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photo: Patrick O’Brien
PAN M 360 : Selon vous, quels sont les changements observables dans votre nouvel album?
Ishmael Butler : Je ne pense pas vraiment en ces termes-là. L’objectif n’est pas d’atteindre un résultat précis, il s’agit davantage de relayer ces choses indicibles, engendrées selon les lois de la nature. Quand on se buzze et qu’on fait de la musique, on génère des vibrations, on traduit des émotions en musique et en mots.
PAN M 360 : Oui mais… au fond de vous, que pensez-vous avoir accompli avec ce nouvel album?
Ishmael Butler : J’ose espérer que ce n’est pas un rabâchage de ce que j’ai fait auparavant, j’essaie toujours de faire quelque chose de différent. J’essaie de grandir artistiquement en intégrant de nouvelles idées, c’est d’ailleurs ce que je fais depuis mon enfance. Vous savez, les artistes ont leur personnalité propre, je ne sais pas vraiment quelle est la mienne et je pense que c’est préférable pour moi de voir les choses comme ça. Je ne qualifierais pas nécessairement ma propre musique de hip-hop « avancé » comme certains le font. Je crois que je ne suis pas en position d’analyser ou définir mais plutôt d’agir. De vivre et de faire des choses, d’avoir l’idée d’une forme et la développer.
PAN M 360 : Plus précisément, comment avez-vous travaillé à la conception de The Don of Diamond Dreams?
Ishmael Butler : Je crée sans cesse des chansons : sur mon ordinateur, en studio, chez des gens après un spectacle, enfin partout où c’est possible. Quand j’ai des temps libres, je compile le travail effectué, puis je le distille en formats plus petits et plus précis. Viennent ensuite les textes, les compléments instrumentaux, la réduction finale et le mixage. Des patterns émergent alors, un son d’ensemble, une atmosphère, un environnement. Le tout s’est échelonné sur une période d’environ un an.
PAN M 360 : Quel est votre équipement de création et comment l’utilisez-vous?
Ishmael Butler : Séquenceur Ableton, guitares, claviers, pédales d’effets, filtres vocaux, instruments à vent, instruments à cordes, basse, percussions, voilà ce que j’utilise. J’achète toujours du nouveau matériel, ça amène de nouvelles idées. Je cherche aussi à rencontrer des artistes qui ont de nouvelles approches, de nouvelles façons de faire. J’aime aussi apprendre à jouer des chansons populaires et comprendre comment elles sont fabriquées, cela me donne mille et une idées. C’est comme une boule de neige qui grossit lorsqu’elle dévale une pente.
PAN M 360 : Devant public, vous produisez-vous avec un groupe de musiciens?
Ishmael Butler : Préférablement oui mais… Si, pour une tournée, on est payé une certaine somme d’argent, on ne peut pas emmener dix personnes, le budget ne le permet pas. La restriction est souvent directement reliée au budget de tournée, mais il y a d’autres considérations aussi. Prenons l’exemple de Flying Lotus avec qui j’ai déjà tourné. Comme il a choisi de proposer une expérience visuelle en phase avec sa musique, il consacre une part importante de ses ressources financières à cet aspect visuel, ce qui implique une simplification de l’exécution musicale. Et vous savez, les fans veulent souvent voir et entendre une seule personne. Mais les choses peuvent changer; nous pouvons voir certains artistes hip-hop ou électroniques sur scène avec de formidables musiciens.
PAN M 360 : Qui sont ceux qui ont collaboré à cet album?
Ishmael Butler : J’ai d’abord composé toutes les musiques, beats et arrangements préliminaires. J’ai ensuite travaillé avec Darrius Willrich, claviers et guitares, Evan Flory-Barnes, bassiste extraordinaire de Seattle, Otis Calvin, claviers, Erik Blood, basse, Carlos Niño, percussion, Carlos Overall, saxophone. Purple Tate Nate, Stas THEE Boss et Carlos Overall font chacun une apparition dans une chanson. Chacun apporte sa couleur à l’ambiance originelle et amène mes chansons ailleurs. J’ai ensuite peaufiné en greffant leur apport à mes chansons. Erik Blood et moi avons ensuite mixé le tout au Studio 4 Labs de Venice avec l’aide d’Andy Kravitz. Nous avons ainsi obtenu une qualité de son comme nous n’en avions jamais eu sur les autres albums de Shabazz Palaces.
PAN M 360 : Pouvez-vous décrire brièvement le propos de trois chansons figurant sur The Don of Diamond Dreams?
Ishmael Butler : Thanking the Girls évoque toutes les femmes magnifiques que j’ai connues et qui ont partagé avec moi leurs expériences et leur générosité. Ad Ventures est dédié aux gens de Black Constellation, c’est ma famille artistique, celle au sein de laquelle je crée et grandis. Reg Walks by the Looking Glasses est dédiée à mon père, qui adore le saxophone.
PAN M 360 : Si l’on s’en tient à vos textes, vous êtes un chroniqueur de la vie publique comme de la vie privée, aucune sphère ne semble l’emporter. Êtes-vous d’accord avec cette observation ?
Ishmael Butler : J’ai l’impression que toutes les choses de la vie, qu’elles soient publiques ou privées, dansent ensemble. Des tas de couches se superposent et constituent notre perception de la réalité. Quand on essaie de prendre du recul par rapport à ses émotions et son expérience de vie, on se rend compte qu’il n’y a pas de ligne de démarcation. Dans mon esprit, il y en a une, mais tout s’imbrique. De prime abord, je ne suis pas hyper solide dans tous les sujets abordés, j’ai plutôt une approche globale. Je suis surtout guidé par mon instinct.
PAN M 360 : Au-delà de l’univers hip-hop, écoutez-vous d’autres musiques?
Ishmael Butler : Oui beaucoup. Nouvelles musiques alternatives, musiques expérimentales, musiques bizarres de tous genres. J’aime la musique en général, ce qui compte, c’est que la chanson soit bonne. Ce que j’écoute en ce moment? Jpeg Mafia, Kamasi Washington, Ariel Pink, Yves Tumor, et des dizaines d’autres! Je parcours les playlists, les podcasts et les vidéos qu’on me fait parvenir. Je m’intéresse aux jeunes. Je ne crois pas que le nouveau hip-hop soit nul ni faible, mais je pense que bien des jeunes artistes hip-hop n’ont pas cette sensibilité que des gens plus âgés comme moi considèrent comme essentielle. Ce qui ne les rend pas moins substantiels pour autant. La valeur d’une œuvre repose sur la responsabilité affective et l’instinct de l’artiste qui observe la réalité. Les gens de mon âge peuvent trouver certaines œuvres récentes vides, répétitives ou dépourvues de créativité… mais ce n’est pas mon cas.
PAN M 360 : Quelle est votre perception générale du hip hop en 2020?
Ishmael Butler : Le hip-hop est une forme moins facile à circonscrire qu’à ses débuts, c’est plutôt devenu un phénomène mondial multigenre. Le terme hip-hop ne peut rendre parfaitement ce phénomène, mais le fait est que, même devenu planétaire, le hip-hop demeure un reflet de son époque. Nous traversons une période à la fois matérialiste, nihiliste, absurde, excessive… et les créateurs hip-hop en sont le reflet à travers leurs créations. Aux États-Unis où je vis, il suffit de regarder notre situation politique, la crise de la pandémie et le crash boursier qui en résulte, le hip-hop en témoignera comme il le fait depuis ses tout débuts.