Semaine du Neuf | Il n’y a pas de musique sans vent. L’être contre le vent de Matthias Krüger

Entrevue réalisée par Elena Mandolini
Genres et styles : musique contemporaine

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La Semaine du Neuf, organisée par Le Vivier, se termine bientôt, mais il reste encore quelques belles découvertes à faire cette fin de semaine. L’une d’elles est le concert de sortie de résidence du compositeur allemand Matthias Krüger, lauréat de la résidence en musiques nouvelles 2023-2024 décernée par le CALQ, le Vivier et le Goethe-Institut. Ce concert, qui aura lieu dimanche à l’église Ascension of Our Lord, nous transportera dans une exploration des potentiels sonores de l’orgue, avec l’apport d’un dispositif électronique qui contrôle l’instrument en temps réel. Ce concert sera l’occasion d’entendre l’oeuvre issue de sa résidence, L’être contre le vent.

PAN M 360 a pu s’entretenir avec Matthias Krüger pour parler de sa résidence artistique, de son processus de création et de sa fascination pour le son.

PAN M 360 : Quels étaient les objectifs de la résidence que vous allez clore avec le concert de dimanche?

MATTHIAS KRÜGER : Il s’agit d’une résidence qui dure quatre mois, répartie en deux parties. J’étais déjà venu ici en automne dernier pour deux mois et demi, et là je suis revenu pour six semaines. C’est une résidence pour laquelle on postule avec un projet de son choix. L’idée est vraiment de découvrir l’endroit, de rencontrer des gens et de se laisser inspirer par un autre environnement.

PAN M 360 : Comment êtes-vous venu à monter ce projet?

MATTHIAS KRÜGER : Quand je suis arrivé, je savais que je voulais faire une œuvre pour orgue contrôlé par ordinateur. Puis, j’ai rencontré Adrian Foster [l’organiste pour le concert de dimanche] qui était très intéressé et qui m’a donné accès à l’orgue à l’église Ascension of Our Lord. Vers la fin de la première partie de la résidence, on est allés tester l’orgue, et c’était vraiment super, très inspirant et enthousiasmant! Et de là est née l’idée de faire un concert à la fin de ma résidence, et d’en faire une improvisation basée sur des idées.

PAN M 360 : Parlez-nous de la composante électronique de votre projet.

MATTHIAS KRÜGER : Ce projet est aussi en quelques sortes un travail de lutherie, de lutherie électronique. Il faut commencer par se demander quels paramètres on veut contrôler dans l’orgue, en particulier sur cet orgue-là, parce que ce ne sont pas tous les orgues contrôlés par ordinateur qui fonctionnent de la même manière. Une fois qu’on a compris ça, il faut configurer et programmer. Après, la question se pose toujours : comment est-ce qu’on contrôle les paramètres et le son? Parce qu’en fait, c’est un peu ça la musique. C’est la manipulation du son dans le temps.

PAN M 360 : Qu’est-ce qui caractérise ce projet, qui combine à la fois acoustique et électronique?

MATTHIAS KRÜGER : Quand on fait de la musique électronique, on se rend compte à quel point un son instrumental est complexe, dans son geste, dans son évolution et dans son amplitude. Il faut prendre en compte tous les mouvements qui sont nécessaires pour produire un son. Donc, comment peut-on créer cette richesse d’une autre façon? La problématique de la composition électronique est de contrôler plusieurs choses à la fois pour que ça devienne organique.

Tout ça a des répercussions sur la musique qu’on compose ou qu’on imagine. Évidemment, il faut déjà connaître l’instrument pour pouvoir composer pour, par la suite. Après, la musique découle de toutes les possibilités qu’offre l’instrument. Ce qui est intéressant pour moi, surtout, c’est d’arriver à une maîtrise de l’instrument, mais aussi arriver à la détourner un peu, à faire autre chose avec.

PAN M 360 : Donc le concert sera un peu un concert d’orgue à quatre mains, mais à distance?

MATTHIAS KRÜGER : Oui, c’est un peu ça. Il y a plein de coordination qui se fait entre nous. Par exemple, Adrian peut jouer sur un clavier sans que ça fasse de son, ou moi je peux prendre les notes qu’il joue et les envoyer sur un autre clavier. Je peux aussi contrôler le rythme et les registres, par exemple. Il y a une sorte d’interactivité du dispositif qui va dans les deux sens.

