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On a parfois la sordide impression que pour réussir dans le monde tel que nous le connaissons, nous n’avons d’autre choix que de jouer les règles du jeu. C’est ainsi que nous devenons égoïstes, effrayé.e.s du succès des autres, menant ainsi à une compétition malsaine. Et si cela est vrai dans tous les domaines, l’industrie de la musique peut souvent s’avérer ardue pour les personnes ne répondant pas à un certain standard.
Bien que tout cela ne puisse se régler d’un simple coup de baguette magique, il s’en trouve toujours pour renverser la vapeur. Affirmer leur présence. Rappeler qu’elles sont là, qu’elles existent.
Tout cela est précisément l’objectif du projet #rapelles, compilation où six femmes, six artistes différentes, uniques, se réapproprient le micro, s’exprimant du hip-hop au R&B. Lancées symboliquement le 8 mars 2021 et le 11 juin 2021 , les deux saisons continuent de briser les barrières et promouvoir un message de responsabilisation et de force humaine: rappelle-toi de qui tu es et de ce que tu peux faire.
Voilà exactement pourquoi PAN M 360 s’est entretenu avec l’artiste Onenessa, participante à la saison 1 de #rapelles.
PAN M 360 : Comment est venue l’idée de créer le projet #rapelles ?
Onenessa : #rapelles, c’est une idée originale du producteur Vincent Egret et du label québécois STE-4 [NDL : prononcez sainte-cath], qui voulait regrouper des artistes, des rappeuses féminines sous une même passion. Le projet s’intitule donc #rapelles, mais lorsque nous écoutons les projets, les deux compilations, on réalise que ce n’est pas seulement du rap, mais aussi du R&B et plus globalement, du hip-hop. Donc, c’est vraiment pris en charge par des femmes au Québec, certaines qui sont là depuis longtemps, d’autres qui sont encore inconnues du grand public… L’idée était donc aussi de leur offrir une plate-forme! Donc oui, le nom du projet tourne beaucoup autour du rap et des femmes, mais aussi avec cette intention : rappelez-vous que nous sommes là.
PAN M 360 : Sur la première compilation, tu as offert une chanson que tu as appelé Partir. Bien que tu l’aies mise sur #rapelles, tu aurais bien pu la garder pour ton prochain projet solo. Pourquoi avoir fait le choix de mettre un de tes morceaux sur cette compilation ? Était-ce symbolique ?
Onenessa : Il y avait plusieurs raisons à la base ; premièrement, j’ai toujours écrit et chanté en anglais. Partir est donc l’une des premières chansons francophones que j’ai écrites, et deuxièmement, je n’avais jamais participé à un projet collaboratif francophone auparavant. C’est une chanson que j’aime beaucoup, dont je suis fière. Je voulais qu’elle soit dans quelque chose de spécial… Quand on m’a contacté pour le projet, j’étais direct interpellée ! Partir est une chanson plutôt rétrospective en comparaison à mes autres morceaux. J’aurais pu être vulnérable aux côtés d’autres femmes mais au final, ç’a été un coup de chance! La chanson était là, elle était prête… ne restait plus qu’à le faire.
PAN M 360 : Parfois, le défaut que l’on trouve aux compilations est l’absence d’un fil d’Ariane ; l’on critique un son fourre-tout, un manque de cohérence… Pourtant, la réception de la première et de la deuxième saison a été tout le contraire! Les projets furent qualifiés d’harmonieux, organisés, unis par une certaine diversité qui les rendaient plus forts ! Comment était-ce de travailler avec les autres artistes sur la première saison de #rapelles ?
Onenessa : C’était vraiment bien ! Il y avait certaines artistes qui avaient déjà préparé leur chanson spécifiquement pour la compilation, je pense notamment à Meryem Saci qui avait d’ailleurs préparé son morceau pour ça, d’autres, comme moi, avaient déjà une chanson sous leur aile et attendaient un bon projet pour la présenter. Et au final, nous ne nous sommes rencontrées qu’au jour où nous avons filmé nos vidéoclips. Je pense que l’énergie était vraiment géniale ce week-end-là, nous avons passé deux jours complets ensemble à tourner les clips et monter les teasers. Le seul truc est que nous n’avons pas encore eu l’occasion de faire des spectacles, mais au final, nous sommes toutes motivées à continuer de collaborer autrement, ou individuellement.
PAN M 360 : Au Québec, très peu de femmes rappeuses ou travaillant dans la communauté du hip-hop sont considérées comme mainstream… Comment vois-tu la compétition dans cette facette de l’industrie de la musique ? Est-elle saine ?
