RADAR: le début d’un nouveau chapitre pour Wake Island

Entrevue réalisée par Jacob Langlois-Pelletier
Genres et styles : électro-pop

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Après près de deux ans d’absence, Wake Island, le duo de producteurs électroniques montréalais d’origine libanaise constitué de Philippe Manasseh et Nadim Maghzal, effectuera un retour sur scène le mardi 30 mai prochain au Ministère dans le cadre de la série RADAR présentée par M pour Montréal et Mundial Montréal. Pan M 360 a discuté avec les deux protagonistes afin d’en savoir plus sur leur évolution, leur projet futur et leur approche créative. 

Depuis leur arrivée au Québec il y a plus de 20 ans, les deux hommes créent et font partie du paysage musical montréalais. Philippe et Nadim ont débuté dans le rock et c’est en 2015 qu’ils ont eu la piqûre pour la musique électro. C’est d’ailleurs à ce moment que leur projet Wake Island a pris naissance. Outre la sortie d’un titre collaboratif avec l’autrice-compositrice-interprète La Bronze (Nadia Essadiqi) il y a quelques jours, la plus récente parution du tandem remontait à avril 2021 avec leur excellent album électro-pop, Born to Leave. 

En 2018, ils ont mis sur pied Laylit, un concept de soirée dansante ayant pour but de valoriser la diversité musicale au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Grâce aux succès ainsi qu’aux revenus engendrés par cette organisation, le duo peut dorénavant se permettre de créer plus librement et explorer de nouvelles avenues. Présentement, Wake Island prépare plusieurs projets, dont un album de musique ambient réalisé à partir d’échantillons de leur dernier ouvrage. Pour l’instant, aucune date précise n’est fixée pour cet opus, mais ils aimeraient assurément pouvoir faire paraître le tout d’ici la fin de l’année. 

PAN M 360 : Vous avez fait beaucoup de chemin depuis la naissance de Wake Island en 2015. Parlez-moi de votre projet et de son évolution. 

NADIM MAGHZAL : C’est vrai que notre projet a beaucoup évolué depuis. Au tout début, nous nous sommes rencontrés grâce à la musique rock. Nous avons même créé un album de rock progressif sous un autre nom avant Wake Island. C’est vraiment en 2015 qu’on a shifté vers l’approche électronique. Les possibilités qu’offrait le médium électronique nous interpellaient énormément. La technologie nous libère de beaucoup de contraintes et le potentiel est infini. Nous étions très inspirés par la musique électro, particulièrement la techno de Détroit qu’on a explorée en 2017 sur un de nos EP. Ce projet était pur électro, mais avec une essence de rock qui se manifestait dans les chansons. Ça sonnait beaucoup plus new wave que rock, en fait, à cette époque. Et puis, avec le temps, le son du groupe a beaucoup évolué. En tant qu’artistes, nous avons vécu quelque chose de très important au cours des dix dernières années. Nous avons en quelque sorte digéré notre expérience d’immigration. On est arrivé au début des années 2000 lorsque nous avions 18 ans. Lors de nos dix premières années au Québec, nous ne pensions même pas à ce qui était en train de se passer. Tout ce que nous essayions de faire, c’était de s’intégrer. Ça a pris un long moment avant qu’on se dise que nous avions vécu un processus très complexe. Au fil du temps, nos activités musicales se sont penchées de plus en plus sur la question identitaire, la question de l’immigration, du mouvement, mais aussi sur le mouvement global. Parce que maintenant, plus que jamais, le monde est constamment en mouvement. 

PHILIPPE MANASSEH : En 2021, nous avons sorti Born to Leave, un album plus électro pop. Notre prochain projet, ce sera un album de musique ambient. En ce moment, nous tentons vraiment de voir ce qu’on peut faire et qu’est-ce que veut dire la musique électronique. Est-ce que ça veut juste dire des sons, des kicks et tout ça? Ou encore, est-ce qu’il y a quelque chose à faire du côté organique? Nous sommes encore intéressés par l’approche électronique, et on continue d’explorer tout ça.

