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Rebecca Jean est Haïbécoise, comme elle le dit elle-même. Cette identité unique, basée sur une double appartenance, s’est construite au fil des années. Mais elle est désormais bien établie et fièrement revendiquée.
Un concert dans le cadre du Festival international Nuits d’Afrique 2023, le 20 juillet, n’est que le prélude à plusieurs autres à venir un peu partout au Québec durant l’été. Celle dont les grands-parents « ont labouré la terre« , comme ceux de Mes Aïeux (qu’elle cite dans une chanson) n’est que trop heureuse d’aller à la rencontre d’une des deux moitiés de son peuple culturel, celui des immigrants haïtiens et celui du Québec des régions.
Notre avis, chez PAN M 360, c’est qu’une artiste comme elle devrait également avoir sa propre scène aux Francos. Le fait que ce ne soit pas le cas démontre qu’il reste encore du travail à faire pour décloisonner plusieurs artistes de la dite « diversité ». Il y en a de plus en plus, c’est vrai, mais encore trop nombreux sont ceux et celles qui restent injustement sur les lignes de côté. Mais bon, passons…
J’ai rencontré la jeune dame et nous avons parlé de racines culturelles, de chansons françaises (par lesquelles son enfance a été bercée) et de langue qu’il fait bon protéger et faire découvrir aux jeunes générations.
PAN M 360 : Bonjour Rebecca. Vous avez sorti l’an dernier l’album Antidote avec lequel vous tournez un peu partout au Québec depuis. L’album témoigne d’une belle qualité mélodique dans vos chansons, ainsi que des clins d’œil à la chanson québécoise et française. Par exemple, vous citez Mes Aïeux dans Haïbécoise…
Rebecca Jean : Oui, c’est vrai. J’aime rappeler le fait que mes grands-parents ont, eux aussi, labouré la terre! Nous avons tellement de choses en commun. Il faut redire ces choses, car nous sommes trop souvent submergés par des détails qui nous divisent. J’ai aussi fait une adaptation de La langue de chez nous de Duteil et de Hier encore d’Aznavour. J’aurais aimé faire entendre ma version de Hier encore à M. Aznavour, mais ce fut trop tard. Par contre, j’ai envoyé ma version de La langue de chez nous à Yves Duteil et il a beaucoup aimé. J’en suis ravie.
PAN M 360 : Pourquoi est-ce important pour vous?
Rebecca Jean : J’ai grandi dans cette musique, dans l’amour du texte recherché. Ça m’a nourri durant toute ma jeunesse. Je veux redonner cet amour aux jeunes générations. En plus de toutes mes propres compositions bien sûr, qui constituent l’essentiel de ma production, et où le français est très important.
PAN M 360 : Vous avez donc grandi dans un contexte familial très francophile…
Rebecca Jean : En effet. Cela veut dire également que mes racines haïtiennes créoles n’étaient pas très présentes chez moi. Mon père écoutait quelques chansons haïtiennes, mais dans le style de la grande chanson française. Je n’ai pas connu le Konpa, le Zouk et ces autres styles plus typiquement haïtiens. C’est à l’âge adulte que j’ai dû rattraper le temps perdu, découvrir ces rythmes, les artistes, etc. Je me suis aperçu à ce moment que tout cela m’habitait sans que je ne le sache!
PAN M 360 : Pour plusieurs enfants d’immigrants, la double identité québécoise et celle des parents constitue un déchirement, ou une valse entre l’une et l’autre. Dans votre cas, du moins en écoutant entre autre Haïbécoise, on a l’impression que c’est très harmonieux et pleinement assumé. Ça a toujours été ainsi, ou c’est le résultat d’un processus?
Rebecca Jean : Oui, ce fut un processus. Quand je vais en Haïti, on ne me prend pas pour 100% haïtienne. Au Québec, on me demande encore d’où je viens! Pour se faire une place sur scène, on a l’impression que l’on doit y consacrer beaucoup plus d’efforts. Il faut toujours faire nos preuves. Mais Antidote, j’en ai fait un album de guérison! J’y parle de réconciliation : entre les hommes et les femmes, entre les hommes et la nature, entre les parents et les enfants. Finalement, c’est une réconciliation entre les deux pôles fondamentaux de mon identité.
PAN M 360 : Cette paix et cette sérénité, bâtie toute seule, a-t-elle été accompagnée par une pression familiale concernant la « viabilité » d’une carrière artistique?
Rebecca Jean : Oh oui absolument! C’est classique : quand on vient d’une famille immigrante, on est poussé à faire des métiers comme avocat, médecin, etc. L’art n’est pas perçu comme un métier. C’est une activité naturelle, que l’on peut faire au quotidien, pour s’amuser. Mais on ne gagne pas sa vie avec ça. J’ai dû faire mes preuves. Quand j’ai eu ma première subvention, ça a commencé à changer! C’était un montant conséquent et ma mère a senti qu’elle devait moins s’inquiéter. Mais, je comprends très bien son sentiment : elle a tellement sacrifié, tellement travaillé fort et rushé pour nous offrir les meilleures options d’avenir qu’elle a une peur bleue de me voir être dans la misère. Maintenant, elle comprend et elle est même la première à envoyer mes vidéos à toutes ses amies.
PAN M 360 : Vous avez d’autres projets sur le feu?
Rebecca Jean : J’aimerais sortir un album de musique pour les enfants. J’aimerais que les jeunes d’aujourd’hui aient des modèles de la diversité, un peu comme moi j’ai été touchée par Passe-Partout. J’aimerais qu’ils voient la même chose, mais avec un regard sur le quotidien des familles issues des communautés culturelles. Montrer toutes les choses qui sont, au fond, semblables à celles des familles québécoises « de souche ».
J’ai également un projet en marche avec l’artiste Jean Jean Roosevelt, une star de la culture haïtienne. Nous partons un mois en Afrique à la fin août pour travailler là-dessus.
PAN M 360 : Imaginons le prochain spectacle de la Saint-Jean, pour lequel vous seriez sur scène avec vos artistes idéaux de la scène québécoise. Le line up ressemblerait à quoi?
Rebecca Jean : Oh, wow… quelle belle question… Attendez. Je dirais les Cowboys fringants. Ils ont une très belle poésie, et de superbes mélodies. Mes Aïeux bien sûr, puis Louis-Jean Cormier et Karkwa. Puis, Elisapie et Sarahmée.