquiner quand je me trompe… The Pineapple Thief peut non seulement compter sur un nouveau et formidable batteur mais aussi sur un partenaire de création. Lorsque j’écris une nouvelle chanson, je m’arrête délibérément pour en faire part à Gavin, qui me transmet alors ses commentaires et ainsi de suite. C’est une relation qui a vraiment porté fruit. »
PAN M 360 : Après plusieurs années de travail, les niveaux de composition et d’exécution ont donc été rehaussés considérablement au sein de Pineapple Thief, peut-on parler d’une renaissance ?
BS : « Absolument ! Cette renaissance de Pineapple Thief ne concerne pas que moi, mais tout le groupe, et je crois que c’est vraiment important. On ne travaille plus de la même façon qu’auparavant et cela me laisse moins de place pour moi en tant qu’artiste solo. Le nouveau Pineapple Thief est le résultat d’un travail collectif, mais ce n’est pas un comité ou une démocratie pour autant. Il faut trouver les bonnes personnes avec qui s’associer, les chansons peuvent alors être poussées plus loin si d’autres personnes y travaillent. C’est ce qui ressort de notre nouveau disque, notre performance est celle d’un groupe plus cohérent. »
PAN M 360 : Peut-on même parler d’un âge d’or pour The Pineapple Thief, aussi longtemps après sa fondation ?
BS : « Ça me semble incroyable que nous obtenions un succès international après tant d’années d’existence. Pour un groupe de 21 ans, c’est assurément inhabituel. Avec ce nouvel album, on sent que le groupe est plus homogène. C’est assez incroyable que nous soyons devenus tout récemment un groupe à succès dans le monde entier. Cela doit être assez inhabituel pour un groupe de 21 ans. Je touche du bois car c’est une grande période pour The Pineapple Thief. Oui, nous en profitons pleinement, malgré la pandémie. Puisque notre tournée nord-américaine a forcément été reportée, nous retournons en studio pour un projet qui sortira dans un an environ. Je vais probablement enregistrer un nouvel album solo également. Il faut profiter au maximum de la situation. »
PAN M 360 : The Pineapple Thief est associé au style prog rock, qu’est-ce que ça signifie pour vous ?
BS : « Aujourd’hui, je suis plus relax en ce qui concerne mon allégeance au rock progressif et ce que ce genre représente. Je suis heureux de faire partie d’un groupe de rock progressif, mais c’est un territoire tellement vaste, il y a tant de sous-genres et de styles ! Pour ma part, l’approche n’a pas vraiment changé depuis mes débuts : je prends ma guitare, je mets une chanson en chantier. Personnellement, j’aime qu’un enregistrement me mobilise. Ça prend une chanson, une accroche. C’est pourquoi je n’aime pas les musiques trop techniques, je n’aime pas ajouter aux chansons de longues sections instrumentales juste pour que ça fasse prog.
« En même temps, je ne veux pas être un simple auteur de chansons pop superficielles. Je veux de la profondeur, je veux qu’il y ait de la substance dans les chansons. Trouver l’équilibre est un vrai défi. Maintenant, je suis heureux parce que je sens que nous avons trouvé notre son; nous ne nous aventurons pas dans le métal progressif, par exemple, nous ne misons pas sur le shredding à la guitare. Certains groupes le font très bien, pas nous. Nous ne serions pas très doués pour cela. En fait, nous sommes un groupe rock plus conventionnel, mais qui s’apparente au rock progressif actuel. C’est ce que j’essaie de perfectionner depuis 20 ans, en concevant des chansons qui créent un lien viscéral avec les gens. »
PAN M 360 : The Pineapple Thief ne correspondrait donc pas à l’idée d’un rock progressif auquel plusieurs fans souscrivent, n’est-ce pas ?
BRUCE SOORD : « Les fans de rock progressif verraient leur style comme supérieur aux autres. Il faut être plus complexe, plus intelligent, amener l’auditeur dans des territoires plus exigeants. Personnellement, je me méfie de cette perception de supériorité, même si notre style nous permet de nous aventurer dans n’importe quel territoire musical. Je rappelle d’ailleurs que nous avons déjà enregistré avec d’importantes sections de cordes. Je sais que le prog implique souvent des croisements avec la musique classique, qu’il intègre des séquences instrumentales longues et complexes. Or, ce n’est pas ce que nous faisons. Nous devons créer une bonne chanson avant de l’emballer. Bien sûr, certaines des productions du dernier album sont assez atmosphériques, parfois dramatiques, elles comportent aussi des avancées électroniques mais… Il faut que je puisse toujours jouer toutes les chansons avec une guitare acoustique. C’est la clé. »
PAN M 360 : Les détracteurs du prog dénoncent l’immobilisme relatif de la forme prog, souvent enlisée dans les années 70 et 80, comment y échapper ? Quelles sont les avancées possibles ?
BS : « L’avancement de la musique électronique est important pour nous, nous essayons de tirer parti de ces innovations. À ce titre, nous ne pouvons pas faire grand-chose de neuf avec les formes des années 70, avec guitare, claviers analogiques, basse et batterie, mais cela ne veut pas dire qu’il faille tout jeter. Tous ces instruments ne sont que des outils. Dans ce nouvel album, en fait, je me suis intéressé à de nouvelles façons d’enregistrer et de traiter la guitare, à l’atmosphère, j’ai voulu faire en sorte qu’un groupe « traditionnel » soit pertinent dans le monde d’aujourd’hui, sans succomber à la surproduction.
« Parce qu’en studio nous enregistrons live, je me demande toujours de quelle façon nous allons nous y prendre sur scène. Ça doit aussi être super en live parce que Steve va faire ceci au clavier et Gavin va faire cela à la batterie, et ça va marcher. Je continue à ajouter, à essayer des choses, jusqu’à ce que tout le monde soit d’accord dans le groupe. Parfois, quand j’essayais des choses qui ne fonctionnaient pas, je revenais à ce que j’avais fait au départ. C’est un peu un processus d’essais et erreurs pour arriver au résultat escompté. Le beatmaking électronique et l’enregistrement instrumental se rejoignent en quelque sorte. »
PAN M 360 : Les textes de Versions Of The Truth ont été écrits dans une période pour le moins trouble de l’Occident, comment les thèmes ont-ils été déclinés ?
BS : « La chanson-titre de l’album a été écrite en octobre 2018. C’est alors qu’est venue cette idée de Versions of The Truth, une thématique qui me semble très pertinente aujourd’hui en raison de l’état du monde, de la désinformation, de la polarisation sociale, de la fragilité des relations humaines. C’est une époque très étrange, s’y affrontent différentes visions que les gens se font de la vérité. Ils croient fermement en leur perception de la réalité, mais il ne s’agit que d’une des versions de la vérité, c’est pourquoi ils se disputent, se chamaillent, se brouillent avec leur amoureux ou leur amoureuse, leurs amis. Tout est déformé et cela m’inspire. Il y a beaucoup à écrire sur ce sujet. »
Faits alternatifs… vérités alternatives… prog alternatif.