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Le geste ici posé est qualifié de « vivant », « non-linéaire », « réparateur », « transformateur », « créateur ».
De Julie Richard, l’ambitieux projet Black Ark a pour objet de reconstituer les fragments de compositions de musiciennes d’ascendance africaine, ayant évolué majoritairement aux États-Unis un siècle plus tôt. Non seulement Black Ark s’applique-t-il à retrouver et montrer, mais encore mène-t-il des des initiatives de réactualisation et de revalorisation.
Malgré leur double oppression, soit étant femmes et noires à une époque de lourde ségrégation raciale et de sexisme généralisé toutes races confondues, des compositrices africaines américaines avaient néanmoins tenté d’imposer leur vision et leur sensibilité propres.Julie Richard est de celles qui s’appliquent à les inscrire un fois pour toutes dans la grande histoire de la musique.
Vu les piètres conditions de création à l’époque, les œuvres débusquées peuvent avoir été décomposées au fil du temps, en plus d’avoir été oubliées. Le travail de Blak Ark devient forcément une « conversation » avec ce qui reste de ces œuvres, dont l’issue est de leur redonner la cohérence et la place qui leur revient.
Ainsi donc, Blak Art devient Orchestra et témoigne de cette reconstitution. Enregistrée dans différents lieux et avec différentes section de l’ensemble dirigé par Julie Richard, cette exécution captée en format audiovisuel met en lumière une partition qui retrouvera son public.
Il s’agit d’une œuvre de Shirley Graham Du Bois ( 1896-1977), compositrice, écrivaine, intellectuelle, femme de théâtre, militante des droits civiques. Il est ici question de son opéra en trois actes composé en 1932 Tom-Toms: An Epic of Music and the Negro. Sa reconstitution fait ainsi l’objet d’un film, dont certains extraits seront « augmentés » sur scène par certaines interventions dirigées par Julie Richard.
Voilà qui tombe sous le sens : cette année, les Suoni per il Popolo ne sont-ils pas programmés par une équipe essentiellement composée de femmes, fait absolument unique dans l’écosystème musical montréalais? Julie Richard se trouve d’ailleurs parmi les programmatrices de ce festival très proche des valeurs de PAN M 360, soit pour son éclectisme extrême, du punk hardcore à la musique contemporaine écrite.
Musicienne, compositrice, artiste multidisciplinaire et animatrice culturelle engagée notamment dans la psychologie d’intervention et la gestion artistique, Julie Richard évolue sur les scènes montréalaises depuis une vingtaine d’années. Elle s’intéresse au jazz, à la pop, aux musiques expérimentales, aux musiques d’ascendances africaine, tzigane, juive, créole, on en passe.
Vivement une conversation avec Julie Richard!
PAN M 360 :Quelle fut la motivation originelle de Blak Ark?
JULIE RICHARD : Il y a environ huit ans, j’ai décidé d’entreprendre une recherche pour trouver des archives sur des compositrices africaines et américaines en musique classique, parce que je trouvais louche qu’il n’y en avait pas… alors qu’il y en avait finalement. De fil en aiguille, j’ai retrouvé des pièces qui n’étaient jamais finalisées, puis j’ai entendu la rumeur de cette partition de Shirley Graham Du Bois. Quand je suis tombée sur le portrait de cette femme, je me suis dit « Il me faut absolument m’approprier cette pièce ».
PAN M 360 : Comment l’avez-vous repérée?
JULIE RICHARD : À la Nouvelle Orléans, j’avais discuté avec la responsable de la librairie de l’université, elle m’avait dit « Écoute, ce serait pour toi intéressant de contacter la librairie de l’université Harvard, car on y trouve une partition de l’opéra Tom-Toms de Shirley Graham, écrite à la main. » J’ai finalement contacté le libraire là-bas, il m’ a envoyé ce qu’il avait.
PAN M 360 : Shirley Graham avait-elle beaucoup composé?
JULIE RICHARD : Très peu en fait. Son parcours musical s’était terminé abruptement. À la base, elle écrivait pour le théâtre, elle écrivait aussi des librettos pour l’opéra. Mais elle avait déchanté de l’impact qu’avait la musique sur les phénomènes sociaux. Elle avait alors décidé de se consacrer davantage à la littérature qu’au théâtre et la musique.
