Semaine du Neuf | Quasar: un programme lituanien/ukrainien et… tout ce qui m’épouvante

Entrevue réalisée par Alain Brunet

renseignements supplémentaires

Si vous ne le savez pas encore, ce qui est malheureusement fort possible vu la sous-diffusion chronique des musiques de création dans la sphère médiatique, le superbe quatuor de saxophones Quasar commémore 30 ans d’existence. Reconnu mondialement pour sa haute virtuosité et pour son inclination aux œuvres de notre temps dans le réseau des expressions contemporaines en musique, Quasar est un membre actif du Vivier. On comprendra pourquoi  Quasar a l’insigne honneur de présenter le concert d’ouverture à la troisième Semaine du Neuf, ce samedi 8 mars. Pour ce, Alain Brunet a interviewé l’excellente saxophoniste Marie-Chantal Leclair, directrice artistique de Quasar.

BILLETS ET INFOS ICI

PAN M 360 : Ce programme  présente en première nord-américaine trois œuvres lituaniennes, contrastées et fortes en évocations: Calligrammes (Kristupas Bubnelis), Trauma (Mykolas Natalevičius) et Azaya (Egidija Medekšaitė).  Pourquoi ces choix lituaniens? Un thème?

Marie-Chantal Leclair: En octobre 2024, Quasar a présenté trois concerts en Lituanie. L’un de ces concerts avait lieu à Vilnius, dans le cadre du Festival d’automne organisé par l’Association des compositeurs lituaniens.  Le Festival a commandé à notre intention trois pièces aux compositeurs Kristupas Bubnelis et Mykolas Natalevičius et à la compositrice Egidija Medekšaitė. Nous avons eu la chance de travailler avec eux et elle sur place avant de les créer en concert. Nous avons découvert trois univers musicaux singuliers et inspirés que nous présentons maintenant à Montréal, convaincus de l’importance de faire entendre les voix de ces trois artistes. 

Le thème du festival « Global issues, Theories of Survival » faisait référence aux grands enjeux planétaires, géopolitiques, climatiques et technologiques, qui bousculent et fragilisent notre monde. Comment ces enjeux résonnent-ils dans les œuvres des compositeurs, dans le monde de la musique et dans la façon dont le public la reçoit ? C’est sous ce thème que les deux compositeurs et la compositrice ont imaginé leur pièce, chacun se l’appropriant à sa façon. J’ai voulu partager  ces œuvres avec notre public montréalais mais j’ai aussi voulu partager ce thème et la réflexion qui l’accompagne, persuadée qu’ici aussi (à plus de 6000 km de Vilnius), il résonne, et que ces préoccupations sont aussi les nôtres. 

PAN M 360:  « Le quatuor de saxophones Quasar poursuit ses collaborations internationales et aborde avec sensibilité les grands enjeux de notre monde », annonce le programme officiel du Vivier. Qu’entendez-vous par les grands enjeux  de notre monde? On sait qu’il y en a pas mal ces jours-ci!

Marie-Chantal Leclair : Les enjeux sont climatiques, économiques, technologiques, socio-politiques, à la fois locaux et internationaux. Nous les abordons avec beaucoup d’humilité. En fait nous tendons une perche, proposons un moment de réflexion, nous essayons de créer une occasion. Le titre du concert réfère à nos peurs devant ces « défis planétaires », devant l’ampleur de la menace. Nous espérons qu’ensemble, nous pourrons mieux les affronter, ou à tout le moins se retrouver dans un espace de dialogue et de solidarité, porteur de sens et d’espoir. 

PAN M 360: « Le titre Tout ce qui m’épouvante est tiré d’un poème de Guillaume Apollinaire, dont certains extraits sont récités dans la pièce de Kristupas Bubnelis. Cette citation évoque nos peurs, nos terreurs, dans ce monde de défis mondiaux, mais aussi le pouvoir salvateur et nécessaire de l’art. » Inutile d’ajouter que ce thème arrive à point nommé dans le contexte global mais… peut-on savoir ce qui vous a incité à qualifier ce programme prévu à la Semaine du Neuf?

Marie-Chantal Leclair : Je suis intéressée par l’aspect poétique du titre, son pouvoir d’évocation (c’est un extrait du poème d’Apollinaire) et en même avec son lien brutal avec une réalité non moins brutale.  « Tout ce qui m’épouvante » nous renvoie à la fois à l’intime et à la situation extérieure. Les musiciens, les artistes ne sont pas déconnectés du monde, nous ne vivons pas dans des bulles. Même sans faire de nos œuvres des manifestes, nous sommes touchés, affectés comme tous les autres citoyens et citoyennes. La salle de concert n’est pas imperméable au monde extérieur, même si l’art peut être un refuge, un espace de liberté. On ne peut pas faire comme si de rien n’était, autant créer un espace ouvert aux échanges. 

