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Né de parents rwandais, Shadrach Kabango est devenu Shad, soit l’une des artistes les plus éloquents de la diversité canadienne. Depuis le milieu des années 2000, Shad s’est imposé parmi les plus éloquents rappers au pays, un septième album en témoigne, soit l’excellent TAO, paru en ce début d’octobre sous étiquette Secret City Records. Au sein de la gent médiatique, Shad est aussi reconnu pour ses talents d’animateur, il a obtenu des postes importants à CBC et son plus important fait d’armes demeure la série Hip Hop Evolution, produite et diffusée par Netflix.
PAN M 360 l’a rencontré pour faire le point sur sa carrière et son nouvel album.
PAN M 360 : TAO serait le thème central de cet album. Que signifie-t-il ?
SHAD : Pour moi, le côté spirituel du Tao n’est qu’un aspect de ce projet. En fait, le titre fait aussi référence à ce livre The Age of Capitalism Surveillance de Shoshana Zuboff. Cela a vraiment inspiré l’album et ce livre m’a fait penser à The Abolition of Man de C.S. Lewis. Ces deux livres portent l’acronyme TAO dans leur titre, alors… Il faut dire également que The Abolition of Man discute du Tao au sens spirituel du terme. J’ai pensé que ce serait un bon titre parce qu’il fait référence au social, à la philosophie et aussi au spirituel. Et je pense qu’en fin de compte c’est un album spirituel parce qu’il s’agit de connexion.
PAN M 360 : Pouvez-vous commenter ces connexions explorées pour cet album ?
SHAD : J’étais en train de lire The Age of Capitalism Surveillance, un excellent livre, essentiel, vital. Ce livre raconte relate l’histoire des 20 dernières années avec Google et Facebook, et nous rend capables de bien voir à quel point ces entreprises ont changé nos vies, nos mondes, notre humanité, la façon dont nous pensons. C’est un véritable trésor de données! En fin de compte, c’est à nous, les gens, de décider ce que nous voulons, si ces technologies doivent nous servir et servir l’humanité et quelle est notre vision de l’humanité. Et cela m’a fait penser à The Abolition of Man, ce livre a été écrit en 1943. Mais il traite de la technologie et de la science et de ce qui se passe lorsque nous ne sommes réduits à des données analysables, lorsque nous nous considérons comme des objets de la science et non comme quelque chose de sacré. C’est là que la connexion entre les 2 livres s’est produite et m’a vraiment donné envie d’écrire un album sur différents aspects de notre humanité aujourd’hui.
PAN M 360 : Très peu de rappeurs se réfèrent à de tels livres comme une inspiration majeure. Bravo! Mais… comment est-ce devenu une forme d’art ?
SHAD : Pour moi, ce fut un défi créatif amusant et c’est ce dont j’avais besoin à ce stade de ma carrière. Ça m’a sorti du lit tous les matins! Donc oui, j’ai dû transformer ces grandes idées en textes et musique, en quelque chose qui constituait d’abord un sentiment, une émotion. J’aime aussi injecter de l’humour dans ce que je fais, autant que possible. Musicalement, j’aime rester dynamique, pour que ce soit étonnant, dans un monde où l’on ne sait pas ce qui va se produire. En tant que producteur, j’ai essayé de garder les choses intéressantes. Donc oui, c’était amusant pour moi d’essayer de donner vie à toutes ces choses. Et aussi de le diviser en plus petits morceaux, chaque aspect peut être une chanson, suivant ce concept de regarder les différents aspects de notre humanité. Un aspect peut être une chanson, donc c’est digeste de cette façon. Ce sont donc différentes façons que j’ai essayé d’aborder, en m’assurant que ce soit amusant à écouter, que ce soit de la musique.
PAN M 360 : A propos du beatmaking et de la composition, comment as-tu procédé ?
SHAD : J’ai travaillé avec les mêmes personnes en majorité. J’ai suivi le même processus qui consiste à tâtonner jusqu’à ce que j’atteigne le son recherché. Ce qui a changé cette fois, c’est que j’ai abordé la technologie d’une manière différente. Lorsque j’ai présenté la série Hip Hop Evolution sur Netflix, j’ai appris une chose étonnante : le hip hop, c’est d’abord de la musique électronique et représente aussi l’évolution de la technologie. Dans cette série, nous considérons souvent le hip hop comme une terre géographique, à savoir comment la musique a bougé et comment la culture a changé parce que la musique s’est déplacée danss différentes villes et s’est mélangée à différentes cultures. Et c’est aussi l’histoire de la technologie, comme le krautrock et la musique électronique allemande l’ont incarnée dans les années 70. Des boîtes à rythmes et des platines, le hip hop a évolué vers des échantillonneurs plus sophistiqués, et ainsi de suite. Tout ça pour dire que ça m’a vraiment inspiré en termes de beatmaking, même en termes d’approche générale, jusqu’au traitement de ma voix. Dans une chanson comme Slot Machines, j’ai transformé ma voix et j’ai utilisé un tas de distorsions numériques, des trucs qui peuvent sembler incorrects pour les puristes du hip hop. Mais bon le hip hop étant aussi l’histoire de la technologie, je l’adopte beaucoup plus aisément que je ne l’aurais fait il y a 5 ans.