PAN M 360 : Qu’est-ce qui a fait que cet orgue en particulier, à l’église Ascension of Our Lord, se prêtait bien à votre projet?

MATTHIAS KRÜGER : Ce ne sont pas tous les orgues qui sont compatibles pour ça. Non seulement il faut un orgue électrifié, il faut un orgue midifié. Déjà, ça restreint les choix possibles. Également, la disponibilité de l’orgue était importante, puisque la résidence s’est faite en deux temps. Quand j’étais parti, sans accès à l’instrument, je pouvais faire peut-être la moitié du travail. Mais après, il faut tester le dispositif, entendre comment ça se passe. Cette question d’accès était très, très importante.

PAN M 360 : Quels thèmes appréciez-vous particulièrement explorer dans vos œuvres?

MATTHIAS KRÜGER : Ce qui m’intéresse, c’est la fascination du son, c’est-à-dire m’imaginer que je suis dans un espace silencieux et réverbérant. Et mon activité détermine l’existence d’un son. Et c’est ce qui est intéressant avec l’orgue, c’est qu’il est toujours intégré dans un espace, ce n’est pas un instrument mobile. C’est ce qui lui donne son acoustique particulière et cette acoustique fait que le son est beaucoup moins localisé, il vient d’un peu partout. Ce qui est intéressant dans ça, c’est qu’on peut créer un contexte dans lequel l’identité du son est floue.

PAN M 360 : Et comment cela se manifestera-t-il dans L’être contre le vent?

MATTHIAS KRÜGER : Avec le dispositif électronique dans la pièce, cela va venir brouiller un peu la source du son. Puisque le son donne l’impression de venir de partout, le son nous englobe. Et avec des haut-parleurs, on peut aussi rajouter encore une couche qui donne un côté un peu mystérieux, et aussi un effet monumental à l’orgue. Parce que l’orgue est un instrument gigantesque, qui peut faire beaucoup de bruit, mais qui peut aussi être très fin.

Après, le fait de contrôler l’orgue par ordinateur donne un peu un sentiment d’éternité. Il n’y a que sur l’orgue que c’est possible. Il y a cette impression d’être hors du temps, qui est déjà un peu inscrite dans le fonctionnement de l’instrument. Le potentiel de créer quelque chose de jamais entendu à l’orgue est énorme.

PAN M 360 : L’œuvre que vous présenterez s’intitule L’être contre le vent. Que signifie ce titre pour vous?

MATTHIAS KRÜGER : C’est tiré d’un poème de Paul Valéry, La jeune parque. Le rapport n’est pas très étroit, c’est plutôt une évocation de l’orgue qui est nourri par le vent. Le vent, et par extension l’air sont inhérents à la musique. Sans air, il n’y a pas de musique, comme dans l’espace, par exemple. Pour moi, le vent est aussi une métaphore hyper forte du son qui nous touche, nous entoure et auquel on se confronte. Dans le poème, à la fin, il y a cette image d’une femme au bord de la mer et le vent l’englobe. Elle met son être contre le vent. Il y a toute l’existence, finalement, qu’elle contemple en regardant et en se confrontant à ces forces de la nature.

Donc je voulais essayer d’imaginer dans cet espace de l’église d’être confronté à une masse de son qui paraît éternelle, mais qui bien sûr ne l’est pas, parce que l’art est toujours artificiel. Il ne s’agit pas de la vérité, mais plutôt d’évoquer la vérité. Ou de rappeler la vérité. En fait, la musique, c’est quelque chose de très physique, qui rentre quand même dans notre corps. C’est cet aspect holistique qui me fascine, cet aspect corporel, que je cherche en général dans ma musique. Je trouvais que, pour ce projet, c’était une très belle image.

L’être contre le vent de Matthias Krüger sera présenté le dimanche 17 mars à 20h30 à l’église Ascension of Our Lord, dans le cadre de la Semaine du Neuf, présentée par Le Vivier. INFOS ET BILLETS ICI!

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