Quelques mois après le Festival de Vilnius, alors que nous sentons la pression continuer de monter, nous nous posons nous aussi aujourd’hui les questions suivante :

Quelle est l’influence des grands enjeux planétaires sur la musique des compositeurs d’aujourd’hui? 

Peut-on, doit-on en faire abstraction? 

Nous divisent-ils, ou nous unissent-ils? 

Comment ces enjeux résonnent-ils dans les œuvres des compositeurs, dans le monde de la musique et dans la façon dont le public reçoit la musique. 

Le 11 mars, d’ailleurs,  une table ronde réunissant différents artistes de la Semaine du Neuf abordera ces questions. 

PAN M 360: Au fil du temps, Quasar a tissé des liens avec plusieurs réseaux d’artistes à l’étranger. Comment évaluez-vous l’importance de ces réseaux  dans  l’édifice de vos réalisations?

Marie-Chantal Leclair: C’est un impact majeur pour nous et aussi je l’espère pour notre communauté. Ça remonte à loin, notre première tournée internationale a eu lieu en 2006, et ça a pris une importance grandissante avec le temps. Ce qui m’intéresse c’est le dialogue artistique et humain, l’échange. Nous avons la chance de côtoyer une grande communauté d’artistes, interprètes, compositeurs, commissaires, etc. un peu partout dans le monde. Ils ont beaucoup nourri notre démarche artistique mais toujours en résonance et en dialogue avec notre forte appartenance au milieu montréalais et québécois des musiques nouvelles qui est d’une très grande vitalité créative. Tous ces contacts influencent notre vision du monde dans sa globalité. L’étranger devient un ami pour toujours.

PAN M 360:  Pourriez-vous développer brièvement sur chacune de ces 3 œuvres « fortes en évocation »? Un mot sur leurs compositeurs.trices? La nature et les enjeux de ces 3 œuvres?
Mykolas / Trauma : Librement inspiré du phénomène du syndrome post-traumatique, cette pièce est une succession de moment de détente et de montées de tension, de consonances et dissonances, symbolisant une douleur croissante vers une possible guérison appuyé par un continuum de sonorité très soutenues, intenses, riches et complexes. 

Kristupas / Calligrammes : Un flux poétique et musical débridé, impétueux, virtuosité et contrastes extrêmes. Toute une « ride ».

Egidija / Asaya: Musique avec bande électronique fondée sur des drones évoquant le bourdonnement des abeilles. Peu à peu les sonorités harmonieuses se transforment en chaos. Un geste fort, direct, coup de poing.  Avec une vidéo, créée par Lukas Miceika, dont les images évoquent le moteur du drone Predator.

Une quatrième pièce du compositeur lituanien Vykintas Baltakas est au programme, c’est une œuvre plus ancienne que nous avons créée suite à une rencontre inattendue avec le compositeur au Festival de Witten (Allemagne). Inspirée de l’oiseau mythique le phénix, qui renaît de ses cendres de façon cyclique, j’aime croire qu’elle symbolise notre capacité à renaître en tant qu’humanité. 

PAN M 360: S’ajoute l’œuvre The Saxophone Quartet/While Flying Up, de la compositrice ukrainienne Alla Zagaykevych, coup de cœur du quatuor, qui rend hommage à la lutte du peuple ukrainien. Nous sommes toujours en Europe de l’Est et on sait ce qui vient de se produire à Washington avec cette humiliation/embuscade du président Zelinsky. Alors comment voyez-vous cette œuvre dans le contexte? Et quelles sont les caractéristiques principales et les enjeux d’interprétation de cette œuvre?
Marie-Chantal Leclair: Nous avons rencontré Alla dans le cadre de sa résidence au Vivier en 2022, soit au début de la guerre. Ce fut une très belle rencontre artistique et humaine. C’est une grande artiste et une femme d’un courage extraordinaire. Après sa résidence à Montréal, elle est retourné à Kiev où elle continue sa vie d’artiste et de pédagogue. Porter la voix des artistes ukrainiens, c’est rendre hommage à la qualité de leur art et aussi une façon de les humaniser, de leur donner une place dans le monde, de porter leur voix. 

C’est une pièce d’une très grande sensibilité avec une écriture très raffinée et affirmée. C’est une pièce faite de milliers de détails et chacun a son importance. La pièce demande une grande maîtrise des nuances douces, des attaques, l’exploitation des sons multiphoniques très délicats. Chaque son a sa place, son rôle et cela requiert une très grande concentration. 

