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Sophie Lukacs est née en Hongrie, a grandi à Toronto, a fait de Montréal sa maison (ainsi que toute sa famille) et de la kora sa nouvelle vie. La jeune artiste formée au violon classique a traversé un passage à vide au début de l’âge adulte, un périple qui l’a amenée à réécrire complètement le livre de sa vie et faire de la kora, cette guitare-harpe africaine d’une beauté envoûtante, le socle d’une vie musicale désormais épanouie et florissante.
Elle a dû tout réapprendre, marcher sur son orgueil de musicienne classique ultra performante et devoir se mesurer à des enfants de 5 ans qui jouaient déjà mieux qu’elle. Elle a habité le Mali pendant près de 8 ans, immergée dans la culture des griots, seule de son « ethnie » (blanche), et seule de son genre (femme) osant affronter les exigences d’un apprentissage musical autant enraciné dans la méthode et la technique que la communication, l’histoire et la tradition orale.
Qu’elle soit aujourd’hui respectée et appréciée des grands maîtres de cette musique exceptionnelle témoigne de la force du caractère de la jeune femme qui se révèle de plus en plus comme une voix importante et unique de la scène artistique. J’ai eu le grand plaisir de discuter un brin avec Sophie Lukacs, l’une des rares femmes, occidentale de surcroît, à maîtriser la kora et la musique mandingue classique dans un métissage dignement montréalais où une folk-pop caressante vient habiller toute la richesse des apprentissages vaillamment réalisés.
PAN M 360 : Bonjour Sophie. Vous avez appris le violon durant plus de 15 ans, jusqu’à faire des études sérieuses à McGill. Mais, un jour, vous avez arrêté et vous êtes allée vivre auprès d’authentiques griots en Afrique pour apprendre la kora. Vous avez recommencé à zéro. Pourquoi et qu’est-ce qui vous a donné la force d’affronter une telle remise en question à l’âge adulte?
Sophie Lukacs : La force, on la puise dans son vécu, mais dans sa passion aussi. La kora et l’apprentissage de tout un nouveau répertoire, une nouvelle culture musicale, sont arrivés à un moment où j’en avais besoin. Après des années d’études classiques, je me sentais un peu perdue, incertaine de la direction à prendre pour le reste de ma vie. Puis quand j’ai habité un temps à New York, j’ai découvert la kora, et j’en suis devenue obsédée. Sans arrêt. Mais je n’osais pas tout remettre en question dans ma vie. Je suis née en Hongrie, et dans cette culture, dans ma famille, on apprend un instrument et on perfectionne sa pratique toute notre vie. Je me demandais comment je pourrais faire pour reprendre pratiquement à zéro l’apprentissage d’un instrument, comment je pourrais vivre, qu’est-ce que je ferais, etc. Mais un jour je me suis lancée. Et ça n’a pas été facile! Je me retrouvais, jeune adulte, à me sentir moins bonne que des enfants de 5 ans qui en jouaient. J’étais au Mali (où j’ai vécu plusieurs années), seule car je ne connaissais personne, blanche occidentale, femme, qui souhaite apprendre un art millénaire exercé uniquement pas des hommes qui viennent de familles qui exercent cet art depuis des générations. Je ne parlais pas la langue, j’ai attrapé la typhoïde, le paludisme, et je-ne-sais-quoi encore… Mais, malgré tout, pour répondre à votre question, la force que j’ai utilisée, je suis allée la chercher dans ma conviction que c’était pour moi le bon chemin, dans la passion qui m’animait et m’anime toujours pour cet instrument et cette culture, et parce que, après des années d’errance, j’ai senti que j’avais trouvé la voie qui me mènerait jusqu’à la fin de ma vie. C’est donc un mix de volonté, de passion et de nécessité.
PANM 360 : Les efforts portent fruits. Vous avez sorti un premier album (Bamako), qui roule fort bien, et vous êtes une régulière de Nuits d’Afrique. Qu’est-ce que cela vous fait d’être reconnue ainsi désormais?
Sophie Lukacs : Je suis toujours étonnée chaque fois que quelqu’un achète un album ou un billet de concert! Être invitée au Festival, its a blessing. On ne sait jamais comment ça va se passer quand on se lance dans ce genre d’aventure. Mais ce qui se passe pour moi maintenant, c’est très beau. Je suis hyper reconnaissante.
PAN M 360 : Vous êtes née en Hongrie, et avez grandi à Toronto. Votre français est très bon. Comment l’avez-vous appris?
Sophie Lukacs : Je suis allé à une école en français à Toronto, mais j’aimais la langue. J’ai lu des livres en français, j’ai regardé des films, etc. Et puis, je suis venu étudier à Montréal pendant plusieurs années.
PAN M 360 : Et vous n’avez jamais quitté…
Sophie Lukacs : En vérité, oui. Quand je suis allé vivre au Mali, c’était après mon arrivée à Montréal. Mais, à ce moment, toute ma famille avait déménagé à Montréal! Nous aimons beaucoup la ville, son caractère européen, sa culture. Alors, quand je suis revenue du Mali, j’étais littéralement de retour à la maison en revenant ici. Et la scène artistique et musicale est excellente. Il y a tellement de musiciens. Tout le monde se croise et se parle. Les opportunités d’échanges et de projet sont nombreuses.
PAN M 360 : Il y a, je trouve, de nombreuses affinités entre la kora, son style de jeu, son répertoire, et la musique classique occidentale. Voyez-vous ces liens potentiels? Êtes-vous intéressée à écrire, éventuellement, des pièces pour kora et, disons, orchestre de chambre?
Sophie Lukacs : Oui, il y a des affinités. La kora exige un long apprentissage, en plus d’avoir un son et un style de jeu raffiné. Ça se prête bien à de la musique en petit groupe, comme la musique de chambre. Et, oui, en effet, la combinaison des deux est à l’agenda car c’est un peu la caractéristique de mon prochain album! Je veux inviter des musiciens des deux mondes, et faire un album dans cette optique.