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De ce côté de la flaque, on avait un peu perdu la trace de cet Helvète, chevelu Bernois s’exprimant en langue locale mais aussi en français depuis l’époque de son tube Déjeuner en paix, lancé au tournant des années 90 sur l’excellent album Engelberg.
Des deux côtés de la flaque, plusieurs musicophiles francophones – on pense ici à celles et ceux ayant traversé leur jeune vie adulte dans les années 80-90 – avaient suivi les transhumances de Stephan Eicher. Puis, pop culture oblige trop souvent, on passait à d’autres sujets. Ainsi, il était devenu un souvenir jusqu’à ce qu’on nous propose cette interview avec l’auteur, compositeur et aussi interprète d’écrivains de haute volée tels Philippe Djian et Martin Suter.
Ode, son 17e album studio, a été lancé fin octobre. On reconnaît la patte, on retrouve ces références pop de création, cyber-folk de chambre assorti d’arrangements fins et entrelardé de tensions rock.
On nous propose cette interview, quasi une vie après la série de conversations tenues avec le chanteur. Ben oui pourquoi pas?! Un appel interurbain est planifié. Il est alors permis de renouer avec un passé lointain et un réel présent.
De l’autre côté de la flaque, Stephan Eicher reprend contact avec ce côté-ci.
PAN M 360 : Hello Stephan! Je ne sais pas si tu te souviens, on s’est parlé quelques fois jadis et on ne s’est pas parlé depuis près de 30 ans. Mais.. we are still around!
STEPHAN EICHER : Ah c’est toi Alain! Oui 30 ans… on a un peu grisonné!
PAN M 360 : À condition d’avoir encore des cheveux, ce qui n’est plus exactement mon cas, ha-ha!
STEPHAN EICHER : Je me souviens encore du Spectrum…
PAN M 360 : Le Spectrum n’existe plus. Il a été remplacé par deux tours de 60 étages!
STEPHAN EICHER : Ha! La vie moderne… De mon côté, en tout cas, je prends chaque année avec plaisir.
PAN M 360 : Très content de te l’entendre dire! Alors puisque nous y sommes de nouveau, commençons par les textes de ce nouvel album, majoritairement écrits par Philippe Djian. Cela nous indique que tu est resté fidèle à l’auteur depuis tes débuts professionnels, lui de même avec toi.
STEPHAN EICHER : Ce serait un peu bête de le changer non? Son écriture me va parfaitement. Je ne vois pas quelqu’un d’autre en France qui me convienne autant. Je ne vois pas pourquoi je changerais le meilleur en ce qui me concerne. Avec Antoine de Caunes, le journaliste qui nous avait présentés, c’est l’ami français le plus fidèle. Ça se ressent dans l’écriture, car il écrit vraiment pour ce que je sais faire, pour ce que je sais chanter et il n’écrit pas pour ce que je ne sais pas chanter. Chaque fois qu’on travaille ensemble, on s’amuse à se surprendre et à sortir de nos cases.
PAN M 360 : Semble-t-il que tu as été très productif pendant la pandémie. Raconte!
STEPHAN EICHER : J’ai fait trois disques pendant la pandémie, dont un pour Salvatore Adamo, un autre avec Martin Suter et le mien avec Philippe Djian. On a vraiment travaillé fort pendant la pandémie! On ne pouvait se retrouver dans les lieux publics, on devait louer des chalets et des manoirs dans les alpages suisses. J’ai pu alors travailler avec d’excellents musiciens.
PAN M 360 : Vis-tu de nouveau en Suisse?
STEPHAN EICHER : J’habitais en Camargue depuis un bon moment, une douzaine d’années. Je suis rentré en Suisse pour accompagner mes parents qui étaient très vieux et qui sont tous deux morts pendant la pandémie. Ce n’était pas simple. Pour l’instant, je vis provisoirement en Suisse, chez des amis qui m’ont prêté un appartement. La prochaine étape sera l’Italie où je compte m’installer avec ma famille. J’ai vendu la maison de Camargue pour produire cet album, je me retrouverai bientôt en Italie. J’ai un plan pour passer un an à Venise.
PAN M 360 : Prenons quelques chansons de cet album pour en comprendre un peu la gestation.
STEPHAN EICHER : Ah! D’accord.
Autour de ton cou fut la première chanson écrite avec mon pianiste et multi-instrumentiste hollandais Reyn Ouwehand, excellent musicien qui a d’ailleurs fait tous les arrangements et orchestrations. J’habitais encore en Camargue et il était venu pour deux ou trois jours pour commencer le travail. Il avait sorti son téléphone en mauvais état et m’a fait écouter un extrait d’une musique. La mélodie, très mélancolique, était mal enregistrée mais elle m’a vraiment touché. Je l’ai soumise à un programme informatique qui en reproduirait les notes. Le tout fut ensuite recraché dans mes vieux synthés qui traînaient dans mon studio. Puis un texte de Philippe est apparu, je l’ai chanté sur cette musique, j’ai conservé la deuxième prise. Tout ça est venu comme un cadeau! Ce n’était pas du travail et c’est très rare que ça se produit.