PAN M 360 : Un album de musique ambient, c’est très intéressant. Pouvez-vous en parler davantage?

PHILIPPE MANASSEH : C’est un projet assez complexe. En fait, nous sommes en train d’adapter notre album de 2021 en jeu vidéo. Avec notre équipe, nous avons développé une sorte de jeu vidéo qui rend hommage aux années 80. Nous avons conçu le jeu vidéo ainsi que sa musique. La bande sonore du jeu est une adaptation de l’album. Tous les sons sont faits à partir d’échantillons de Born to Leave. Ce projet a été fait avec une approche complètement différente. Nous avons passé des journées à jouer et nous avons tout enregistré. Ensuite, nous avons sélectionné nos moments préférés pour en faire un album. Ainsi, il n’y a eu aucun mixage et nous n’avions aucun pouvoir d’édition après la performance. Le principe était assez limitatif  et nous voulions essayer ça. C’était vraiment de l’expression pure, tout en étant basé sur quelque chose de déjà existant. Nous espérons pouvoir dévoiler le tout d’ici la fin de l’année.

PAN M 360 : Vous avez récemment lancé le titre <3 <~je~> 3>, une collaboration avec l’autrice-compositrice-interprète Nadia Essadiqi, alias La Bronze. Comment est né ce morceau?

NADIM MAGHZAL : Nous avons rencontré Nadia en tournée au Maroc en 2019. Nous nous sommes bien entendus et nous sommes devenus amis. Durant la pandémie, nous nous sommes revus et nous avons décidé de faire quelques séances de studio pour nous amuser. On s’installait avec elle et on jouait de la musique. C’était une manière pour nous d’exprimer nos idées et nos émotions. Et voilà, on a enregistré notre chanson lors d’un de ces moments ensemble, c’était fort probablement en 2021. Pendant près d’un an, ce morceau a dormi dans notre ordinateur. Ce n’était pas calculé comme création et nous n’avions pas d’échéancier alors c’était facile de l’oublier. Un an plus tard, on prenait un café avec La Bronze et on s’est rappelé le démo de <3 <~je~> 3> que nous avions fait. Ainsi, nous sommes allés réécouter le morceau et nous trouvions ça vraiment bien. Nous l’avons retravaillé un peu et Simon Lévesque s’est occupé de mixer le tout. Phil et Nadia ont aussi fait la vidéo ensemble. C’est vraiment un morceau qu’on a fait de A à Z. Nous avons tellement aimé collaborer avec elle et c’est certain qu’on aimerait refaire d’autres projets du genre un jour. C’était très smooth avec elle. Quand on crée, on recherche l’émotion et non la perfection, et c’est pareil pour elle. 

PAN M 360 : Votre approche de la musique semble maintenant très décontractée et vous semblez y aller à votre rythme. Votre vision de la création a-t-elle changé avec les années?

PHILIPPE MANASSEH : Maintenant, nous avons tellement de projets différents que nous ne sommes plus stressés de voir si ça va marcher ou non. Ainsi, nous sommes beaucoup plus libres dans tout ce qu’on entreprend. Cet état d’esprit nous permet justement de créer un album de musique ambient sans nous soucier du nombre d’écoutes en ligne que nous allons obtenir. On ne se fera pas de cachettes, ce n’est clairement pas recommandé pour un groupe comme nous de faire un projet de ce genre, surtout après la sortie d’un album pop qui a bien fonctionné. Nous avons une sorte d’aversion envers tout ce qui est gloire. Ce n’est pas dans notre âme de vouloir ça. En quelque sorte, on se sabote volontairement. 

