Serhiy Salov: sur lui, sur son parcours, sur Moussorgski

Entrevue réalisée par Alain Brunet

Ils seront servis, ceux qui aiment la fougue, la musicalité fervente, l’expressivité , le raffinement sans compromis. Passionné ou intransigeant deviennent des euphémismes si on colle ces qualificatifs à Serhiy Salov! Montréalais d’adoption, le pianiste est un incontournable, tant pour notre communauté que pour la planète classique entière.

Genres et styles : classique occidental

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Crédit photo: Julie Beauchemin

On l’observe clairement dans la qualité de ses réponses dans l’entretien qui suit, Salov est à la fois un interprète de taille, un musicologue aguerri, un fin penseur de son propre univers, artiste lucide et ouvert, très critique des mondes qu’il traverse et qu’il a traversés.

Bardé de prix nationaux et internationaux dont le Premier grand prix en 2004 au Concours musical international de Montréal et le prix d’improvisation au même concours dix ans plus tard, le concertiste a travaillé avec de grands maestros, joué aux côtés de multiples orchestres du monde dans différents contextes – saisons régulières, tournées, festivals, etc.  D’abord formé en Ukraine, Serhiy Salov s’est déplacé à Londres pour l’obtention d’une maîtrise à la Guildhall School of Music and Drama. Puis il  traversait l’Atlantique, direction doctorat à l’Université de Montréal.  Il vit toujours dans l’île.

Salov est aussi apprécié pour ses transcriptions pianistiques d’œuvres symphoniques, Casse-noisette de Tchaïkovski, Nocturnes de Debussy, Une Nuit sur le mont Chauve de Moussorgski, pour ne nommer que celles-là… et pour nommer Modeste Moussorgski autour duquel il a construit le récital dont il est ici question, adapté pour piano seul – « Prélude », tiré de l’opéra La Khovanchtchina, Une nuit sur le mont Chauve, Tableaux d’une exposition.

PAN M 360 :  Puisque la musique classique occupe une place extrêmement importante dans votre pays  et zone d’origine, pouvez-vous nous en dépeindre la spécificité de l’enseignement du piano, si on le compare aux formations données ailleurs en Europe, en Occident ou dans le reste du monde?

SERHIY SALOV :  Très intéressant comme question et impossible à couvrir en quelques phrases. La chose la plus fascinante dans tous ces pays slaves est que la majorité des professionnels (que ce soit dans l’enseignement ou dans la pratique d’orchestre) sont vraiment prêts à sacrifier leur temps en dehors de ce qui est mandaté et rémunéré.  L’exemple le plus éloquent : dans un pays post-soviétique, un prof peut même renvoyer son élève non préparé chez lui en lui disant de revenir après avoir répété. Ici,  ceci vaudrait pour le prof de perdre sa rémunération, ou encore d’être accusé d’exercer une pression indue sur l’enfant fragile… Autre chose fascinante dans notre système, le mot « compliqué » est quasiment tabou; aucun morceau, aucun passage ne devrait être décrit ainsi. Comme Sergey Babayan, qui d’ailleurs enseigne à l’Ouest,  a avoué :  » Je demande à mes élèves l’impossible pour tirer le meilleur d’eux. « 

PAN M 360 : Quels ont été vos mentors? Vos professeurs les plus marquants?

SERHIY SALOV :  J’ai le rare privilège d’avoir eu toute une kyrielle de professeurs issus de plusieurs pays – Ukraine, Royaume-Uni, Hongrie, Allemagne, France. Celles et ceux qui m’ont incité à chanter au piano et à surmonter son côté mécanique, m’ont le plus marqué.

PAN M 360 : Quels sont vos compositeurs préférés en tant qu’interprète?

SERHIY SALOF : Je suis omnivore et déplore la catégorisation commerciale des interprètes – des chanteurs italiens qui ne chantent que l’opéra italien, des pianistes russes qui ne jouent que des concertos russes, etc. C’est une tout autre histoire lorsque ceci est désiré par l’interprète lui-même.  

PAN M 360 : Quels sont vos goûts musicaux de manière générale? Périodes préférées? Styles préférés?

SERHIY SALOV :  Dans la voiture, je n’écoute que du rock et du jazz, parfois les hits actuels. L’offre classique à la radio montréalaise est déplorable,  confinée aux  musiques académiques légères…. Je préfère largement les styles ci-haut, avec l’exception de l’opéra Carmen et les valses de Strauss fils.

PAN M 360 : Composez-vous? Improvisez-vous?

SERHIY SALOV : J’ai composé au cours de mon enfance, l’improvisation est omniprésente dans ma vie – j’ai même gagné le volet improvisation du Concours musical international de Montréal en 2014.

PAN M 360 : En tant qu’Ukrainien, comment avez-vous vécu les événements violents avec la Russie ces dernières années?  Comment vous situez-vous dans ce conflit sempiternel?

SERHIY SALOV : Avec beaucoup de peine. On partage tous une condition quand on croit que le pire malheur n’arrive que dans les journaux – suicide d’un proche, accident d’avion d’un membre de famille, une guerre meurtrière dans ta ville natale. Mais ce n’est pas que sans les journaux : des milliers de morts sur les rues de mon enfance (je suis originaire de Donetsk), un aéroport flambant neuf détruit jusqu’aux ruines … des nouvelles CNN au quotidien …

PAN M 360 : Quelle fut la motivation de quitter l’Ukraine, d’aller vivre en Allemagne en Angleterre, au Canada, à Montréal ?