Onenessa : C’est une très bonne question. Une chose que l’on dit souvent est que les femmes sont jalouses entre elles, qu’elles aiment être la seule et l’unique et que lorsqu’elles ont le spotlight, elles ne veulent pas partager. À mon sens, c’est le milieu qui crée cette énergie. Entre femmes, nous avons deux choix : soit tomber dans le panneau, ou soit refuser ce système. D’ailleurs, ce n’est pas seulement au Québec que l’on peut observer cette tendance, c’est en France, aux États-Unis… Partout. L’industrie de la musique est une microsociété et encore plus dans le milieu urbain au Québec, donc peut-être que c’est pour ça qu’on le ressent davantage. Mais je crois que c’est généralisé, et je pense qu’il est temps de changer la narrative. Non, il y a plus qu’une place et plus qu’on collabore ensemble à tous les niveaux, que ce soit la production, collaborer avec des beatmakeuses, des vidéographes… Au final, je crois que les artistes féminines doivent refuser de jouer le jeu, même si ce n’est pas toujours simple. You play the game to change the game.
PAN M 360 : Justement, je voulais te parler de Steve Jolin, fondateur de Disque 7e Ciel, maison de disque promouvant les rappeurs les plus populaires au Québec. À ce jour, il n’a signé que des hommes. Durant une entrevue, il a dit qu’il « ne baisserait pas ses standards de sélection juste pour avoir une femme sur [son] label ». Comment se libérer de l’étiquette de rap féminins pour ne faire que rap ?
Onenessa : Moi à la base, c’est sûr que je ne suis pas la rappeuse dans la compilation, je suis davantage dans le chant. Toutefois, je comprends tout à fait le point de vue pour le rap. Je comprends qu’on ne doive pas baisser ses standards tout court, mais je crois qu’il est faux de dire que le standard des femmes est placé plus bas que celui des hommes. Peut-être que les labels ne prennent pas vraiment le temps de regarder ce qui se fait ? Peut-être qu’ils nous sous-estiment aussi ? Du talent, il y en a énormément. Pour ce qui est du rap de femme ; je suis d’accord, il est inutile de le dire. Je pense que la façon dont nous pouvons catégoriser le rap et le hip-hop en général est de dire oui, il y a du rap plus conscient, plus féministe, plus engagé, mais une femme a le droit de faire de la musique en mode ego-trip ! Je crois que la seule personne pouvant se donner la caractéristique féminine est la femme elle-même. Et encore une fois, il n’a pas qu’une seule place pour une femme. Si vous prenez le temps de signer dix hommes, vingt hommes, vous pouvez bien prendre le temps de chercher plus loin pour nous aussi.
PAN M 360 : Sur la première saison de #rapelles, tu as écrit la chanson Partir, chanson sur laquelle tu parles de besoin de changement, de lassitude face à ce que tu connais, ce que tu côtoies et que tu cherches à t’émanciper… Y es-tu parvenue ?
Onenessa : Oui, je crois y être parvenue! C’est une chanson très métaphorique, je l’ai écrite à un moment dans ma vie où j’en avais un peu marre de tout. Et après, il y a le côté un peu positif de travailler sur soi et d’y trouver une certaine force. Et je pense que c’est ça sa force ; c’est que tout le monde peut s’identifier à ce que je chante. Alors je crois avoir trouvé l’équilibre entre le doute, chose que je parle beaucoup dans ma chanson, et l’action. Plus nous sommes dans cette action, moins le doute prend place.
PAN M 360 : Tu es née à Batna en Algérie, tu as fait un baccalauréat en arts et sciences à Concordia et une majeure en écriture créative. Comme tu l’as dit plus tôt, tu crées beaucoup en anglais. L’industrie de la musique au Québec est-elle inclusive en termes de langues et d’origine ?
Onenessa : Je crois que j’ai toujours créé en étant près de moi-même, je n’ai jamais senti que je devais me soumettre à quoi que ce soit. À la base, je suis une fan de musique et j’aime explorer toutes sortes de choses. Je n’ai pas qu’un seul genre, je peux toucher à tout. Quand je fais des projets plus adaptés pour la radio, ce n’est pas par pression, mais bien par envie. Je crois avoir réussi à trouver ma place, je crois que Montréal est une ville géniale pour jouer et s’exprimer en français comme en anglais. Après, c’est sûr que pour avoir davantage créé en anglais, il y a certaines limites. Le Québec est grand, il y a beaucoup plus de francophones quand nous sortons de Montréal, les subventions sont plus difficiles à obtenir mais au final, j’ai toujours réussi à trouver de petites opportunités. Présentement, je prépare un projet 100% francophone, c’est venu super naturellement.
PAN M 360 : Si tu avais un conseil à donner à quelqu’un qui n’est pas un homme blanc désirant lancer sa carrière musicale, quel serait-il ?
Onenessa : Je dirais ne pas avoir peur de prendre des risques de façon créative.Et, pour ne pas perdre la tête dans ce milieu, il faut être connectée avec soi-même, écouter son intuition. Il y a des conseils partout, mais il est important de s’écouter et de respecter ses propres volontés. Bien-sûr il faut écouter autrui, mais il faut être son propre compas. If you like it, tu tiens peut-être quelque chose.