PAN M 360 : Où te vois-tu dans la culture hip hop ?
SHAD : Je dirais que ce que je fais est plutôt traditionnel. Quand j’ai commencé, j’étais étiqueté très alternatif, maintenant je dirais que je suis assez enraciné dans la tradition même si j’expérimente beaucoup. Il y a des chansons sur cet album qui portent un son industriel, d’autres sont un peu rétro années 70. Ça va dans tous les sens et il y a des sons très nouveaux. Mais ce que je fais, comparé à ce que font beaucoup de gens en 2021, est relativement traditionnel, même si c’est expérimental à bien des égards. Par exemple, je ne chante pas vraiment, je rappe, ce qui est différent de beaucoup de hip hop actuel où la ligne est très floue entre ce qui est chant et ce qui est rap. Personnellement, le hip-hop des années 90 est dans mon ADN, j’aime aussi le jazz, le funk, etc. Ce qui caractérise le hip-hop, c’est cette véritable connexion avec l’histoire de la musique. Personnellement, j’aime quand la musique est moderne mais aussi enracinée dans une culture et une tradition. The Roots, Outkast, Tribe Called Quest et d’autres ont toujours procédé ainsi, ils ont intégré la musique avec laquelle ils ont grandi. Ils ont creusé tous les sillons de la musique noire américaine tout en ajoutant une nouvelle pièce à la tapisserie.
PAN M 360 : Entre la tradition et la recherche de nouveaux sons cherches-tu à atteindre un équilibre?
SHAD : C’est ça. Je ne pense pas qu’il y ait une opposition entre ces avenues. Mieux vous êtes enraciné dans l’histoire, plus vous pouvez faire évoluer ses paramètres, car vous avez une meilleure perspective à ce sujet. Et cela m’a toujours enthousiasmé, en tant que compositeur et en tant que fan de cette musique. J’ai toujours voulu explorer, expérimenter et incorporer différents sons de la musique que j’aime hors du hip-hop.
PAN M 360 : Quels sont les collègues cruciaux de Tao?
SHAD : DJ T. Lo a réalisé quelques chansons et demeure mon DJ de tournée; Ric Notes travaille avec moi depuis plusieurs années; pHoenix Pagliacci est une rappeuse, chanteuse et autrice elle trouve des idées très rapidement en studio. Ces artistes sont parmi mes interlocuteurs privilégiés. J’aime aussi me produire avec des musiciens, chacun de mes albums en comprend une douzaine. Concernant l’alignement à venir sur scène, je suis encore en train d’y réfléchir pour la prochaine tournée. Il faudra s’ajuster aux règles de la COVID. Nous ne savons pas si nos dates seront annulées et c’est un gros risque. J’adorerais avoir à mes côtés une trompette, un saxophone, un DJ, une basse, des claviers , un batteur mais… je dois envisager ce qui est possible.
PAN M 360 : Comment faites-vous cohabiter votre vie artistique et votre médiatique en tant qu’animateur et digne représentant de la diversité canadienne?
SHAD : Je considère toujours la musique comme étant au cœur de ce que je fais. Et je pense que c’est la façon dont je peux dire aux gens ce que je pense dans mes propres termes, une façon qui doit régulièrement être mise à jour. Quand on me demande d’animer telle ou telle émission, de représenter quelque chose. Il existe une limite entre ceci et mon art. Je peux devenir un symbole pour certaines choses, tout en ayant un peu d’espace pour dire ce que je pense, c’est toujours une partie importante du puzzle pour moi. Mais ma carrière artistique reste la zone où je me sens le mieux. À l’ère des médias sociaux, je ne suis pas à l’aise pour exprimer mes pensées par ce biais, cela ne capte pas ce que j’essaie vraiment de dire. J’ai besoin de musique, j’ai besoin d’histoires, j’ai besoin de métaphores, j’ai besoin d’espace. Quand j’anime par exemple Hip Hop Evolution, je n’y vois pas vraiment ma plateforme, d’expression, c’est la plateforme du hip hop et non la mienne. J’y agis comme un guide, comme quelqu’un venu pour aider à faire connaître une culture. Il ne s’agit pas de moi et mes histoires. Bien sûr, je suis heureux d’en avoir fait partie, Nous avons terminé la série, nous avons retracé l’histoire du hip hop jusqu’au milieu de la décennie 2000. Il n’y a pas de plan pour une autre saison, je suppose que nous avons besoin de plus de distance. Mais oui, j’aimerais y contribuer si suite il y a.
Crédit photo: Justin Broadbent