SERHIY SALOV : Mon itinéraire était toujours de l’Est à l’Ouest. Ukraine, Allemagne, Royaume-Uni, Canada. La motivation a toujours été  professionnelle.

PAN M 360 : Comment avez-vous été accueilli à Montréal?

SERHIY SALOV : Avec beaucoup de chaleur et de respect – après tout, j’ai remporté le Premier grand prix au CMIM de 2004.

PAN M 360 : Quel est selon vous l’avantage d’être à Montréal pour un interprète de niveau international comme vous?

SERHIY SALOV : Pas d’avantage particulier. Surtout quand les tarifs des contraventions pour le stationnement sont aussi draconiens et renforcés avec tant de rigueur qu’on est obligé à regarder sa montre en répétant. Ceci explique partiellement votre toute première question sur les différences culturelles  – s’investir sans bornes sachant qu’on ne sera pas pénalisé… ou encore ici  où chaque minute est tarifée et comptabilisée. 

PAN M 360 : Êtes-vous connu de la communauté ukrainienne au Canada, communauté importante – surtout dans les Prairies, TOUT DE même importante à Montréal ?

SERHIY SALOV : Pendant les premières 10 années de mon passage au Canada je me suis activement impliqué dans la vie culturelle des ukrainiens- à Ottawa et Toronto, un peu moins à Montréal. J’ai même donné un récital à Moose Jaw pour notre diaspora là-bas.

PAN M 360 : Comment votre propre identité s’est-elle transformée au fil de ces changements importants dans votre vie?

SERHIY SALOV : J’essaie très fort de ne  pas m’embourgeoiser. Ou encore d’appuyer plus sur les touches d’un piano plutôt que de caresser divers écrans.

PAN M 360 : Comment décririez-vous les traits principaux de votre propre style pianistique?

SERHIY SALOV : J’essaie de chanter au piano, toutefois je déteste l’eau de rose et toute approche sentimentaliste. Je veille toujours à ce que mon fortissimo soit juteux et chaleureux, et non martelé.

PAN M 360 : Y a-t-il des pianistes des générations antérieures ou de la vôtre dont le jeu peut s’approcher du vôtre?

SERHIY SALOV : Je m’inspire de pianistes aux approches très différents comme Emil Gilels, Glenn Gould, Tatiana Nikolayeva , Samouïl Feinberg, Dinu Lipatti.

PAN M 360 : Quels sont les enjeux de votre propre développement?

SERHIY SALOV : Prendre du temps. Réfléchir, digérer, sentir, penser au-delà des notes et des silences. Trouver un bon équilibre entre la qualité et la spontanéité d’interprétation. Et surtout de ne jamais laisser détruire mon monde intérieur par des événements et circonstances extérieures.  J’aimerais emmagasiner des pelletées de nouveau répertoire,  pas nécessairement à redonner au public mais pour ma propre satisfaction. En tant que professionnel, on se moque souvent des amateurs – mais… ciel ! Il faut aussi aimer la musique, pas seulement la livrer pour l’argent et les accolades.

PAN M 360 : Quels sont vos enregistrements les plus importants? Les plus récents, notamment celui avec le violoncelliste Thomas Chartré?

SERHIY SALOV :  Je ne peux me vanter d’avoir sorti beaucoup de disques. Celui dont je suis vraiment fier est Le Printemps sacré des slaves (Sacred Spring of Slavs), sorti en 2010, avec pour morceau phare ma version pour piano seul du Sacre du Printemps de Stravinsky.  Hormis le CD avec violoncelliste Thomas Chartré, très réussi lui aussi, je viens d’enregistrer les 4 Concertos pour piano de Mozart avec Stéphane Laforest et son orchestre, soit La Sinfonia de Lanaudière.

PAN M 360 : Comment se porte votre carrière internationale à ce titre? Avez-vous beaucoup joué à l’étranger avant la pandémie? Qu’en sera-t-il ensuite?

SERHIY SALOV : Je me suis produit avec quelques orchestres et chefs de grand talent et renom – au États-Unis, en Angleterre, en Allemagne, au Japon, en Amérique du Sud. 

PAN M 360 : Que voulez-vous atteindre  au cours des prochaines années?

SERHIY SALOV : Inutile de dire que l’avenir est inconnu. J’espère qu’il ne sera pas complètement numérique. J’espère qu’on ne jouera pas tous en direct sur Facebook en répondant aux likes et commentaires pendant les tutti d’orchestre…

PAN M 360 : Le programme dont il est ici question se consacre à Modeste Moussorgski. Pourriez -vous nous décrire sommairement votre choix du compositeur russe  et votre  approche de chaque œuvre au programme adaptée pour piano seul ?

SERHIY SALOV : J’ai toujours apprécié Moussorgski en tant que le seul génie russe de l’ère romantique qui n’a pas cherché à « peigner » son côté cru et son écriture dissonante par le recours à la tradition européenne. Il fut un grand visionnaire anticipant le 20e siècle. 

*  « Prélude », tiré de l’opéra La Khovanchtchina Une nuit sur le mont Chauve :  La nuit chauve et La Khovantchina constituent un véritable pactole pour quiconque  veut transformer ces brillantes écrits symphoniques en fantaisies pour piano. Les miennes ne sont pas les seules!

* Les Tableaux d’une exposition :  Les tableaux d’une exposition ne me lassent jamais. Ils constituent d’après moi un exemple plutôt rare  d’amalgame parfait d’une musique académique de haute voltige et de l’accessibilité d’un crowd pleaser. Les versions rock ou synthétiseurs de l’œuvre en sont la preuve.

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