NADIM MAGHZAL : Pour ma part, je vois ça différemment. J’ai l’impression que maintenant nous sommes libérés des contraintes de l’industrie de la musique que nous n’aimions pas. Nous avons tellement été dedans ça longtemps que nous avons appris de fond en comble le fonctionnement. Nous avons fait tellement de festivals, de spectacles et de showcases depuis 2010, qu’on en a eu notre dose. En 2018, nous avons créé Laylit à New York. En gros, ce sont des soirées dansantes dont l’objectif est de mettre de l’avant les artistes du monde arabe. Les revenus de ça nous ont en quelque sorte libérés dans tous nos projets musicaux. Ainsi, Wake Island est devenu, à notre avis, un projet purement artistique. Ça nous permet de nous amuser et c’est une échappatoire émotionnelle. C’est vraiment un privilège de pouvoir se permettre ça et de pouvoir être libéré de toutes les contraintes industrielles.

PHILIPPE MANASSEH : Je veux aussi ajouter quelque chose de très personnel, par rapport au fait de se libérer de l’industrie. Même si j’aimerais être libéré de l’industrie, il y a des sortes de traumatismes industriels qui restent. Par exemple, on joue un show mardi et ce sera la première fois en deux ans qu’on joue un show. Moi, j’arrive avec mon approche de genre « Yeah, sure, cool, on s’en fout, on est libre » et tout. Mais là, dans les répétitions, le stress d’antan ressort quand même. C’est très dommage ce que la pression de l’industrie a comme impact sur l’expression des artistes. Je ne suis plus capable de répéter sans stresser, sans penser « Oh, mon Dieu, comment ça va se passer ? Qu’est-ce qui va… ». C’est certain que tout ça influence l’écriture des artistes. Aussi concernant, Laylit, on ne s’imaginait pas que ça allait prendre l’ampleur que ça a prise. La gestion de tout ça prend beaucoup de notre temps, mais ça agit comme une bourse pour nous. Après 20 ans de carrière, nous sommes enfin libres de pouvoir faire ce que l’on veut faire. 

PAN M 360 : À quoi doit-on s’attendre de votre présence à la soirée RADAR le 30 mai prochain? Est-ce une soirée qui vous permettra d’explorer de nouvelles avenues? 

NADIM MAGHZAL : Ce sera un premier jet de ce sur quoi on travaille depuis longtemps. C’est une opportunité pour nous de revenir sur scène et d’essayer de nouvelles choses. Ça fait un peu plus d’un an que nous sommes en période de recherche. C’est important de mentionner que nous avons obtenu une bourse afin de faire de la recherche sur la tradition de la musique levantine arabe. Ainsi, on est dans cette musique depuis quelque temps. C’est assez excitant parce que ce type de musique est un peu une révélation comme l’a été l’électro en 2015. C’est comme si un univers de possibilités s’ouvrait à nous. Donc, le show RADAR, c’est le commencement de notre aventure dans ce style musical. Tranquillement, nous allons nous imprégner de cette musique et éventuellement sortir du nouveau matériel. 

PHILIPPE MANASSEH : Le côté ambient fera son apparition un petit peu dans le spectacle du 30 mai. Comme lors de nos derniers spectacles, il va y avoir un côté électro-pop, mais qui joue sur une base beaucoup plus raw. Je dirais qu’au moins la moitié du show est improvisée. Avec certains codes, évidemment, mais avec des chansons qui viennent par-ci et par-là. Je dirais qu’on peut s’attendre à une vulnérabilité particulière de notre part. Ça fait non seulement longtemps qu’on n’a pas été sur scène, mais aussi longtemps qu’on n’a pas joué ensemble parce qu’on était vraiment dans la recherche. Et puis, c’est excitant pour nous d’arriver sur scène sans vraiment savoir à quoi s’attendre. Il y a un risque, dans le sens qu’on n’est pas rodé et que ça ne fait pas 15 spectacles en tournée que l’on fait. En général, nous sommes habitués à faire des sets qui sont calculés. Mais là, c’est vraiment l’inverse. Ce spectacle, c’est vraiment une façon pour nous de redire bonjour au public, de dire qu’on existe et qu’on prépare beaucoup de choses.

Groupe mentor de la soirée RADAR de mardi, Wake Island se produit au Ministère dans un programme qui démarre ce mardi, 19h. Bell & Quinn et Naïma Frank s’y produiront d’abord. Infos et billets ICI

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