PAN M 360 : Alors on se concentre sur Tom-Toms. Comment cette œuvre a-t-elle été reconstituée ? Qu’avez-vous fait avec cette partition écrite à la main?
JULIE RICHARD : J’ai étudié la partition, j’ai fait des recherches sur ce qu’on a fait et j’ai vu qu’il y avait des gens avaient déjà travaillé sur cette partition. J’ai alors éliminé toutes les sections qui avaient déjà été présentées et me suis concentrée sur ce qui devait à mon sens être réarrangé et complété, parce que je n’avais probablement pas la dernière version de cette œuvre. Je me suis alors concentrée sur les mouvements que personne n’avait refaits, soit tous ces mouvements peut-être trop exigeants techniquement.
J’ai donc refait l’orchestration à partir d’une partition de base et de notes écrites à la main, des choses comme« ici, il y a une clarinette». C’était quand même assez sommaire, mais c’est une œuvre classique. On pouvait intuitivement imaginer ce qui pouvait compléter.
PAN M 360 : Vous avez donc fait votre propre extrapolation !
JULIE RICHARD : Absolument. Pour avancer, j’ai fait appel à des collègues : Olivier Saint Pierre a contribué aux arrangements. De mon côté, j’’ai aussi fait des arrangements à la main qui ont été transcrits par des copistes, soit Brigitte Dajczer et Tim S.Savard.
PAN M 360 : Ça implique combien d’artistes pour l’exécution ?
JULIE RICHARD : On a un orchestre de 48 musiciens, une chorale de 11 voix, 2 solistes, 5 danseurs. En tout, 75 personnes ont été mobilisées sur cette production.
PAN M 360 : C’est quand même gros! Comment avez-vous pu financer ça ?
JULIE RICHARD : J’ai obtenu une bourse du Conseil des arts du Canada pendant la pandémie, pour faire une captation. C’est pourquoi présentons d’abord cette exécution à travers un petit film. Pour l’instant, c’est absolument impossible à présenter sur scène, vu les sommes nécessaires pour y parvenir. Nous avons dû, d’ailleurs, enregistrer l’œuvre en différentes sections dans différents lieux – Ausgang Plaza, Maison de la culture Saint-Laurent, Black Theatre Workshop. Pour l’événement de samedi à la Sala, j’ai choisi d’exécuter sur scène certains segments pour en augmenter la projection du film.
PAN M 360 : De quelle façon l’œuvre est-elle déclinée?
JULIE RICHARD : On y parle notamment de musiques rituelles; on a des tambours qui se parlent, qui attirent du coup l’attention du peuple sur une grande tragédie en cours. Les rythmes binaires peuvent être croisés avec les ternaires, comme en Afrique de l’Ouest notamment.Une autre partie de l’opéra se fonde sur les spirituals. Des questions sont soulevées par la compositrice « Qu’est ce qu’on est en train de faire ? Jusqu’à quel point avons-nous perdu nos référents ? Devons-nous rentrer en Afrique? Il y a ce concept de panafricanisme dont Shirley Graham fut une militante subtile.
PAN M 360 : Pour les captations en différents lieux, c’est vous qui dirigez?
JULIE RICHARD : Oui, je suis cheffe d’orchestre. Je n’ai pas étudié la direction d’orchestre, mais je dirige des ensembles depuis l’âge de 12 ans, soit à l’époque où j’étais dans les corps de clairons et tambours. Par la suite, j’ai étudié la musique classique et le chant lyrique.
PAN M 360 : L’exécution est-elle assurée par des musiciens classiques?
JULIE RICHARD : Ce ne sont pas des artistes qu’on a l’habitude de retrouver dans ce type de production. Plusieurs ont eu une éducation classique mais sont aussi associés à d’autres formes musicales comme la soul et le hip-hop. C’est bien qu’ils aient la possibilité de s’exprimer dans un tel contexte.
PAN M 360: Le contexte des Suoni, on s’en doute bien !