Le plus léger au monde est une adaptation que j’ai faite d’une chanson allemande composée par un obscur groupe indie rock de Hambourg, qui exprime exactement ce que je voulais partager. Ça raconte quelqu’un qui se réveille et qui ne sait pas où il a dormi. Le lit semble être un lit d’hôpital, la personne qui se lève doit alors réapprendre à marcher et à parler. C’est une renaissance. Après la pandémie, j’ai eu ce sentiment de renaissance. Dans la deuxième partie de cette chanson, j’écris le sentiment d’un ado lorsqu’il branche une première fois la guitare dans un ampli et que ça fait un feedback. Il s’exclame « Yes, c’est ça que je veux faire dans la vie »! Et il fait sa première chanson à deux accords avec son premier groupe de rock. Cette chanson me rappelle pourquoi j’apprends encore à vivre à travers la musique, ce bonheur créatif, cette rencontre de gens inspirés.
Dernière chanson de l’album, Éclaircie suit la chanson Orage. Il y a aussi cet orage qu’on a traversé et qui n’est pas fini, lorsqu’on voit ce qui se passe en Ukraine. Je crois néanmoins que le ciel finit toujours par s’ouvrir. Qu’il y a toujours une éclaircie. J’essaie de le dire d’une manière à la foie mélancolique et lumineuse. Il faut rester plutôt optimiste, on n’a pas le choix.
PAN M 360 : Cet album illustre une fois de plus que tu aimes à la fois le lo-fi et la sophistication orchestrale.
STEPHAN EICHER : Oui, je crois que les partitions lisses et soignées d’un orchestre doivent être accompagnées par une guitare qui égratigne en contrepoint. Pour illustrer la lumière, il faut choisir une pièce noire et allumer une bougie! Travailler avec les extrêmes, ça fonctionne pour moi, j’aime qu’une chanson très basique se complète par des arrangements fins et soignés.
PAN M 360 : Arrive l’âge de 62 ans, ton âge. Bon pour toi? Bon pour ton esprit créateur?
STEPHAN EICHER : Depuis que j’ai 16 ans, je traîne un carnet dans lequel je note mes idées au fur et à mesure. J’y note mes concepts, mes idées, les choses que j’aimerais réaliser, comme la tournée actuelle qui s’accompagne de tours de magie, ou encore m’accompagner d’une fanfare bernoise. Or, j’ai beaucoup trop d’idées pour les années de vie qu’il me reste, alors je dois faire des choix dans mon carnet. Je ne pourrai jamais tout faire ce que j’ai en tête. Mais jusque là, je suis heureux d’avoir fait ce que j’ai fait et j’apprécie même les rares moments où je n’ai rien en tête, en attendant la prochaine connerie qui me traversera l’esprit.
PAN M 360 : Et quelle est la dernière connerie qui t’a traversé l’esprit?
STEPHAN EICHER : Ma nouvelle tournée implique des tours de magie, j’y cache des instruments, des artistes apparaissent, c’est une sorte de cirque où je m’amuse vraiment. L’idée de ce divertissement m’est venue parce que nous sommes aujourd’hui dans la merde. Alors je parle d’abord aux dieux je les interroge sur tout ce bordel et ils avouent qu’ils ne savent plus. Je leur dis alors que je trouverai un magicien qui nous sortira de ce merdier… en intervenant dans mon spectacle. Ainsi, nous sommes quatre musiciens sur scène, dont une harpiste connectée à de l’électronique. Ces musicien-nes sont beaucoup plus jeunes que moi, ils sont détachés de mon monde et c’est pourquoi je leur ai demandé de choisir les chansons du concert, afin d’avoir un regard neuf. Les magiciens? Ils sont cachés et je prends le crédit, ha-ha!
PAN M 360 : Tu as toujours travaillé avec l’électronique, de concert avec l’instrumentation acoustique ou électronique.
STEPHAN EICHER : Oui, et j’ai même une carrière secrète en musique électronique. Je signe sous un pseudo, et personne ne sait que c’est moi. Je compose pour le théâtre ou le cinéma sous ce pseudo, sans que les gens sachent que c’est moi. Pour ce faire, j’ai une collection d’instruments électroniques, de vieux synthés genre Mini Moog, Korg MS-20, Akai S700, boîtes à rythmes ou synthétiseurs modulaires plus récents. J’ai tout gardé, depuis mes débuts, et j’utilise ce matériel sans faire appel aux ordinateurs. Tout est analogique, on est tout de suite à la maison.
PAN M 360 : Comment situer l’album Ode dans ton entière discographie, dans ta démarche globale?
STEPHAN EICHER : Mon répertoire existait sans cet album. Les gens qui cherchent des chansons de Stephan Eicher les trouvent. Alors pour ajouter à cette petite montagne de chansons, il fallait que le nouveau matériel soit pertinent et exprime clairement ma vision des choses. Je suis encore vivant, j’ai encore beaucoup de plaisir à écrire de la musique et à chanter chaque jour. J’adore mon métier, c’est ma vie.