PAN M 360: Votre 30e anniversaire est émaillé de plusieurs concerts dont celui-ci

« Pour célébrer ses 30 ans, Quasar propose une version spéciale anniversaire de son concert De Bach à Zappa, célébrant trois décennies de créations au cours desquelles Quasar a marqué le paysage musical d’ici et d’ailleurs. Toujours éclectique, énergique, et festive, cette nouvelle mouture d’un concert ayant conquis les publics de tous genres (de Havre-Saint-Pierre à Moscou!) accorde une place de choix à de nouvelles œuvres québécoises créées par Quasar : Rouge, de Jean Derome et le théâtre musical de Michel Smith, Squat au Quat »… Pourriez-vous élaborer sur ce programme et son actualisation?

Marie-Chantal Leclair: Le programme De Bach à Zappa roule depuis 20 ans et la formule fonctionne toujours auprès du public et nous avons toujours un grand plaisir à le présenter ! On commence avec Bach, on finit avec Zappa et entre les deux, on voyage entre les époques et les styles musicaux. Entre Bach et Zappa, les œuvres peuvent changer mais l’objectif est toujours de faire découvrir au public les multiples facettes du saxophone en choisissant toujours des œuvres que nous estimons être de la plus grande qualité peu importe les styles ou époques. C’est un programme vivant, pas figé, qui évolue et se transforme avec nous tout en gardant son essence. 

L’intégration de répertoire contemporain et plus particulièrement de contenu québécois original a toujours fait partie du projet  De Bach à Zappa. Ce programme nous a permis d’aller à la rencontre de publics diversifiés ici mais aussi à l’étranger et pour nous c’est important de nous adresser aussi au grand public en dehors des concerts des diffuseurs spécialisés et festivals spécialisés en musique nouvelle. C’est complémentaire. 

Cette année, c’est la première fois que nous intégrons le théâtre musical de Michel Smith. On se fait plaisir et je pense qu’on fait aussi et surtout plaisir au public. C’est une œuvre formidable, drôle, colorée et hors-norme, à l’instar de son créateur. Autour d’une musique profondément originale se trame une histoire pas claire en quatre protagonistes qui travaillent à se rendre quelque part en surmontant quelques embûches…!

PAN M 360: Quel est le liant entre  Bach, Chick Corea, Frank Zappa, Will Gregory, Jean Derome et Glazounov?

Marie-Chantal Leclair: Ce sont tous d’excellents compositeurs dont nous adorons jouer les pièces!

PAN M 360:  Plus que jamais, Quasar semble revisiter le jazz moderne ou contemporain. Quel est votre lien avec le jazz?
Marie-Chantal Leclair: Notre lien avec le jazz est libre et sans prétention. Il faut dire que le jazz d’avant-garde, le free, partagent des choses avec les musiques contemporaines. Les genres musicaux ne sont pas cloisonnés. Il faut aussi dire aussi que l’improvisation fait partie de la pratique de Quasar depuis très longtemps, et c’est donc un terrain commun (même si avec des codes et une tradition différente) avec le jazz. Finalement, il faut mentionner qu’il y a tout un répertoire pour quatuor de saxophones qui flirte avec les esthétiques jazz, et nous ne boudons pas notre plaisir quand l’occasion se présente. Je prends pour exemple Facing Death  de Louis Andriessen, véritable hommage à Charlie Parker que nous avons endisqué.

André Leroux en parallèle avec son travail avec Quasar est un grand interprète virtuose et improvisateur de jazz. Sa proximité avec la communauté du jazz a facilité des rencontres et des échanges c’est certain. Je pense ici en particulier à notre collaboration avec François Bourassa avec lequel nous venons de mettre sur pieds un nouveau programme de concert Autour de Chick Corea et pour lequel François a composé et arrangé de nouvelles pièces pour ce quintette, Quasar-Rass. 

PAN M 360:  Pourriez-vous commenter brièvement chaque œuvre au programme du 6 mars?

Johann Sebastian Bach : L’Art de la Fugue

Michel Smith : Squat au quat

Chick Corea : Children’s Song

Frank Zappa : Peaches En Regalia

Will Gregory : High life

Jean Derome :(Rouge)

Alexandre Glazounov  : Quatuor op. 108  

  • Bach : l’art de la fugue, chef-d’œuvre incontournable du grand maître baroque, que nous jouons depuis 30 ans et vers lequel nous retournons toujours. 
  • Glazounov : Probablement l’unique grande œuvre romantique écrite pour quatuor de saxophones, une exception qui faut vraiment le détour, et fait résonner le quatuor de façon inédite. 
  • Chick Corea : Œuvre originalement écrite pour piano solo, de facture assez classique, une série de courtes pièces inspirées du monde de l’enfance et que nous intercalons à différents moments du programme. Des petits bijoux. 
  • Jean Derome: une pièce formidable composée à partir d’une seule gamme qui part de la note la plus grave du baryton, jusqu’à la plus haute du soprano sans jamais se répéter. Il faut être 4 pour la jouer dans son entier et cela a valeur de symbole de solidarité et de la nécessité d’être ensemble pour réaliser des choses. Un savant mélange de mélodies (chant d’amour, chant de guerre) avec des moments d’improvisation, le tout avec la touche unique de Jean. 
  • Will Gregory : Inspirée de la musique sud-africaine, cette pièce est une ode à la joie, au soleil, irrésistible. 
  • Michel Smith : Voir plus haut (De Bach à Zappa), pièce qui faisait partie du concert « J’men’sax » lauréat d’un prix Opus concert de l’année. 

Le quatuor de saxophones Quasar est constitué de Marie-Chantal Leclair (soprano), Mathieu Leclair (alto), André Leroux (ténor), Jean-Marc Bouchard (baryton). L’automne dernier, Quasar a lancé Chaleurs, pièce de l’illustre Walter Boudreau.

Publicité panam

Tout le contenu 360

Semaine du Neuf |  Quasar: un programme lituanien/ukrainien et… tout ce qui m’épouvante

Semaine du Neuf | Quasar: un programme lituanien/ukrainien et… tout ce qui m’épouvante

OPCM | Invitation à un voyage, de l’infini du cosmos aux profondeurs de l’âme humaine

OPCM | Invitation à un voyage, de l’infini du cosmos aux profondeurs de l’âme humaine

Centre PHI | La mort du troisième couplet, la rédemption de Sensei H

Centre PHI | La mort du troisième couplet, la rédemption de Sensei H

Semaine du Neuf: TOUT sur la programmation

Semaine du Neuf: TOUT sur la programmation

James Bay: plus vulnérable que jamais avec Changes All The Time

James Bay: plus vulnérable que jamais avec Changes All The Time

L’Ensemble OBIORA en mars: femmes, diversité… SORORITÉ

L’Ensemble OBIORA en mars: femmes, diversité… SORORITÉ

Nik Bärtsch et Ronin, fusion idéale entre jazz futuriste, post-minimalisme et musiques écrites contemporaines

Nik Bärtsch et Ronin, fusion idéale entre jazz futuriste, post-minimalisme et musiques écrites contemporaines

24H VINYLE de Music Is My Sanctuary, 1er marathon du genre, de retour à la SAT

24H VINYLE de Music Is My Sanctuary, 1er marathon du genre, de retour à la SAT

Marie Davidson parmi les clowns— sinistres ou réjouissants

Marie Davidson parmi les clowns— sinistres ou réjouissants

Centre PHI: Nuit blanche… Nuit POP !

Centre PHI: Nuit blanche… Nuit POP !

Jonathan Cohen et Les Violons du Roy : l’amitié en musique comme dans la vie

Jonathan Cohen et Les Violons du Roy : l’amitié en musique comme dans la vie

M/NM | Ligeti et Kubrick, quintessence de la musique de film

M/NM | Ligeti et Kubrick, quintessence de la musique de film

Birds of Prrrey | Tchip-tchip et riffs incisifs

Birds of Prrrey | Tchip-tchip et riffs incisifs

Mois de l’histoire des Noirs | Samba Touré nous ramène son blues du Sahel

Mois de l’histoire des Noirs | Samba Touré nous ramène son blues du Sahel

Mois de l’histoire des Noirs | Elida Almeida chante Evora

Mois de l’histoire des Noirs | Elida Almeida chante Evora

M/NM | DigiScores ou l’art de jouer avec des partitions animées

M/NM | DigiScores ou l’art de jouer avec des partitions animées

COPE LAND, profonde expiration!

COPE LAND, profonde expiration!

Mulchulation II | Synergie locale !

Mulchulation II | Synergie locale !

Mois de l’histoire des Noirs | Jean Jean Roosevelt rend hommage à Dessalines

Mois de l’histoire des Noirs | Jean Jean Roosevelt rend hommage à Dessalines

Jonathan Hultén et les conseils de la nuit

Jonathan Hultén et les conseils de la nuit

La mère de Dieu… qui est au ciel

La mère de Dieu… qui est au ciel

Mois de l’histoire des Noirs | Ric’key Pageot, claviériste de Madonna,  passionné de musique classique… noire!

Mois de l’histoire des Noirs | Ric’key Pageot, claviériste de Madonna, passionné de musique classique… noire!

Mois de l’histoire des Noirs | Madou Sidiki Diabaté rend hommage à son frère

Mois de l’histoire des Noirs | Madou Sidiki Diabaté rend hommage à son frère

Ensemble Caprice et ArtChoral : De l’ombre du de profundis à la lumière de Beethoven

Ensemble Caprice et ArtChoral : De l’ombre du de profundis à la lumière de Beethoven

Inscrivez-vous à l'infolettre